Intervention de Danielle Auroi

Séance en hémicycle du 24 janvier 2013 à 15h00
Débat sur le projet de fonds européen d'aide aux plus démunis

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour que s'exprime l'avis des parlementaires sur l'aide alimentaire aux plus démunis, cruciale pour dix-huit millions d'Européens, dont quatre millions de personnes dans notre pays.

Notre commission des affaires européennes s'est saisie de ce sujet dès l'automne dernier, et il nous a semblé essentiel de porter cette question dans l'hémicycle. Cette aide fait en effet l'objet d'une refonte, et le montant de son enveloppe est menacé. Je reviendrai sur l'historique de cette négociation qui, aujourd'hui, n'est pas satisfaisante, tant s'en faut. Mais je ne vous cache pas mon indignation lorsque j'apprends que le Conseil européen propose de réduire encore cette enveloppe, pour consacrer 60 centimes d'euro par an et par Européen à l'aide alimentaire.

En ces temps d'hiver, en ces temps de crise et de chômage, il faut nous rappeler que des familles entières se retrouvent à la rue, à Paris comme ailleurs, faute de pouvoir assurer les besoins essentiels que sont l'alimentation et le logement. Ainsi, dans ma ville, cinquante-quatre personnes, dont une majorité d'enfants, se sont retrouvées à la rue pendant plusieurs soirs. Ce n'est pas acceptable.

L'exigence de solidarité dans l'Union doit s'imposer. Je salue ici, madame la ministre, les propositions de la France, faites en début de semaine, pour affronter les réalités douloureuses de notre pays et refuser la stigmatisation des populations pauvres. Je salue également les efforts de Mme la ministre du logement pour permettre à toutes et à tous d'accéder à un logement décent.

Comme l'a fait justement remarquer le Gouvernement, les efforts de redistribution consentis par les Français n'ont pas encore permis de rectifier la croissance des écarts de revenus entre les plus riches et les plus pauvres. Le chômage de longue durée est, à ce jour, structurel. Le travail protège moins efficacement de la pauvreté que par le passé. Près d'un quart des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans vit au-dessous du seuil de pauvreté. C'est aussi le cas de plus du tiers des femmes vivant seules avec des enfants. Quant au nombre de travailleurs pauvres, il ne cesse d'augmenter.

L'Union européenne aussi a inscrit la lutte contre la pauvreté dans ses objectifs prioritaires. Dans sa Stratégie 2020, l'Union propose ainsi de réduire le taux de pauvreté de 25 %, ce qui reviendrait à faire sortir vingt millions de personnes de la pauvreté. Noble prise de position, mais ne nous leurrons pas : quelle est la réalité ?

Dans le contexte de crise économique, financière, écologique, sociale qui est le nôtre, inverser les courbes de la pauvreté et ramener les plus exclus au coeur de notre société demande non seulement du temps mais aussi des moyens. En attendant, comment pourrions-nous accepter de voir diminuer l'aide alimentaire aux plus démunis ?

Pour nous éclairer sur l'évolution de cette aide, permettez-moi de revenir en quelques mots sur son historique. Depuis sa création en 1987, à la demande de Jacques Delors et de Coluche, fondateur des Restos du Coeur, le programme reposait sur les surplus de la politique agricole commune, qui étaient redistribués en nature. Avec les réformes successives, ces surplus ont diminué. En compensation, à partir de 1995, la Commission a commencé à utiliser une partie du budget de la PAC pour acheter directement des denrées sur les marchés agricoles et les redistribuer aux plus pauvres par l'intermédiaire des banques alimentaires. Ce programme correspond actuellement à une enveloppe de 480 millions d'euros annuels en Europe, dont 72 millions en France. Il permet ainsi de distribuer 130 millions de repas. En France, quatre associations se chargent de distribuer cette aide : les banques alimentaires, la Croix-Rouge française, les Restos du Coeur et le Secours populaire ; qu'elles en soient ici remerciées.

Or l'évolution par un financement direct a été mise en cause par plusieurs États membres : l'Allemagne, le Royaume Uni, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark, la République tchèque, ont considéré que le PEAD, devenu une aide financière purement sociale, aurait « perdu tout lien avec la politique agricole ». La France, l'Espagne, l'Italie auraient souhaité quant à elles que soit conservé un programme alimentaire spécifique dans le cadre de la PAC, rappelant avec justesse la dimension solidaire et symbolique de cette politique. Cependant, la Cour de justice de l'Union européenne a donné raison aux détracteurs de l'aide alimentaire au sein de la PAC.

Les associations voient donc avec inquiétude arriver la fin 2013 qui marquera l'abandon du système actuel, pour elles vital : pour chaque association française, le PEAD représente de 23 à 55 % du budget alimentaire annuel. En Pologne, ce même PEAD représente près de 80 % de l'aide alimentaire.

