Madame la présidente, madame la ministre, madame et monsieur les rapporteurs, chers collègues, « triste période que celle que nous vivons, quand ceux qui sont déjà privés de tout et n'ont d'autre recours que la rue ne trouvent plus de réponses à leur détresse ». Ces mots de Jean Claude Driant, de la Fondation Abbé-Pierre, illustrent bien toute l'étendue des enjeux du débat que nous avons aujourd'hui. En effet, s'interroger sur notre politique d'hébergement d'urgence, c'est au fond s'interroger sur le modèle de société que nous souhaitons construire : voulons-nous une société de la main tendue, ou une société du poing fermé ?
Le rapport rédigé au nom du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur la politique de l'hébergement d'urgence est une somme, comme l'on disait autrefois des traités ou des oeuvres de référence présentant l'état complet des connaissances et des réflexions sur un sujet.
Aussi, avant d'en aborder quelques-uns des aspects les plus saillants et les plus nécessaires, permettez-moi d'adresser au nom de mes collègues du groupe UDI nos remerciements et nos félicitations pour leur travail remarquable à ses deux rapporteurs, Danièle Hoffman-Rispal et Arnaud Richard. Nos remerciements s'adressent également à la Cour des comptes qui, en vertu de l'article 47-2 introduit dans la Constitution en 2008, a prêté assistance à nos rapporteurs, en produisant un rapport d'évaluation de la politique publique d'hébergement des personnes sans domicile, rapport qui a fourni le socle indispensable à certaines des propositions de nos deux rapporteurs.
L'alternance politique et une forme de hasard du calendrier parlementaire nous amènent aujourd'hui à examiner ce travail pour suggérer les suites qui pourraient lui être données, plus de deux ans après que le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques a diligenté cette mission ; c'était le 28 octobre 2010.
Mais le hasard fait parfois bien les choses, puisque le Premier ministre a présenté lundi dernier un plan national de lutte contre la pauvreté, qui prévoit notamment la création de 9 000 places nouvelles pour l'hébergement classique et l'accueil des demandeurs d'asile.
Ce plan se fonde sur un rapport ambitieux, qui nous semble s'inscrire dans la continuité de celui qui est soumis à notre discussion. Il propose notamment que la législature soit structurée par l'adoption rapide d'une loi de programmation, valable pour l'ensemble des volets du plan de lutte contre la pauvreté et l'inclusion sociale. Pour les questions relatives aux personnes sans abri ou mal logées, il propose d'opérer dans l'immédiat, au premier trimestre 2013, un diagnostic territorial complet, de la rue au mal-logement, en passant par l'habitat indigne.
Et sous l'appellation « 20 000 solutions nouvelles », il propose pour l'année 2013, la mise en service de 10 000 logements ordinaires ou accompagnés – résidences sociales ou pensions de famille – et de 10 000 en réponse hébergement – dont 5 000 places généralistes et 5 000 en CADA –, auxquelles devrait idéalement s'ajouter la budgétisation de 5 000 places d'accompagnement social.
Pour mémoire, le Gouvernement a prévu en 2013, sur le volet hébergement, 4 000 créations de places généralistes. Le rapport évoque aussi l'engagement du Président de la République d'ouvrir 15 000 places nouvelles sur l'ensemble du quinquennat.
La concordance des temps entre ces deux rapports est de bon augure, même si elle aurait pu utilement se traduire par une discussion coordonnée, initiée, pourquoi pas, dans cette enceinte.
D'autant que, dans la loi de finances initiale pour 2013, les crédits du programme 177 se situent à un niveau très légèrement en retrait par rapport à l'exécution 2011, ce qui pose la question de la capacité de créer effectivement les 4 000 places d'hébergement d'urgence supplémentaires en 2013.
Il ne s'agit évidemment pas de dire que les solutions sont simples et qu'elles se résumeraient aux seules données budgétaires. Mais si l'on commence par là, il me semble préférable de ne pas promettre ce que l'on n'est pas assuré de pouvoir tenir.
