Je tiens d'abord à excuser l'absence de M. Cazeneuve, ministre délégué aux affaires européennes, qui est retenu au Sénat pour répondre à des questions d'actualité sur le Mali. Il nous rejoindra très bientôt afin de vous écouter et de conclure ce débat avec vous.
Pour surmonter la crise économique et sociale qui touche la France et l'Union européenne, nous voulons mener de front une politique de compétitivité et une politique de solidarité. La solidarité n'est pas un supplément d'âme, elle est la condition même de notre cohésion, car c'est seulement si nous sommes unis que nous pourrons réussir.
Cette cohésion est impossible quand certains de nos concitoyens vivent dans de telles conditions de précarité et de dénuement qu'ils n'ont pas le minimum pour vivre dignement, notamment pour se nourrir.
L'aide alimentaire répond à cette urgence, à cette privation insupportable ; mais l'aide alimentaire ne concerne pas que ceux de nos concitoyens qui sont à la rue et qui n'ont plus rien. Les associations voient de plus en plus souvent venir vers elles des travailleurs, des familles, des personnes qui sont obligées de faire des choix impossibles – se chauffer ou se nourrir ? – et qui ont trouvé dans l'aide alimentaire le moyen précaire d'assurer un repas équilibré pour eux et leurs enfants, sans renoncer à tout le reste.
L'aide alimentaire s'adresse aussi à tous ceux que l'on peut appeler les « pauvres invisibles », qui, chaque mois, ont un peu plus recours à cette solidarité et qui sont souvent des travailleurs pauvres.
Pour les personnes qui connaissent la grande pauvreté, l'aide alimentaire est aussi une porte d'entrée privilégiée vers l'insertion ou la réinsertion. Un repas offre en effet l'occasion de nouer un dialogue, de s'arrêter sur les difficultés et les aspirations de personnes isolées qui ont rarement la possibilité d'être écoutées.
L'aide alimentaire est donc aussi le support d'une politique de prévention et d'accompagnement des situations de pauvreté et de précarité. Cette prévention, qui permet d'éviter les situations individuelles dramatiques, est également beaucoup moins coûteuse à terme pour l'ensemble de la collectivité. L'efficacité même d'une partie de nos politiques de solidarité est en jeu avec l'aide alimentaire.
Enfin, l'aide alimentaire est une modalité de l'action sociale très structurée dans notre pays, comme vous l'avez rappelé, mesdames les présidentes. Des années d'engagement sur le terrain, au plus près des difficultés, ont permis aux associations d'acquérir une expérience et une capacité d'organisation que nous devons protéger. En France, les fonds du PEAD sont gérés par quatre grandes associations qui assurent avec constance et professionnalisme ce travail quotidien d'accompagnement sur le terrain : la Croix Rouge, les Restos du coeur, la Fédération française des banques alimentaires, le Secours populaire.
Dès 2011, parce que les excédents alimentaires ont considérablement diminué, le PEAD a été remis en cause. Or c'est prendre le problème à l'envers ! La pauvreté n'a pas disparu avec les stocks alimentaires de la PAC.
Face à l'urgence sociale, face au désarroi de millions de nos concitoyens européens, face également aux engagements pris par l'Union Européenne de sortir 20 millions d'Européens de la pauvreté d'ici 2020, nous avons le devoir de trouver une solution pour pérenniser l'aide alimentaire européenne.
Le projet de la Commission de constituer un Fonds européen d'aide alimentaire, rattaché au Fond Social Européen, a le mérite d'apporter cette pérennité. Le FSE offre en effet un cadre juridique stable qui nous permettra d'éviter de connaître à nouveau la fragilisation juridique de 2011, lorsque la Cour européenne de justice a remis en cause le fondement même du PEAD.
Par ailleurs, ce cadre permettra d'inscrire le FEAD dans la politique de cohésion européenne : c'est ainsi reconnaître que l'aide alimentaire est une composante importante de la solidarité au niveau européen.
Enfin, le projet en discussion prévoit que les excédents agricoles puissent venir s'ajouter au montant du FEAD : voilà une très bonne décision, non seulement parce que le besoin de solidarité l'exige, mais également parce que cette solidarité implique la coordination de l'ensemble des champs de la politique européenne.
Néanmoins, la négociation n'est pas terminée et nous devons rester vigilants. Bernard Cazeneuve et moi-même le serons : nous l'avons confirmé aux quatre grandes associations que nous avons rencontrées ce matin même.
