Intervention de Colette Capdevielle

Séance en hémicycle du 3 mars 2016 à 15h00
Lutte contre le crime organisé le terrorisme et leur financement — Après l'article 27

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaColette Capdevielle, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Avec votre permission, monsieur le président, je serai un peu plus longue qu’à l’ordinaire. Ces amendements font référence à une affaire précise, qui a défrayé la chronique : je ne peux donc pas me contenter de vous répondre en droit, monsieur Tourret. Je vous sais très attaché à la question de la révision des condamnations pénales, vous y avez beaucoup travaillé, et vous avez défendu une proposition de loi à ce sujet.

Comme vous le savez, la révision est une voie de recours extraordinaire, qui ne peut être mise en oeuvre que dans des cas très limités. Que l’on soit au civil ou au pénal, il faut un élément nouveau – en l’occurrence, il s’agit d’une affaire pénale, puisqu’elle est criminelle. Une demande de révision n’est acceptable que lorsqu’un fait nouveau, c’est-à-dire un élément qui était inconnu au moment du procès, apparaît. Il n’y a pas de limite dans le temps pour déposer une requête en révision : la prescription ne peut être invoquée, non plus que le décès du condamné.

Vous connaissez parfaitement cette question, et vous êtes bien placé pour savoir quelles sont les conditions nécessaires pour passer le filtre de la commission d’instruction des demandes en révision. Une fois ce filtre franchi, il peut y avoir un nouveau procès, une décision différente, et éventuellement une indemnisation. Il faut donc un élément probant, et il faut apporter la preuve que l’absence de cet élément probant a influé sur la délibération du jury ayant abouti au prononcé de la condamnation par la cour.

Par ces amendements, vous voulez créer une nouvelle cause de révision : la circonstance que la preuve de la culpabilité aurait été rapportée par la violence, la torture, ou la menace. Je comprends le sentiment éminemment humaniste qui vous a conduit à rédiger ces amendements. Mais, des dizaines d’années après, a-t-on la même perception de la violence et de la torture ? Le temps qui passe est une variable que la procédure de révision ignore totalement, puisqu’elle se construit sur des éléments de preuve, qui ne peuvent avoir aucun caractère de subjectivité.

L’affaire que vous évoquez a eu lieu il y a plus de soixante-dix ans. Deux hommes ont été condamnés pour meurtre à quinze années de travaux forcés, sur la base de témoignages qui auraient été recueillis dans des conditions évidentes de violences. Plusieurs décisions de justice ont été rendues dans cette affaire, dont certaines après cassation. Je comprends que dans cette affaire, l’on veuille rétablir une certaine vérité. C’est d’ailleurs parce que le doute persistait après le procès que le président René Coty avait accordé sa grâce à mi-peine, ce qui a permis à ces personnes d’être libérées de manière anticipée.

Les demandes de révision présentées à l’époque ont toutes été, en l’état contemporain du droit, rejetées, car aucun fait nouveau n’était intervenu. Et il est très probable que les arguments que vous évoquez aujourd’hui aient été portés à la connaissance des jurés d’assise lors des différents procès. En outre, à cette époque, il n’y avait pas de procédure d’appel devant la cour d’assises : il a donc fallu des arrêts de cassation pour qu’il y ait deux nouveaux jugements.

Sur le plan juridique, je ne pense pas qu’il soit acceptable d’ouvrir la révision d’un procès en raison de l’appréciation de la procédure d’enquête diligentée à l’époque. Beaucoup de choses ont évolué depuis ce temps, notamment la conception du droit. Tous les éléments périphériques à un dossier évoluent avec le temps – heureusement, d’ailleurs ! Réalisez-vous à quel point, si nous faisions droit à votre demande, nous ouvririons la porte à la subjectivité ? Tous les procès qu’il faudrait ouvrir à nouveau ? Rendez-vous compte ! La question que vous posez est quasiment d’ordre philosophique : elle touche au regard que l’on porte sur l’histoire, sur le passé ; elle implique de porter une appréciation sur les magistrats, sur les jurés de cour d’assise qui ont rendu ces décisions. Est-ce réellement respectueux du droit ?

Enfin, je ne crois pas que l’on puisse réduire ainsi la plénitude d’appréciation de l’autorité judiciaire. Je tiens beaucoup à préserver la liberté de jugement des magistrats et à respecter les décisions judiciaires. En droit constitutionnel, un seul homme peut faire justice au-dessus des tribunaux : c’est le Président de la République, et c’est une responsabilité de taille.

Vous nous demandez, en quelque sorte, de corriger le passé, de faire comme si nous disposions d’une ardoise magique. Je comprends vos arguments, je comprends qu’il y ait un doute, peut-être même une erreur judiciaire, mais trois cours d’assises, jurés et magistrats réunis, ont eu à en connaître en leur âme et conscience, et ont jugé en fonction de leur intime conviction. Soixante-dix ans après, sommes-nous mieux informés qu’eux ?

Vous avez raison, le doute doit profiter à l’accusé. Mais la vérité judiciaire, c’est aussi de respecter les condamnations prononcées. La modification rétroactive que vous proposez me paraît donc vraiment très dangereuse. Encore une fois, je comprends la gêne que vous ressentez quant à cette affaire, mais vos amendements bousculent vraiment trop de choses. Il serait très dangereux de les adopter.

J’ai été très longue, monsieur le président, je serai plus brève par la suite. Mais puisque M. Tourret a soulevé cette question, je me devais, en tant que rapporteure, de lui répondre de la manière la plus complète.

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