Intervention de Barbara Pompili

Réunion du 1er mars 2016 à 18h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Barbara Pompili, secrétaire d'état chargée de la biodiversité :

Mesdames et Messieurs les députés, j'allais dire « chers collègues », non seulement par la force de l'habitude, mais également parce que, bien que secrétaire d'État depuis le 11 février, je n'en reste pas moins considérée par votre assemblée pour quelques jours encore comme « députée non votante, membre du Gouvernement ». Cet état de fait illustre la nouveauté que représente pour moi cet exercice essentiel de l'examen en commission, vu de ce côté de la barrière. Avant que votre commission n'entame, en deuxième lecture, l'examen de ce projet de loi sur la biodiversité, ainsi que du texte qui permettra de créer cette Agence française pour la biodiversité dans laquelle nous plaçons tant d'espoirs, je vous dirai quelques mots sur la manière dont je conçois mon rôle aux côtés de Ségolène Royal, les relations que j'entends établir avec vous et les raisons qui m'ont amenée à accepter la fonction qui m'a été confiée par le Président de la République.

Vous en avez fait l'expérience au cours des années passées, je suis écologiste. Cela signifie que, à mes yeux, les deux enjeux principaux auxquels nous sommes confrontés sont la lutte pour le climat et la réponse aux menaces qui pèsent sur la biodiversité, qu'il s'agisse de la préservation d'espaces naturels indispensables à la vie ou du maintien d'espèces animales ou végétales dont la vitesse d'extinction atteint des niveaux inégalés du fait, pour l'essentiel, de l'activité humaine. Parce que je suis écologiste, j'ai la conviction que répondre à ces enjeux n'est pas qu'une nécessité, mais véritablement une opportunité de vivre mieux, de développer de nouvelles activités et de nouveaux projets, et de créer des emplois. Sur ces deux questions essentielles et intimement liées du climat et de la biodiversité, nous avons accompli un chemin déterminant dans la prise de conscience collective, et obtenu des avancées qu'il s'agit désormais de concrétiser.

L'année 2015 a permis de grandes réalisations en matière de climat : l'accord obtenu lors de la conférence de Paris, en décembre dernier, mais également la loi de transition énergétique et pour la croissance verte, que Ségolène Royal a portée et que votre assemblée a adoptée. De la même manière que 2015 fut l'année des grandes décisions sur le climat, 2016 doit être celle d'avancées majeures en matière de biodiversité. Au plan international, la fin de l'année verra l'organisation de la COP13 de la convention sur la biodiversité biologique. Au plan national, nous allons faire aboutir ensemble la loi sur la biodiversité – un texte dont Philippe Martin avait pris l'initiative, qui a été consolidé et porté par Ségolène Royal en première lecture ici même et au Sénat, et dont le pilotage de la fin du parcours législatif m'a été confié.

Chacun conçoit la responsabilité qui est la nôtre, et en premier lieu la vôtre, dans la lutte pour la conservation de la biodiversité. La France, notamment grâce à ses outre-mer, abrite un patrimoine considérable. Nous sommes comptables de la préservation d'un espace maritime majeur, le deuxième du monde après celui des États-Unis, et de zones naturelles uniques. Pour un pays qui tire du tourisme tant d'activités et d'emplois, et dont les habitants puisent leur force dans leur qualité de vie, les paysages, la faune et la flore constituent un enjeu à proprement parler existentiel.

La première lecture du texte, dans votre assemblée, avait permis d'enrichir le projet de loi, de le préciser sur de nombreux sujets et de trouver des points d'équilibre. Le texte issu des travaux du Sénat, voté à une écrasante majorité, par-delà les frontières partisanes, en a modifié ou affiné certaines dispositions, tout en en conservant l'esprit.

Permettez-moi de rappeler quelques points saillants. L'AFB, lieu d'expertise et de pilotage, pourra être opérationnelle dès la promulgation de la loi. Les modalités d'organisation de la future agence ont été précisées, en particulier en matière de partenariats avec les collectivités territoriales. Elles joueront un rôle clé dans le succès de la reconquête de la biodiversité et de la lutte contre le changement climatique dans les territoires. L'AFB rassemblera des réseaux de professionnels de haut niveau qui pourront s'appuyer sur les agents de terrain de l'agence. J'ai rencontré hier, avec Ségolène Royal, l'ensemble des membres des conseils d'administration des quatre organismes amenés à fusionner au sein de l'AFB. Cette démarche de préfiguration, voulue par la ministre, est un gage de succès, car, au-delà des mesures législatives et réglementaires, il y a les réalités humaines. Le nouveau secrétariat d'État à la biodiversité jouera un rôle de facilitateur, accompagnant les structures et les agents dans la création de l'AFB.

Le préjudice écologique sera inscrit dans la loi. Il conviendra de préciser encore et d'affiner les conditions de ce principe fondamental. Le Gouvernement vous propose un amendement en ce sens, qu'il nous faudra clarifier. Je suis sûre que le débat parlementaire permettra d'aboutir à une rédaction consensuelle.

