Je voulais vous citer quelques témoignages que j'ai malheureusement laissés sur mon pupitre. Ces témoignages, recueillis par les associations, reflètent les difficultés du quotidien, pour une mère de famille vivant seule avec un adolescent disant que sans l'aide alimentaire elle ne pourrait plus vivre correctement ni même manger à sa faim, pour des personnes âgées, des personnes handicapées. Ce dont nous débattons ici, c'est d'une humanité qui souffre au quotidien.
La crise n'est ni un slogan, ni une fiction. C'est une dure réalité, synonyme de chômage et de précarité. C'est une réalité synonyme aussi de faim. C'est un terrible constat.
La pauvreté et les inégalités ne cessent de progresser. 120 millions de personnes sont menacées de sombrer dans la pauvreté ou l'exclusion sociale dans l'Union européenne. Parmi elles, quelque 40 millions souffrent de privation matérielle aiguë. L'aide alimentaire permet actuellement de répondre aux besoins grandissants de populations fragilisées dans un contexte de crise aggravée.
En France, 8,5 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté et pourraient donc en bénéficier. En plus des familles monoparentales et des chômeurs, recourent aujourd'hui à l'aide alimentaire les travailleurs pauvres, les étudiants et les personnes à la retraite.
Les associations nous disaient lundi dernier qu'elles estimaient à 10 % l'augmentation, chaque année, du nombre des bénéficiaires de leurs diverses aides.
Face à cette dégradation de la condition sociale de nos concitoyens, les dirigeants européens demeurent concentrés sur la satisfaction des desiderata des banquiers et autres marchés financiers, à la fois responsables et bénéficiaires de la crise.
Ces dirigeants me font penser à l'empereur Héliogabale qui servait à certains convives de très beaux plats qui étaient en fait des dessins figurant les mets au menu. Chaque convive devait être content. C'est ce genre de festin auquel certains États européens veulent convier les plus démunis.
Me reviennent aussi ces paroles terribles d'Eugène Varlin, le communard, le 22 mai 1868, devant la sixième chambre correctionnelle : « tant qu'un homme pourra mourir de faim à la porte d'un palais où tout regorge, il n'y aura rien de stable dans les institutions humaines ».
Le programme d'aide aux plus démunis, créé en 1987, arrive à son terme à la fin de la programmation pluriannuelle. Ce programme permettait à l'origine de transformer, acheminer et redistribuer les stocks invendus de l'agriculture européenne dans le cadre de la politique agricole commune. Les bénéficiaires en sont les citoyens européens les plus nécessiteux par le biais des banques alimentaires. En été, puisque les excédents se font rares et en l'absence de stocks d'intervention, les denrées sont achetées directement sur le marché.
La contribution européenne en nature s'est transformée en contribution financière représentant seulement, cela a été dit, un euro par Européen. Un euro seulement ! Elle est gérée par des associations nationales. En France, il convient de saluer le travail exemplaire réalisé par les quatre associations humanitaires qui gèrent cette aide grâce à la mobilisation de milliers de bénévoles : la Croix rouge, les banques alimentaires, le Secours populaire et les Restos du coeur. J'ai apprécié, madame la ministre, votre formule des « bénévoles experts » qui me semble bien correspondre à la fois au professionnalisme et au coeur mis dans l'exercice de leurs différentes actions par les associations. Pour ces quatre associations, cette aide représente de 25 % à 50 % des denrées alimentaires distribuées, soit 130 millions de repas par an.
Pour certains États qui se parent d'arguments juridiques pour tenter de masquer leur égoïsme, ce changement justifie la fin pure et simple du programme. Ils contestent, en effet, la reconduction du programme et s'opposent à son principe même. L'Allemagne, le Royaume-Uni et la Suède, faut-il les citer, considèrent que l'aide aux pauvres relève de l'action de chaque État et refusent donc de payer au niveau européen.
Début 2012, l'Allemagne, à qui nous avons fait passer quelques messages mardi dans nos différentes interventions, a obtenu la remise en cause de l'aide alimentaire par la Cour de justice européenne. Le dispositif actuel n'existera donc plus en 2014.
Dès lors, il est de la responsabilité de la France de défendre avec force le maintien d'un tel instrument de solidarité, avec les moyens nécessaires, dans ce contexte de crise. Quel paradoxe, en effet, de s'attaquer à ce dispositif de solidarité au moment même où sa nécessité se fait le plus sentir pour des millions d'Européens !
Les États avaient déjà obtenu en 2012 une restriction drastique du budget, qui était passé de 500 à 133 millions d'euros, ces mêmes États qui n'ont pas hésité à réunir des milliards pour sauver les banques…
Qu'en est-il de la position et de la proposition de la Commission ?
