Madame la présidente, mesdames, messieurs, parfois un mot peut tout changer et vider de sa substance un dispositif même généreux. Cela sera malheureusement le cas du remplacement prévu à la fin 2013 du Programme européen d'aide aux plus démunis – PEAD – par le Fonds européen d'aide aux plus démunis – FEAD –, si le Conseil européen du 7 février prochain maintient en l'état la proposition actuelle de la Commission européenne.
Paradoxalement, alors que l'Union Européenne sait trouver des sommes colossales pour soutenir les marchés financiers, elle ferait alors la démonstration que la solidarité qu'elle organise pour ses concitoyens les plus fragiles est indigne de l'ambition de ses Pères fondateurs.
Mis en place il y a vingt-cinq ans par Jacques Delors, le PEAD qui, avec Erasmus, fait partie intégrante dans l'imagerie mentale de nombreuses générations de l'ADN de l'Europe, proposait initialement d'utiliser les surplus de la politique agricole commune pour aider à la distribution de denrées alimentaires aux plus pauvres. En 2008, les stocks ayant pratiquement disparu, les dons en nature furent remplacés par une enveloppe financière annuelle de 480 millions d'euros dont bénéficient, à ce jour, dix-huit millions d'Européens. Derrière l'aridité des chiffres, il y a, en effet, des hommes et des femmes et leurs familles. Ainsi, en France, les 72 millions alloués par ce programme permettent actuellement de distribuer 130 millions de repas à près de quatre millions de personnes par l'intermédiaire des banques alimentaires, de la Croix-Rouge française, des Restos du Coeur et du Secours populaire français. Ces acteurs associatifs s'inquiètent, à juste titre, de la réforme en cours. La disparition du PEAD dans ses contours actuels occasionnerait, en effet, de facto pour chacune d'elles une perte de 23 à 55 % de leur budget alimentaire annuel. Dans mon département, les Ardennes, où le taux de pauvreté frôle les 20 %, les Restos du Coeur font état d'une hausse de 4 % du nombre de repas distribués à mi-parcours de leur campagne d'hiver 2013. Dès lors, on ne peut que regretter que certains États membres de l'Union européenne et non des moindre tels que l'Allemagne y soient moins sensibles et s'opposent à ce programme de solidarité au motif que, s'agissant d'un programme social, il ne doit relever que des États membres et ne doit pas être financé sur les fonds de la politique agricole commune – la même PAC dont les traités européens fixent pourtant sans équivoque la mission première « d'assurer un approvisionnement suffisant en volume, en qualité et à des prix abordables » aux populations.
À ce stade de mon propos, permettez-moi, tout de même, de saluer à sa juste valeur le volontarisme social retrouvé par M. Le Maire sur ce dossier. Il n'en a pas toujours été ainsi. À cet effet, je vous invite à la relecture enrichissante des minutes du procès-verbal du Conseil européen de décembre 2011 où l'on peut lire que le Gouvernement Sarkozy, Fillon, Copé et Le Maire avait, sans piper mot, entériné la mort en l'état ou le coma artificiel du PEAD au 31 décembre 2013. Cette conversion doit assurément nous encourager dans notre travail de pédagogie et de conviction envers l'ensemble des États membres. Car aujourd'hui, c'est bien la question majeure de la suite qui est posée... Or, tel qu'il est actuellement envisagé par la Commission européenne sur la base d'un compromis entre les États, le Fonds européen d'aide aux plus démunis deviendrait, au 1er janvier 2014, un sous-ensemble du Fond social européen. Avec, sur la période 2014-2020, un budget de 2,5 milliards, la modification proposée représenterait une réduction drastique des crédits de près de 30 % en euros constants. De plus, ce ne serait plus exclusivement un instrument d'aide alimentaire puisqu'il engloberait l'ensemble des aspects de la précarité : alimentation, logement, besoins matériels, exclusion sociale. Il s'agira donc de faire plus avec moins, d'autant qu'il ne constituera pas une création, mais une réaffectation de budgets déjà existants au sein du FSE qui se voit ainsi lui-même amputé. Par ailleurs, si le PEAD ne bénéficiait qu'à dix-neuf États, le FEAD concernera tous les États. Cet élargissement d'assiette accroîtra encore la diminution des fonds alloués aux actuels États bénéficiaires. Enfin, l'aide ne serait plus directement versée aux associations, mais transiterait par les états qui devront la cofinancer à hauteur de 15 %, ce qui, en cette période d'austérité budgétaire, risque de devenir un obstacle majeur à la mise en oeuvre de l'aide.
Pour toutes ces raisons, je souscris sans réserve à l'ensemble des propositions portées collectivement par la commission des affaires européennes de notre assemblée à l'initiative de notre collègue Chantal Guittet.
L'action de l'Europe en direction des citoyens européens les plus démunis participe de l'émergence d'une identité européenne, d'une Europe des peuples face à l'Europe de la finance et du repli sur soi, d'une Europe sociale dont la nécessité se fait, chaque jour, plus sensible. Y renoncer, c'est renvoyer l'Europe vers une zone de libre-échange sans âme et rendre vaine toute ambition européenne, toute volonté d'harmonisation sociale, fiscale et environnementale, abandonner toute perspective de politique industrielle et de croissance européenne et même d'Europe de la défense. Dès lors, faisons en sorte de mettre en échec cette tentative assumée de moins-disant social et faisons en sorte que ce débat soit l'occasion d'un sursaut européen économique, social et moral.
Je fais confiance au Gouvernement et à notre ministre chargé des affaires européennes pour porter efficacement cette parole et l'ensemble de ces préoccupations lors du Conseil européen du 7 février prochain. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)