S'agissant tout d'abord de la négociation budgétaire : elle est en cours et nous resterons fermes sur la nécessaire adéquation entre les besoins, grandissants en matière de solidarité au niveau européen, et les montants qui viennent d'être évoqués. C'est d'autant plus clairement une question d'efficacité de l'aide alimentaire sur le terrain que, comme l'a dit Mme la présidente de la commission des affaires étrangères, la solidarité est une question fondamentale qui doit rester au coeur du projet européen que nous avons bâti et que nous continuons à construire. Bernard Cazeneuve viendra tout à l'heure vous réaffirmer son engagement personnel et celui de la France dans cette négociation ; il vous en précisera le calendrier.
L'étape budgétaire se prolongera par la suite par une négociation sur le règlement qui va en découler, dans laquelle nous devrons, là aussi, engager tous nos efforts. Le premier temps de la négociation achevé, nous ne devrons pas lever le pied. Il faudra rester vigilant. Deux sujets en particulier vont nous mobiliser dans la négociation sur le règlement du nouveau fonds.
Le premier sujet, c'est le fonctionnement du FSE. Nous savons qu'il est extrêmement strict, parfois très lourd ; il exige notamment des contrôles fréquents, a priori et a posteriori. Nous devons veiller à ce que cette rigueur, tout à fait utile pour la traçabilité des actions, ne se fasse pas au détriment de la souplesse du système et ne vienne pas compliquer l'action précise et pointue des associations qui assurent l'aide alimentaire sur le terrain. Ce qu'elles investissent en temps et en argent dans les procédures, c'est autant de moins consacrer par elles aux personnes démunies. Au niveau national, nous mettrons donc tout en oeuvre pour faciliter le travail de terrain des associations. Il faudra que nous leur garantissions un support logistique et administratif le plus souple possible. L'action des associations françaises est aujourd'hui efficace parce qu'elles allient professionnalisme et attention aux besoins. Ce bénévolat expert doit pouvoir continuer, et nous y veillerons car c'est la richesse de la France.
L'autre point de négociation, dans le cadre du règlement, portera sur les critères d'affectation des crédits du FEAD aux pays membres. Aujourd'hui, la Commission propose de ne retenir que deux critères sur les quatre qui ont pourtant été utiles pour fixer la stratégie 2020 de l'Union : un, le nombre de personnes souffrant de privations matérielles sévères ; deux, le nombre de personnes de moins de soixante ans vivant dans des ménages inactifs. Ces deux critères sont largement insuffisants car cela réduit considérablement le montant global de l'aide alimentaire et le nombre de familles éligibles : seuls les sans-abri et les personnes en situation de très grande privation matérielle seraient concernés. C'est ignorer que de nombreux retraités et des travailleurs toujours plus précaires font aussi appel à l'aide alimentaire. Nous devons donc insister pour que les critères rendent compte au mieux de la complexité des situations de pauvreté en Europe, et soient par ailleurs cohérents avec les critères que l'Union européenne s'est fixée par rapport aux objectifs de la stratégie 2020.
Vous savez que nous avons pris les choses à bras-le-corps puisque le Premier ministre a présenté en début de semaine un plan de lutte contre la pauvreté et la précarité. Mais nous savons tous que cette lutte concerne aussi beaucoup d'autres pays européens, qui feraient mieux de nous aider et de nous soutenir dans cette voie parce qu'il y a une extrême pauvreté chez eux également, y compris, vous l'avez rappelé, madame la présidente de la commission des affaires européennes, dans les pays qui ne sont pas les plus allants pour nous aider dans la négociation.
Mesdames, messieurs les députés, le Gouvernement va veiller à préserver les mécanismes européens de la solidarité. Celle-ci est une condition du redressement de notre pays, mais aussi une condition de sortie de crise de l'Union européenne, qui ne peut pas se permettre de se couper chaque jour davantage des préoccupations de ses citoyens, de tous ses citoyens, y compris les plus fragiles. Pour le Gouvernement, je vous le garantis et le ministre le dira à cette tribune, la solidarité, c'est important, c'est ce qui fait vraiment notre identité, la grandeur de notre nation, une nation qui a fait le choix improbable de l'égalité et de la fraternité, et qui, pour cette raison, est respectée au niveau de l'Union européenne.
Je vous remercie du soutien de l'Assemblée nationale à l'action que mène l'ensemble du Gouvernement, particulièrement le ministre Bernard Cazeneuve. Ce débat est utile et attendu. L'ensemble des grandes associations ont besoin du soutien de tous. Ce matin encore, elles me parlaient de la mobilisation qui doit les soutenir jusqu'au bout. Le Gouvernement sera à leurs côtés et je vous remercie, mesdames les présidentes de commission pour avoir pris l'initiative du débat d'aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)