Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Séance en hémicycle du 3 mars 2016 à 15h00
Lutte contre le crime organisé le terrorisme et leur financement — Après l'article 27

Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice :

À mon tour, je tiens à donner à M. Tourret les précisions que requièrent ses amendements. Je pense également à Jean-Paul Chanteguet, député de l’Indre, président de la commission du développement durable, qui a déposé des amendements et nous a déjà interrogés sur cette affaire qui remonte à 1946.

Vos amendements ont pour objectif affiché de permettre le réexamen de l’affaire que vous avez mentionnée, dont la sixième demande de révision a été rejetée l’année dernière faute d’éléments nouveaux. Il paraît établi, comme vous l’avez dit, que deux personnes, accusées du meurtre d’un garde-chasse commis en 1946, ont été torturées par la gendarmerie pendant plus de huit jours avant d’avouer ce meurtre, puis de se rétracter quinze jours plus tard, avant d’être condamnées à trois reprises aux assises, après deux cassations, à quinze ans de travaux forcés, puis d’être graciées par le Président de la République.

Toutefois, il n’est nullement certain que les dispositions que vous proposez permettraient la révision de ce dossier, dans la mesure où l’on ne peut soutenir que la preuve de leur culpabilité a été rapportée par les actes de torture. En effet, d’autres éléments que les aveux initiaux, rapidement rétractés, ont abouti à leur condamnation, notamment des témoignages et des constatations matérielles.

Du reste, le comité de soutien de Mis et Thiennot, après le rejet de la sixième demande de révision, a indiqué qu’il demanderait au législateur de modifier la loi « afin que tout aveu obtenu sous la contrainte entraîne automatiquement la révision d’un procès ». Il ne demande donc pas que la révision soit possible en cas de preuve de la culpabilité rapportée par la torture.

Par ailleurs, si ces dispositions étaient adoptées, elles risqueraient de remettre en cause l’autorité de la chose jugée dans de très nombreuses affaires où, même en l’absence de torture, il serait allégué que des aveux ont été obtenus par des actes inhumains ou dégradants, notions qui ne sont pas toujours très précises. La probabilité de voir la demande de révision aboutir serait donc faible, si l’on considère que la preuve n’a pas été rapportée par ces actes, mais les demandes de révision sur ce nouveau fondement se multiplieraient, et pourraient même conduire à des mises en cause mensongères du comportement des enquêteurs.

Il peut certes arriver que des violences commises lors d’une procédure ayant abouti à une condamnation constituent une violation des règles relatives à l’exigence d’un procès équitable et que la Cour européenne des droits de l’homme les condamne, permettant ainsi le réexamen du procès, mais ce n’est pas nécessairement le cas. Par ailleurs, ces violences peuvent être de nature à vicier la procédure du point de vue du droit interne, provoquant la nullité des aveux recueillis en garde à vue, par exemple.

En définitive, pour le Gouvernement, les dispositions contenues dans ces amendements n’atteindraient pas les objectifs visés, tout en étant de nature à déstabiliser gravement la procédure pénale. Avis donc défavorable.

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