Une importante mobilisation s'est organisée en faveur de cette aide. Dès septembre 2011, treize pays ont fait une déclaration commune en vue de maintenir le programme. La Commission européenne a donc dû examiner les pistes lui permettant d'adapter le droit européen. Elle a fait connaître sa proposition à l'automne dernier, tentant d'établir un compromis entre États membres. Le Fonds européen d'aide aux plus démunis succédera donc au PEAD et sera désormais placé au sein du Fonds social européen, dans le cadre de la politique de cohésion, au sein d'un sous-ensemble ciblé sur les populations les plus précaires.

Dans sa proposition relative au prochain cadre financier pluriannuel, la Commission a réservé un budget de 2,5 milliards d'euros sur sept ans pour le FEAD, qualifié de « nouvel instrument destiné à lutter contre les formes extrêmes de pauvreté et d'exclusion ».

Cette proposition, chers collègues, n'est vraiment pas satisfaisante. Tout d'abord, sur le plan strictement financier, le PEAD bénéficiait précédemment de 500 millions d'euros par an. La nouvelle enveloppe, d'environ 360 millions d'euros, représente une baisse de 28 % en euros constants sur sept ans. Et, je le rappelle, M. Van Rompuy vient de proposer de l'abaisser encore de 40 % ! C'est une bien curieuse façon de montrer notre solidarité vis-à-vis des plus fragiles.

La proposition est moins-disante également sur le plan de la nature des prestations et du fonctionnement de l'aide. Le fonds n'est plus ciblé seulement sur l'alimentation mais peut inclure vêtements, biens de première nécessité, aides au logement, ce qui équivaudra de fait à une diminution supplémentaire de l'aide consacrée à l'achat de nourriture. Il s'agit en outre d'une affectation au sein de l'enveloppe globale de 76 milliards d'euros prévue pour le FSE pour la période 2014-2020, et non de nouvelles ressources affectées.

Enfin, et peut-être surtout, le FEAD, contrairement au PEAD, concernera tous les États membres, au même titre que le FSE dont il est l'émanation, alors que le PEAD ne bénéficiait pas aux vingt-sept pays de l'Union mais aux seuls pays participant au programme, soit dix-neuf États, avec quatre grands bénéficiaires : l'Italie, la France, l'Espagne et la Pologne. Le plat sera plus maigre et il sera à partager dans de plus nombreuses assiettes !

Sur le plan du fonctionnement, là aussi, des questions se posent. En effet, l'aide ne sera plus versée directement aux associations mais transitera par les États membres, qui devront apporter un cofinancement, conformément aux règles de fonctionnement du FSE ; la Commission propose qu'il soit porté à 15 %, ce qui correspond à la part de financement national dans le cadre du FSE pour les régions les plus pauvres. Il est donc à craindre qu'en cette période d'austérité budgétaire, beaucoup d'États soient réticents à apporter leur contribution. En outre, les associations bénéficiaires seront sélectionnées selon des critères non encore précisés, et auront l'obligation de mettre en place des politiques d'activation et d'aide à l'insertion. Voilà une nouvelle forme de désengagement des institutions !

D'autres questions demeurent en suspens. Quid du devenir d'éventuels nouveaux stocks dans le cadre de la PAC, peut-être peu probables mais pas impossibles ? N'y a-t-il pas un réel risque de fusion entre le FSE et le FEAD, dont les missions sont plus larges qu'à l'origine ?

Toutes ces raisons ont amené notre commission des affaires européennes à émettre à ce stade un avis négatif sur le projet de règlement. Notre rapporteure s'exprimera tout à l'heure pour rappeler l'inquiétude de l'ensemble de notre commission quant à l'avenir de cette aide. Nous continuerons à suivre cette question de près, avec notamment l'organisation d'une table ronde avec les associations concernées, le 26 mars prochain.

Dans le contexte actuel de crise, où la pauvreté ne cesse de croître en Europe, l'Union ne peut en effet se dédouaner de son devoir d'aide aux plus démunis de ses citoyens, pour beaucoup des femmes isolées avec enfants. Il faut donc renverser la tendance et mettre la solidarité au centre de tout le projet européen. Sinon, nos concitoyens, malmenés par la crise, ne pourront y trouver qu'une raison de plus de douter de l'Europe. Des efforts d'envergure doivent être menés, qu'il s'agisse de la convergence sociale et fiscale, ou encore de l'établissement d'un salaire minimum à l'échelle européenne pour répondre à l'angoisse des plus pauvres.

Sous la présidence irlandaise qui vient de débuter, espérons que les propositions de la Commission en faveur de l'emploi des jeunes, dites « garantie pour la jeunesse », pourront faire rapidement sentir leurs effets pour les moins de vingt-cinq ans, en complément du volontarisme français manifesté dans le contrat de génération.

La nouvelle PAC réaffirmera aussi, je l'espère, sa dimension de solidarité et la vocation première de l'agriculture à répondre aux besoins des populations européennes plutôt qu'à encourager l'exportation massive de céréales au détriment de la diversité des productions vivrières.

En attendant que ces grands chantiers aboutissent, réaffirmons avec force, mes chers collègues, notre souhait de voir maintenues les sommes allouées à l'aide alimentaire, tout en permettant aux associations de continuer à travailler, non dans l'incertitude, mais dans l'efficacité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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