Madame la présidente, mesdames les présidentes de commission, madame la ministre, mes chers collègues, je regrette bien évidemment que nous devions encore nous battre, au XXIe siècle, pour permettre à tous les Européens d'accéder à l'alimentation et que la solidarité européenne envers les plus démunis soit un sujet de controverse. Mais je me réjouis de voir, madame la ministre, que cette question est au coeur de vos préoccupations et que vous faites de la solidarité une valeur essentielle.
La solidarité européenne n'est pas une donnée dès le départ mais une construction. Jacques Delors, à l'origine de nombreuses avancées marquantes en matière de solidarité européenne, est celui, vous l'avez rappelé, madame la présidente Auroi, qui, lorsqu'il était président de la Commission européenne, a décidé, avec Henri Nallet, d'ouvrir les frigos de l'Europe en créant le programme européen d'aide aux plus démunis. Ce programme est doté actuellement d'une enveloppe de 480 millions d'euros par an, dont 72 millions d'euros pour la France. Il permet dans notre pays, au travers de 130 millions de repas distribués, d'aider près de quatre millions de personnes à se nourrir par l'intermédiaire de quatre associations que je salue ici et dont des représentants sont dans les tribunes : les banques alimentaires, la Croix-Rouge française, les Restos du Coeur et le Secours populaire. À travers ces associations, je tiens à rendre hommage aux très nombreux bénévoles qui prennent du temps sur leurs loisirs pour que la solidarité se concrétise.
Nous le savons tous : le programme européen d'aide aux plus démunis est menacé. L'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne a donné raison à l'Allemagne, opposée au plan d'aide, en annulant le règlement financier au motif que le budget annuel du PEAD doit avant tout être construit en utilisant les stocks d'intervention disponibles, ce qui n'est plus le cas. Le programme alimentaire a bien, suite à un accord franco-allemand, été prorogé jusqu'à fin 2013. Il n'est cependant pas question de le pérenniser au-delà de cette date.
Le gouvernement précèdent n'a pas sauvé le PEAD comme je l'entends dire, il a au mieux trouvé une solution strictement provisoire, et au pire empêché de trouver une solution alternative. Nous pouvons lire dans la déclaration commune inscrite au procès-verbal du Conseil de décembre 2011 la phrase suivante : « La France et L'Allemagne acceptent la poursuite du programme pendant une période transitoire qui viendra définitivement à échéance le 31 décembre […] la France et l'Allemagne jugent que les conditions ne sont pas réunies pour la présentation par la Commission et l'adoption par le Conseil d'une proposition relative à un nouveau programme pour l'après 2013. » Faut-il comprendre que les dix-huit millions de citoyens européens démunis, dont trois millions en France, doivent être laissés de côté, dix-huit millions de personne dans le dénuement total ? En outre, quarante-trois millions de personnes n'avaient pas en 2010 les moyens de répondre à un besoin fondamental : celui de s'offrir un repas équilibré par jour. N'est-ce pas une condition suffisante pour mettre en place un dispositif commun pour permettre la sécurité alimentaire de tous ? Je partage l'inquiétude des associations pour lesquelles ce plan d'aide est vital puisqu'il représente entre un tiers et la moitié de leur budget.
Nous devons nous mobiliser pour défendre un nouveau programme, pour défendre cet esprit de solidarité à l'origine de la construction européenne, cette fraternité nécessaire dans une Europe en crise. La Commission européenne, face à la mobilisation des ONG et de certains États membres propose aujourd'hui une solution de compromis que Mme la présidente de la commission des affaires européennes a rappelé : le PEAD sera supprimé, mais un Fonds européen d'aide aux plus démunis – FEAD – sera créé et placé, dans le cadre de la politique de cohésion, au sein du Fonds social européen. Dans sa proposition relative au prochain cadre financier pluriannuel, la Commission réserve un budget de 2,5 milliards d'euros pour ce fonds. Je veux vous faire part de mes inquiétudes quant à cette proposition. En effet, son projet correspond à un moins-disant par rapport à la situation précédente, et ce tant du point de vue de la nature des prestations que des montants en jeu et du fonctionnement de l'aide.
