Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 27 janvier 2016 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

Pour ce qui est des Russes, j'attends les résultats d'une mission visant à déterminer comment nous pouvons travailler ensemble. Nous ne faisons pas partie de la même coalition, mais nous pouvons coordonner nos efforts contre Daech dès lors que nous reconnaissons dans cette organisation notre ennemi commun, d'où vient le principal risque d'attentats.

Pour ce qui est de la question de M. Germain sur le poids des frappes françaises au sein de la coalition, le chiffre de 25 % représente une moyenne. Nos frappes ont beaucoup augmenté lors de l'arrivée du Charles de Gaulle en Méditerranée orientale, puis dans le Golfe, et elles diminueront à nouveau lorsque le porte-avions terminera sa mission, courant mars – étant précisé que nous renforcerons alors nos interventions aériennes à partir de la terre. Chacun a reconnu, lors de la réunion de la semaine dernière, que l'action de la France était tout à fait respectable – nous occupons, je le rappelle, la deuxième place au sein de la coalition.

Si je n'ai pas évoqué Sentinelle, monsieur Bui, c'est simplement faute de temps pour le faire. Nous devons évoluer d'un dispositif de garde statique à un positionnement de patrouille, mais cela ne peut se faire que progressivement, ne serait-ce que pour des raisons psychologiques. La plupart de nos compatriotes ont le sentiment que lorsque trois militaires sont en faction devant un site, ce site est plus sécurisé que si les trois personnels effectuaient une patrouille autour : nous aurons besoin d'un peu de temps pour les en convaincre.

Il n'est pas question de mettre en place un dispositif de renseignement autonome de l'armée sur le territoire national. De ce point de vue, les choses sont très claires : la responsabilité des opérations intérieures relève de la responsabilité du ministre de l'intérieur, qui procède à des réquisitions auprès des autorités militaires – en l'occurrence, auprès du ministre de la défense que je suis – et s'organise en fonction des éléments qui lui sont fournis. Fin janvier, début février, je rendrai public un rapport sur le nouveau concept d'emploi des forces sur le territoire intérieur, qui donnera lieu à un débat au Parlement.

Nous estimons que 5 000 à 7 000 combattants du Hezbollah se trouvent sur le territoire syrien, ce qui a des conséquences sur le territoire libanais. La présence de pasdarans en Syrie est également une réalité, corroborée par le fait que trois généraux iraniens ont été tués sur le territoire syrien. On peut penser que les Iraniens coordonnent le Hezbollah, qui ne fait évidemment pas partie du Haut comité de Ryad. L'armée syrienne loyaliste est beaucoup plus faible que ce que les Russes eux-mêmes avaient imaginé, ce qui explique que les actions au sol soient bien davantage le fait de milices confessionnelles que de l'armée – même si les premières agissent sous l'autorité de la seconde.

Je partage votre avis au sujet de STMicroelectronics, monsieur Destot, et j'ai évoqué cette question ce matin même avec M. Macron. De mon point de vue, il n'est pas envisageable que nous puissions perdre notre autorité technologique sur des composants essentiels pour notre défense, et je serai donc très vigilant sur ce point.

M. Loncle m'a interrogé au sujet du Burkina Faso. Sur ce point, je me contenterai de dire qu'au moment où il aurait dû prendre la tête de ses hommes pour intervenir contre les terroristes à Ouagadougou, le patron des forces spéciales burkinabé se trouvait en prison à la suite d'une tentative de coup d'État contre le président Kafando, ce qui explique que les opérations ne se soient pas déroulées dans des conditions optimales. Nous devons faire en sorte que les pays du G5 Sahel mettent en place des forces spéciales contre-terroristes au sein de leurs propres forces. Si la France avait lancé l'opération Serval en janvier 2013, c'était pour contrer l'arrivée d'une véritable armée de djihadistes qui, après avoir attaqué Mopti, avait pour objectif de s'emparer de la capitale malienne, Bamako. Aujourd'hui, grâce aux actions que nous avons menées au nord du Mali, et du fait que les groupes armés signataires se sont mis d'accord, les conditions ont changé. Les djihadistes ne sont plus en mesure de lancer des offensives d'une ampleur comparable à celle de 2013, et nous nous positionnons donc plutôt pour réagir de manière ponctuelle à des attaques de moindre envergure.

Les Turcs sont désormais conscients du fait que Daech est en train de devenir notre principal ennemi. Pour moi, la vraie question dans le règlement de l'affaire syrienne, c'est la portion de la frontière nord de la Syrie – avec la Turquie – située entre deux zones contrôlées par les Kurdes, et actuellement occupée par des insurgés syriens réputés modérés. Si les Kurdes ont la volonté d'attaquer Daech en ce point du territoire, c'est qu'ils espèrent établir la jonction entre les deux positions qu'ils occupent, ce qui est insupportable aux Turcs, car une grande partie de leur frontière sud serait alors aux mains des Kurdes. Un tel scénario n'a rien d'improbable, car les Kurdes sont bien organisés et remportent des victoires.

Par ailleurs, l'armée syrienne loyaliste et les Russes visent le même objectif, plus précisément le fief djihadiste de Marea. La Syrie a la volonté de conquérir, avec l'appui de l'aviation russe, cette zone actuellement occupée par des insurgés modérés, qui vont négocier avec Riad Hijab à Genève dans quelques jours. Enfin, Daech espère limiter les dégâts, si ce n'est progresser. Comme vous le voyez, l'intérêt stratégique de cette zone frontalière, assez réduite en superficie mais convoitée par tous, est énorme. Ce qui ajoute à la complexité de la situation, c'est le fait que les relations entre les Turcs et les Russes soient devenues exécrables.

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