Dans ses propositions sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020, la Commission européenne a proposé en juin 2011 une enveloppe de 2,5 milliards d'euros pour un nouveau programme d'aide aux plus démunis. Elle a également proposé que ce programme soit désormais rattaché à la politique de cohésion et, plus particulièrement, au fonds social européen, au titre de l'inclusion sociale et de la lutte contre la pauvreté.
Le détail de ce que pourrait être ce nouveau programme d'aide aux plus démunis a été précisé dans une proposition législative présentée le 24 octobre 2012 par la Commission européenne. Celle-ci prévoit de créer un fonds européen d'aide aux plus démunis qui prendrait effet en 2014 et se substituerait à l'actuel dispositif.
Ce fonds est censé répondre aux besoins urgents et de première nécessité. Il se présente cependant comme un instrument global assurant l'aide matérielle sous forme de denrées alimentaires, mais aussi de vêtements et d'autres biens de base offerts aux sans-abri et aux enfants souffrant de privation matérielle. Autrement dit, le fonds proposé va au-delà de la distribution d'aide alimentaire.
En complément de l'aide matérielle, il permettrait également de mettre en oeuvre des mesures d'accompagnement visant la réinsertion sociale des plus démunis.
Si un tel dispositif présente un intérêt certain – je crois que nous pouvons tous en convenir –, il est pour le moins troublant que la répartition de l'enveloppe proposée entre les différentes dépenses éligibles au fonds ne soit pas précisée dans le détail. Or, nous connaissons tous la lourdeur des procédures pour obtenir ce type de financement européen. Il suffit de savoir les difficultés que de nombreuses structures peuvent rencontrer pour avoir accès aux fonds, par exemple du Fonds social européen. Il faut se mobiliser, préfinancer, déposer des dossiers, redéposer des dossiers, apporter des précisions… Tout cela représentera un travail supplémentaire pour les associations concernées. Même si elles sont expertes, elles sont bénévoles. Il faut bien mesurer ce que cela peut représenter.
Ce nouveau dispositif européen ne répond pas aux besoins réels de nos populations. Dans les négociations du cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020, la Commission a proposé d'allouer une enveloppe de 2,5 milliards d'euros au nouveau fonds pour la période 2014-2020, loin du montant de l'enveloppe actuelle qui correspondrait à 3,5 milliards d'euros sur la période 2014-2020, et ce pour le seul programme alimentaire. Il s'agit là, il ne faut pas en douter, d'une nouvelle manifestation de la politique d'austérité appliquée aux plus démunis.
Ce recul est accentué par deux données qui ne semblent pas avoir été prises en compte par la Commission : d'une part, les chiffres montrent que le nombre d'Européens vivant en dessous du seuil de pauvreté et bénéficiant de l'aide alimentaire, ne cesse de croître ; d'autre part, la perspective légitime de l'ouverture de ce programme à tous les États induit de nouveaux besoins que l'Europe ne saurait ignorer.
En cela, nous ne pouvons que soutenir la démarche des associations qui ont alerté les dirigeants européens sur la nécessité de couvrir les besoins mesurés par la Commission elle-même, a minima, soit 4,75 milliards d'euros.
L'Europe doit donc prendre ses responsabilités. Elle doit apporter un soutien budgétaire ambitieux à son nouveau fonds. À situation dramatique, solutions exceptionnelles ! À l'heure où ses dirigeants ont reçu le prix Nobel de la paix, l'Europe ne saurait rompre le pacte de solidarité en faveur des hommes et des femmes qui y vivent.
Il faudrait plus et mieux. La qualité l'aide alimentaire est une question à ne pas sous-estimer. S'alimenter est un besoin fondamental, mais c'est aussi déterminant pour une bonne ou une mauvaise santé. Les bénéficiaires de cette aide présentent souvent des troubles nutritionnels, pouvant induire des pathologies telles que le diabète ou des problèmes cardiovasculaires, selon une étude menée par l'Institut de veille sanitaire. Et puis, recevoir des produits de qualité, c'est nécessaire aussi pour l'estime de soi.
L'Europe ne doit pas, qui plus est en période de crise, oublier ses citoyens les plus pauvres. Il faut répondre réellement et durablement aux objectifs que l'Europe s'est fixés à l'horizon de 2020 en matière de lutte contre la pauvreté et permettre de nourrir 18 millions d'Européens.
Les pouvoirs publics doivent être conscients de la nécessité d'un programme européen garantissant un droit fondamental qui répond à un besoin vital, l'accès à une alimentation suffisante, de qualité, tout en permettant à chaque État de prendre les dispositions de mise en oeuvre au mieux de ses propres prérogatives.
Pour toutes ces raisons, nous estimons que le dispositif proposé par la Commission est insuffisant et nous nous félicitons que le gouvernement français puisse peser de tout son poids pour que le programme européen soit à la hauteur des besoins. Nous le demandons au nom de l'engagement de la France en faveur d'une Europe plus solidaire, en particulier dans une période de crise. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)