La réforme que vous nous proposez aujourd’hui, monsieur le garde des sceaux, bien qu’elle procède à des avancées bienvenues, notamment en matière de lutte contre le terrorisme, donne néanmoins l’impression de rester au milieu du gué car elle ne met pas la politique pénale en cohérence avec la fermeté qui, selon nous, vous inspire.
Je tiens néanmoins à saluer la démarche d’ouverture qui a été la vôtre et l’attitude constructive de la majorité, qui nous conduira à défendre conjointement avec Pascal Popelin et Sébastien Pietrasanta un amendement que j’avais initialement proposé en commission et qui vise à faciliter la possibilité, pour les associations de victimes d’attentats constituées récemment et leurs fédérations, d’ester en justice.
Il est toutefois dommage que beaucoup d’autres mesures soient décidées en réaction aux événements alors que l’opposition, vous le savez, propose depuis plusieurs années d’anticiper ces menaces.
Je pense notamment aux contrôles d’identité et fouilles de bagages, à la contribution des polices municipales à la sécurité publique, à la légitime défense des policiers, qui ont fait l’objet d’amendements et de plusieurs propositions de loi de l’opposition depuis 2012, dont la dernière en date, portée par Eric Ciotti, a été rejetée le 4 février par la majorité, sans oublier qu’une disposition de ce projet de loi concernant l’Euro 2016, à laquelle je suis particulièrement attaché en tant que député de Paris, aurait plus utilement trouvé sa place dans la proposition de loi de Guillaume Larrivé.
Je tiens néanmoins à me féliciter de l’adoption en commission des lois d’amendements intégrant le renseignement pénitentiaire au second cercle de la communauté du renseignement, ce que vous souhaitiez, monsieur le garde des sceaux. Cette réforme, bloquée à tort par votre prédécesseure, est pourtant indispensable, vous aviez eu raison de le souligner, quand on sait que plus de 15 % des terroristes se sont radicalisés en prison.
Je vous soumettrai de surcroît, comme lors de l’examen de ma proposition de loi sur l’isolement électronique des détenus, des amendements visant à renforcer les moyens du renseignement pénitentiaire en matière de fouilles, de permis de visite, de vidéosurveillance des parloirs et d’isolement des détenus radicalisés, tant il est inacceptable que ceux qui sont derrière les barreaux se procurent en toute impunité divers objets, dont des téléphones portables en grand nombre, comme cela a été rappelé au cours de la séance des questions d’actualité. Ces mesures sont indispensables, l’administration pénitentiaire ne disposant pas d’un nombre suffisant de brouilleurs efficaces dans ses établissements, ce que vous avez déploré.
Mais ce qui pèche le plus dans un texte qui comporte de nombreuses dispositions utiles et nécessaires et qui renforce les moyens de la lutte antiterroriste, c’est qu’il ne va pas jusqu’à remettre en cause les désastreuses réformes pénales de votre prédécesseure visant à faire de la prison l’exception, avec l’élargissement de la contrainte pénale aux crimes et délits punis de cinq à dix ans de prison dès le 1er janvier prochain, la généralisation des libérations anticipées et des aménagements de peine, ou encore le traitement indifférencié des primo-délinquants et des récidivistes. Ces réformes, que je qualifie d’anti-sécuritaires, pourraient aboutir à la libération anticipée d’environ 200 terroristes au cours des trois prochaines années.
Nos collègues Ciotti et Larrivé proposeront de revenir sur les errements de la loi Taubira, notamment en renforçant le traitement pénal des terroristes. Nous pourrons mesurer à cette occasion la volonté du Gouvernement de se doter réellement de tous les moyens nécessaires pour éradiquer ce fléau.
Par ailleurs, à l’autre bout de la chaîne, si je peux dire, je pense qu’il est préférable de consolider la réponse pénale en maintenant la correctionnalisation des délits formant un contentieux de masse, certes difficile à maîtriser, plutôt que de les dépénaliser comme le propose votre majorité, envoyant ainsi un signal permissif supplémentaire à l’opinion publique et confortant les délinquants dans un sentiment d’impunité.
Ce n’est pas en faisant disparaître ces délits des écrans radars de la justice que vous restaurerez la tranquillité publique, d’autant qu’ainsi les gardes à vue de nature à identifier et ficher leurs auteurs ne seront plus possibles.
À ce propos, il est dommage que vous ratiez l’occasion d’inclure le PV unique de garde à vue promis par le Gouvernement aux policiers pour alléger leur charge administrative, qui représente aujourd’hui 40 % de leur temps de travail, au détriment de l’enquête.
Pire, à rebours de la démarche de simplification qui doit vous guider, l’introduction du contradictoire au stade de l’enquête alourdira au contraire les procédures.
Je remarque d’ailleurs que la nouvelle procédure disciplinaire qui donnera au président de la chambre de l’instruction, à la demande du procureur général, le pouvoir de suspendre immédiatement, pendant un mois, l’exercice des fonctions de police judiciaire des officiers et des agents de police judiciaire, et dans l’attente de la décision de celle-ci, ne respecte pas le principe du contradictoire alors que ces décisions pourront avoir un impact financier important pour les OPJ concernés. Ouvrez-leur au moins une voie de recours !
En conclusion, ce texte contient des dispositions qui vont dans le bon sens, notamment en matière anti-terroriste, mais nous regrettons, tout en sachant que ce n’est pas de votre faute, qu’elles n’aient pas été adoptées plus tôt comme nous vous le proposions. Car dans la guerre qui nous oppose au terrorisme, tout retard, hélas, peut être fatal.
Nous espérons cependant, monsieur le garde des sceaux, vous qui avez conscience de ces enjeux, contrairement à votre prédécesseure, que vous saurez forger avec notre procédure pénale une arme utile contre le terrorisme. Mais vous ne pourrez être pleinement efficace sans revenir sur les effets pervers de la loi Taubira, qu’il vous faudra démanteler au plus vite. C’est là l’occasion. Saisissez-là, dans l’intérêt de notre pays.