Du point de vue de la nature des prestations et du champ d'intervention, le nouveau fonds concernera à la fois la nourriture, les vêtements et d'autres biens de première nécessité. Il ne s'agira donc plus exclusivement d'un instrument d'aide alimentaire, mais d'un instrument d'aide à visée plus globale, qui recouvre l'ensemble des aspects de la précarité. Il y a un réel risque de noyer l'aide alimentaire dans un ensemble de problèmes plus vaste alors qu'elle doit être au coeur de la politique européenne de lutte contre la pauvreté.
Du point de vue des montants engagés, alors que le PEAD bénéficiait de 500 millions d'euros annuels, le nouveau fonds sera doté de 2,5 milliards d'euros sur sept ans, soit 360 millions d'euros par an. Il a même été envisagé une diminution plus grande encore, c'est-à-dire de ramener l'enveloppe à 2,1 milliards d'euros, ce qui correspondrait à une baisse de 40 %. Ces propositions sont loin de couvrir les besoins actuels des associations, besoins qui, on le sait, ne cessent de s'accroître.
De plus, il faut le rappeler, le nouveau fonds ne correspondra pas à la création stricto sensu d'une nouvelle aide, mais sera constitué par un prélèvement sur les 76 milliards d'euros prévus pour le FSE.
Enfin, le FEAD s'adressera indifféremment à tous les États membres. Le PEAD ne bénéficiait pas aux vingt-sept pays de l'Union mais seulement aux pays participants au programme, au nombre de dix-neuf ; les quatre grands bénéficiaires étaient l'Italie, la France, l'Espagne et la Pologne. L'enveloppe, déjà amputée d'un tiers au moins de son montant, sera donc répartie non plus sur dix-neuf pays mais sur vingt-sept et bientôt sur vingt-huit, soit une diminution encore accrue pour les pays actuellement bénéficiaires.
Un autre point du dispositif, le cofinancement, suscite des inquiétudes. Il est en effet à craindre qu'en cette période d'austérité budgétaire et de difficultés macroéconomiques, beaucoup d'États, notamment les plus pauvres, ne soient pas en mesure d'engager des sommes sur ce fonds. Conformément aux règles de fonctionnement du FSE, la Commission propose que chaque État participe a minima au cofinancement à hauteur de 15 %. Je tiens à rappeler que le cofinancement a constitué le principal frein aux programmes tels qu'« Un fruit à l'école ».
Enfin, les associations bénéficiaires seront sélectionnées selon des critères non encore précisés. De plus, elles auront l'obligation de mettre en place des politiques d'activation et d'aide à l'insertion, ce qui devrait normalement être le rôle de la collectivité.
Les associations caritatives s'inquiètent donc à juste titre de la perte de spécificité du programme et du changement de ses principaux paradigmes.
Pour conclure, certaines questions demeurent en suspens : quid du devenir d'éventuels nouveaux stocks dans le cadre de la PAC, certes peu probables mais pas impossibles ? Quel sera l'avenir des sommes qui ne seront pas utilisées par certains États ? Elles devraient à mon sens être réinjectées dans l'enveloppe des autres pays pour qu'elles profitent aux bénéficiaires et surtout aux plus démunis.
N'y a-t-il pas, à terme, un risque de dissolution de ce fonds dans le FSE ? La plus grande vigilance s'impose pour éviter cette absorption qui ne pourrait se faire qu'au détriment de l'aide alimentaire.
Pouvez-vous répondre à mes inquiétudes ? Pouvez-vous nous indiquer l'état récent des négociations ? Pouvez-vous nous assurer que ce fonds sera bien créé ? Savez-vous quels seront les montants qui lui seront alloués ? Savez-vous si des garanties seront offertes pour préserver, autant que faire ce peut, les spécificités du programme et éviter qu'il soit, à court ou moyen terme, absorbé par le FSE ? Je vous remercie pour vos réponses. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)