La ratification du protocole de Nagoya dès l'adoption de la loi concrétisera un engagement international pris en 2010. La France se donnera ainsi les moyens d'innover sans piller. Si une société exploite une molécule issue de la recherche sur des plantes, des animaux ou des bactéries, et que son exploitation lui permet de développer un marché commercial, elle devra partager avec ceux qui ont contribué à préserver les ressources génétiques une partie des avantages qu'elle en retirera. C'est un retour juste et plus équitable qui permettra d'éviter la biopiraterie. Ce dispositif, sur lequel vous aviez beaucoup travaillé en première lecture, a été enrichi au Sénat pour inciter à la création d'emplois locaux par les sociétés qui utilisent la biodiversité, à la sensibilisation du public et à la formation des professionnels locaux, en étant davantage à l'écoute des communautés d'habitants qui ont des connaissances traditionnelles, notamment dans les outre-mer.

Le principe impliquant d'éviter les atteintes à l'environnement, à défaut, de les réduire, et dans le pire des cas, faute d'autres options, de les compenser sera inscrit dans le code de l'environnement. Le système de compensation en sortira consolidé ; chacun mesure à quel point c'est essentiel. C'est une condition à la fois de notre capacité à atteindre les objectifs que nous nous fixons en matière de biodiversité et à établir la confiance avec les populations, qui bien souvent doutent de l'efficacité de ces compensations.

Le brevetage des gènes natifs est interdit dans ce projet de loi, pour lever le frein à l'innovation que constitue la multiplication des dépôts de brevets sur le vivant et la concentration croissante des détenteurs de ces brevets.

Afin de limiter les effets négatifs des pesticides de la famille des néonicotinoïdes sur les abeilles et autres pollinisateurs, le Sénat a décidé que l'utilisation de ces pesticides serait encadrée par un arrêté ministériel, conformément au récent avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Il reviendra à l'Assemblée d'examiner cette disposition qui s'inscrit par ailleurs dans le plan national « France, terre de pollinisateurs » lancé par Ségolène Royal en 2015.

La protection de la biodiversité marine est renforcée avec notamment l'introduction, dans notre corpus législatif, des dispositions permettant la création de la cinquième plus grande réserve marine du monde dans les eaux des terres australes françaises, la création des zones de conservation halieutique pour une gestion durable de la faune et de la flore marines, et l'obligation d'une autorisation pour les activités de recherche ou d'extraction en haute mer en zone économique exclusive et sur le plateau continental.

De nouvelles mesures sur les paysages viendront compléter les dispositifs actuels, avec la généralisation des plans de paysage et des atlas, et le soutien à la reconnaissance des paysagistes.

J'ajoute enfin que vos travaux sont très suivis par les entreprises de la croissance verte et bleue, et par les chercheurs qui innovent et permettent les créations d'emplois dans le domaine du vivant, des technologies vertes et de la nature. Pour ces acteurs, le vote de ce projet de loi constituera un signal clair de soutien à leur développement.

Cette liste de points saillants est loin d'être exhaustive et n'épuise pas l'apport du texte que nous nous apprêtons à examiner ensemble, riche de dispositions qui permettront de mieux préserver la biodiversité. Je veux surtout vous dire l'état d'esprit qui m'anime, et qui anime le Gouvernement, en ouverture de vos travaux. J'entends faire preuve tout à la fois d'écoute, de sagesse et d'humilité. La sagesse se traduit par un nombre réduit d'amendements du Gouvernement : nous considérons en effet que l'équilibre issu de la première lecture, s'il peut être peaufiné et précisé – c'est votre rôle –, doit être globalement préservé afin de permettre l'adoption la plus large et la plus rapide possible. C'est nécessaire pour que la loi soit promulguée avant l'été et pour que l'AFB soit créée selon le calendrier annoncé. Je sais, Madame la rapporteure, votre vigilance sur ce dernier point. Nous entendons également faire preuve d'humilité : l'immensité de la tâche et de l'enjeu nous y invite, mais également l'histoire législative de notre pays. Nous nous devions d'intégrer dans notre droit les grands principes développés par la communauté internationale et les obligations juridiques internationales auxquelles notre pays a souscrit, en particulier la Convention sur la diversité biologique ; avec cette loi, ce sera chose faite. Mais n'oublions pas que ce texte n'est pas le premier qui traite, sciemment ou de manière implicite, de la biodiversité : il s'inscrit dans une histoire législative marquée notamment par la loi de 1976 sur la protection de la nature et sur celle de 1993 sur les paysages, présentée – déjà – par Ségolène Royal.

Les grandes lois sont souvent le fruit de consensus larges. Ce texte sur la biodiversité n'est pas le premier et ne sera pas le dernier. Il constituera une réussite dès lors qu'il sera le plus ambitieux que l'on puisse élaborer et faire adopter aujourd'hui. Il ne clora pas certains débats qui continueront de traverser la société française et qui trouveront sans doute ultérieurement de nouvelles traductions législatives, mais il permettra d'avancer concrètement, de manière pragmatique, efficace, et – je le souhaite – la plus consensuelle possible. C'est en tout cas l'état d'esprit qui est le mien au début de vos travaux.

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