Intervention de Michel Sapin

Séance en hémicycle du 1er mars 2016 à 15h00
Lutte contre le crime organisé le terrorisme et leur financement — Présentation

Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics :

Madame la présidente, messieurs les ministres, madame la vice-présidente de la commission des lois, madame et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, le terrorisme, ce sont des actes qui tuent, des actes qui blessent, des actes qui détruisent. Mais le terrorisme commence par la préparation et donc par le financement de ces agissements criminels.

La loi pénale dispose depuis 2001 que le fait de financer en toute connaissance de cause une entreprise terroriste est un acte de terrorisme, indépendamment de la survenance éventuelle d’un tel acte. Les faits nous l’ont cruellement rappelé à deux reprises en 2015 : un acte de terrorisme, c’est un acte qui a été préparé, organisé et financé. La responsabilité du Gouvernement est donc de prendre les mesures adéquates pour assécher le financement des activités des terroristes, qui cherchent à déstabiliser notre pays, à fracturer notre pacte républicain.

Ce financement peut emprunter de nombreuses routes. Un terroriste peut percevoir des fonds issus d’un trafic illicite – d’armes ou de stupéfiants, par exemple – ou d’une organisation terroriste comme Daech. Il peut aussi se procurer lui-même des fonds par des moyens légaux – je pense, par exemple, au crédit à la consommation.

Par ailleurs, l’argent traverse les frontières nationales plus rapidement encore que les hommes. Il nous faut donc agir non seulement au niveau national, mais aussi aux niveaux européen et mondial. Tel est le sens de mon action en tant que ministre des finances. C’est donc en cohérence avec cette évidence que nous promouvons également au niveau européen et au niveau international les mesures que le Gouvernement vous propose d’adopter.

Au niveau international avec le Conseil de sécurité de l’ONU, qui a adopté une résolution en décembre 2015 ; avec le G20, qui à l’occasion de sa réunion d’Antalya en novembre 2015 a adopté des textes extrêmement puissants et a confié au Groupe d’action financière, le GAFI, le soin d’élaborer des standards internationaux de lutte contre le financement du terrorisme et de vérifier que chacun des pays concernés les mettaient en oeuvre.

Au niveau européen, avec une proposition adoptée en mai 2015, qu’il vous sera proposé de retranscrire en droit français ; avec les propositions toutes récentes de la Commission, qui a déposé un paquet supplémentaire dont la France exige qu’il soit discuté et adopté d’ici le milieu de cette année.

En France, nous avons depuis plusieurs mois renforcé les moyens consacrés à la lutte contre le financement du terrorisme : les effectifs de Tracfin, – ou Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins, c’est-à-dire la cellule de renseignement financier –, sont passés de 94 agents en 2013 à 118 en 20l5 et ils seront de 138 en 2016. Nous avons également travaillé à faciliter la circulation de l’information entre les différents services dont chacun a une connaissance fine d’un aspect du financement du terrorisme, qu’ils dépendent de mon ministère ou, par exemple, du ministère de l’intérieur.

Mais l’augmentation des ressources humaines engagées dans la lutte contre le financement du terrorisme n’est pas suffisante. Elle doit s’accompagner d’une adaptation de notre arsenal juridique. Après les attentats de janvier 2015, j’avais décidé de mettre en oeuvre un plan de lutte contre le financement du terrorisme comportant plusieurs mesures destinées à faire reculer l’anonymat dans l’utilisation des moyens de paiement. Parmi les plus emblématiques ou les plus visibles, je veux mentionner l’abaissement de 3 000 euros à 1 000 euros du plafond de paiement en espèces pour les résidents ; le signalement systématique à Tracfin des dépôts et retraits d’espèces supérieurs à 10 000 euros cumulés sur un mois.

Les articles 12 à 15 du projet de loi qui vous est présenté s’inscrivent dans le droit fil de ces mesures.

Nous devons pouvoir sanctionner pénalement le trafic de biens culturels provenant de territoires sous l’emprise d’un groupement terroriste – ce sera fait sous l’autorité du garde des sceaux car il s’agit d’une disposition de caractère pénal. On sait que le trafic d’antiquités constitue une source importante de financement pour Daech et porte une atteinte grave au patrimoine culturel mondial.

Nous devons pouvoir plafonner la valeur monétaire pouvant être chargée sur une carte prépayée. Aujourd’hui il n’existe pas de montant maximal. Il est donc possible de dissimuler sur un tel support des sommes d’argent très importantes.

Nous devons renforcer le cadre juridique dans lequel se déploie l’action du service Tracfin. Ce service aura le pouvoir de signaler, pour une durée limitée, aux établissements bancaires les opérations ou les personnes qui présentent un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Ces établissements pourront alors mettre en oeuvre les mesures de vigilance adaptées à la situation qui leur a été signalée.

Par ailleurs, le droit de communication du service Tracfîn sera étendu aux entités chargées de gérer les systèmes de cartes de paiement ou de retrait, comme le groupement d’intérêt économique Carte bleue ou les sociétés Visa et Mastercard.

Nous devons par ailleurs alléger la charge de la preuve de l’origine illicite des fonds en matière de délit douanier de blanchiment, dans le respect des jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce caractère illicite sera présumé lorsque certaines circonstances, notamment de dissimulation, sont réunies, sauf à l’intéressé de démontrer l’origine licite des fonds.

Enfin, il vous est demandé d’habiliter le Gouvernement à transposer par ordonnance la quatrième directive « anti-blanchiment et financement du terrorisme » de l’Union européenne du 20 mai 2015 ainsi qu’à renforcer le dispositif de gel des avoirs des terroristes.

Cette série de mesures sera complétée par un décret en Conseil d’État en préparation par mes services. Celui-ci prévoit notamment une prise d’identité dès le premier euro pour les cartes prépayées anonymes, c’est-à-dire chargeables ou rechargeables en espèces, et permettra au service Tracfin d’avoir un accès direct au fichier des personnes recherchées afin qu’il puisse enrichir davantage ses analyses et orienter mieux ses investigations.

Madame la présidente, mesdames et messieurs, telles sont donc les principales dispositions sur lesquelles la France est mobilisée et qu’il vous est demandé d’adopter. Ces dispositions sont cohérentes au niveau européen, au niveau international et au niveau national. Elles nous permettront à l’évidence de lutter plus efficacement contre le financement du terrorisme.

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