Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 1er mars 2016 à 15h00
Lutte contre le crime organisé le terrorisme et leur financement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame et monsieur les rapporteurs, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, les événements tragiques que nous avons vécus pendant l’année 2015 donnent lieu à une très abondante production législative en matière de lutte antiterroriste, comme si tous les textes votés depuis le milieu des années 1980 étaient surannés, en tout cas sans grande efficacité. Un texte chasse l’autre sans que le Parlement, saisi en procédure accélérée – c’est en effet devenu une malheureuse habitude – n’ait le temps d’évaluer les dispositifs votés.

L’état d’urgence décrété en Conseil des ministres le 14 novembre dernier a été prolongé une première fois, pour une période de trois mois, par la loi du 20 novembre, puis encore une fois jusqu’au 26 mai, sans que la commission des lois ni l’Assemblée nationale n’aient pu se fonder sur un bilan complet des trois premiers mois de son application, contrairement aux engagements pris ici même par le Gouvernement.

Alors qu’en janvier, monsieur le ministre, lorsque vous étiez encore président de la commission des lois, vous parliez de la nécessité de préparer la sortie de l’état d’exception en rappelant justement qu’au-delà de l’effet de surprise – une dizaine, une quinzaine de jours, disiez-vous – les résultats de cet état dérogatoire au droit commun et aux libertés sont pour le moins modestes. Or l’état d’urgence court jusqu’au 26 mai et rien ne dit, malheureusement, que le Gouvernement ne demandera pas au Parlement une nouvelle prorogation.

Alors que nous abordons l’examen d’un nouveau projet de loi, c’est un sentiment de précipitation qui domine, contrairement à ce que laissaient entendre vos propos lors de votre audition en commission, monsieur le ministre – vous évoquiez alors un texte mûrement réfléchi. Le nombre important, pour ne pas dire impressionnant, d’amendements de réécriture déposés par les rapporteurs, et l’amendement du Gouvernement visant à réécrire complètement l’article 24 en sont la preuve manifeste.

La lecture des trente-quatre articles qui composent le projet de loi confirme qu’il s’inscrit dans la construction d’un dispositif dérogatoire – au sens d’un droit d’exception détaché des limites temporelles –, initiée il y a quelques années par la loi relative à la sécurité quotidienne pour lutter contre la délinquance organisée –une notion dont les contours ne cessent de s’étendre.

Ce projet de loi poursuit d’abord la substitution au juge indépendant des autorités subordonnées à l’exécutif. Ce n’est pas une première mais le texte l’accentue gravement, et c’est sans doute ce qui explique les réactions qui se sont manifestées lors des audiences solennelles de rentrée, lorsque la magistrature a fait part, d’une manière presque unanime, de ses critiques et de ses craintes. Or ces critiques, ces craintes, la majorité du groupe écologiste les partage.

Pourquoi l’autorité judiciaire est-elle ainsi évitée ?, s’est ainsi récemment ému Bertrand Louvel, le premier président de la Cour de cassation.

Dans le temps qui m’est octroyé, je vais tenter de cibler les dispositions les plus problématiques, en les citant probablement dans le désordre.

L’une d’elles est le contournement de l’autorité judiciaire. De fait, l’autorité administrative se voit confier la conduite de procédures sensibles : contrôle d’identité, fouille des bagages ou visite de véhicules. Le texte renforce considérablement les pouvoirs du parquet et donne des prérogatives à l’autorité administrative. Il tend à marginaliser les juges du siège, en particulier les juges d’instruction statutairement indépendants, au profit des procureurs.

Cet élargissement des pouvoirs de contrôle et d’investigation n’est que faiblement contrebalancé par la présence du juge des libertés et de la détention, dont l’indépendance ne bénéficie pas de garanties suffisantes. Le rapporteur l’a reconnu en commission ; vous-même, monsieur le ministre, n’avez pas éludé la difficulté.

Une autre mesure problématique est la retenue administrative de quatre heures. Les raisons pouvant la justifier sont particulièrement imprécises, floues et larges. Le texte précise que la personne retenue aura la possibilité de prévenir sa famille ou une personne de son choix, mais il ne prévoit aucune assistance : ni celle d’un avocat, ni celle d’un médecin, ni celle d’un interprète.

La disposition a soulevé un grand débat en commission et, sans l’engagement du rapporteur qu’une plus grande précision serait apportée et que des garanties accompagneraient la retenue, l’article n’aurait sans doute pas été voté.

L’article 20 introduit dans le code de la sécurité intérieure une disposition qui permettra de soumettre tout individu s’étant aventuré à l’étranger pour participer à des activités terroristes ou ayant rejoint – ou tenté de rejoindre – un théâtre d’opérations de groupe terroriste à une assignation à résidence lors de son retour sur le territoire national. Cependant, il est déjà possible pour un juge d’instruction de mettre en examen un tel individu sur le fondement de l’article 421-2-1 du code pénal et de le placer sous contrôle judiciaire. Quel est donc l’intérêt de l’article si ce n’est d’écarter encore une fois l’autorité judiciaire pour lui substituer le glaive inflexible du préfet ?

L’article 19 prévoit aussi de conférer aux policiers et gendarmes opérant sur le territoire national et aux douaniers le bénéfice de l’état de nécessité lorsque, hors cas de légitime défense, ils font un usage de leur arme rendu absolument nécessaire.

Compte tenu de la jurisprudence bienveillante en matière de légitime défense – une série de décisions de justice a défrayé la chronique –, on reste perplexe. Soit la disposition est redondante, soit elle ouvre des possibilités qui peuvent inquiéter.

Le texte laisse le recours aux IMSI catchers à l’appréciation du procureur et non à celle d’un juge indépendant, détaché de la conduite des investigations. C’est pourquoi les amendements du rapporteur constituent une bonne nouvelle.

J’espère que le débat parlementaire permettra de clarifier certaines dispositions et de rééquilibrer une architecture qui marginalise l’autorité judiciaire. Nous avons déposé un nombre important d’amendements, notamment sur les tribunaux correctionnels pour mineurs, le secret des sources et le récépissé lors des contrôles d’identité. Autant d’engagements du candidat du candidat François Hollande oubliés depuis quatre ans.

Je souhaite que notre travail soit fructueux. La tâche est importante, tant les mesures que prévoit le texte font exception au droit commun.

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