Le sujet est sensible. Mais il est également complexe. La politique du logement d'urgence, c'est, en effet, un grand écheveau, constitué d'une myriade d'acteurs : l'État, les conseils généraux, les centres d'hébergement, les maisons d'accueil, les structures d'accueil de jour et de nuit, les SAMU sociaux, les locaux du 115. Dans cet écheveau constitué de compétences diverses et de situations humaines et territoriales singulières, la politique d'hébergement d'urgence apparaît comme un continuum, qui commence avec la veille sociale, travail de premier contact des médiateurs et des maraudes. Elle se poursuit avec l'hébergement d'urgence proprement dit, qui comprend le gîte, le couvert, l'hygiène et une première évaluation médicale, psychique et sociale. Mais elle concerne également l'hébergement d'insertion, fourni par les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, les CHRS. Enfin, elle vise un ensemble de prestations que sont notamment le suivi médico-social, l'intermédiation locative, ou encore l'accompagnement vers et dans le logement.
Il ressort de ces premiers constats que la réflexion sur l'hébergement doit faire l'objet d'une pensée globale et d'une réforme d'ensemble. Cela veut dire très simplement que la réussite d'une politique pour le « logement d'abord » – je cite les rapporteurs – passe par la constitution d'une chaîne intégrée, allant de la mise à l'abri la plus urgente à l'accès au logement de droit commun. C'est le sens de ce rapport, qui vise plusieurs pistes fondamentales pour y parvenir.
Il apparaît d'abord d'évidence que l'offre n'est pas parvenue à la hauteur de la demande. 87 400 places d'hébergement d'urgence ont été financées en 2010, alors que la Cour des comptes évalue le besoin à 150 000 places. Il resterait donc 62 500 places manquantes à financer.
Ce constat a permis de mettre en exergue le coût de cet hébergement d'urgence, qui apparaît supérieur à celui d'un logement adapté, alors même que les prestations d'habitation y sont de moindre qualité. Les rapporteurs ont donc très justement recommandé de fluidifier le système, afin de favoriser les sorties positives vers le logement, ce qui permettrait d'augmenter le nombre de places en logement adapté et de créer les conditions d'un accompagnement social dans le logement.
Mais le même constat a conduit les rapporteurs, qui se sont interrogés sur le sujet, à viser une meilleure corrélation entre l'offre et la demande, ainsi qu'une plus fine coordination entre tous les acteurs, qui ont pu, ici et là, développer une activité calée sur un périmètre très localisé. La conclusion des rapporteurs est claire : il est indispensable que l'État demeure le maître d'oeuvre d'un service public de l'hébergement.
Ce principe d'organisation doit obéir à une stratégie d'efficience, qui permette une meilleure réactivité du service public, un chemin plus rapide vers le droit commun et, au final, une réduction du nombre des personnes vivant dans la rue. Il suppose une action conjointe de l'État et des conseils généraux.
Les rapporteurs identifient précisément les outils de cette politique coordonnée.
Il s'agit des commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives, pour mieux les prévenir.
Il s'agit également des services intégrés d'accueil et d'orientation, ainsi que des plans départementaux d'accueil, d'hébergement et d'insertion pour mettre en relation et en adéquation l'offre et la demande d'hébergement et de logement.
Enfin, pour réussir le « logement d'abord », les rapporteurs proposent de créer des logements sociaux, notamment des logements très sociaux, de développer l'intermédiation locative et les maisons relais, de sortir de l'hébergement conventionnel toute personne apte à habiter un logement et d'accompagner socialement les personnes qui en intègrent un.
Cette politique volontariste de production de logements doit trouver écho auprès de l'État, mais elle ne saurait se limiter à la seule France métropolitaine, car la question du logement est centrale outre-mer, particulièrement en Nouvelle-Calédonie, d'où je viens et où les pouvoirs publics se contentent de légaliser les squats plutôt que de construire. On peut le déplorer.
Les opérateurs associatifs doivent occuper une place majeure dans cette refondation aussi sera-t-il important que le monde des travailleurs sociaux étende son activité au-delà des murs des centres d'hébergement, en direction des personnes qui ont besoin d'être accompagnées socialement dans leur logement.
Rappelons, pour conclure, que la pauvreté frappe aujourd'hui 8,6 millions de personnes. Nous ne pouvons rester immobiles face à des chiffres qui explosent. La crise de plus en plus aiguë n'épargne personne car les hausses conjuguées du chômage et du coût de la vie ne cessent d'aggraver l'exclusion.
La représentation nationale a le devoir d'agir et d'agir rapidement.
Vous l'avez compris, le groupe UDI est favorable à l'ensemble des propositions des rapporteurs. Il est évident que beaucoup reste à faire en matière de lutte contre la pauvreté, mais l'Abbé Pierre disait : « On ne peut pas, sous prétexte qu'il est impossible de tout faire en un jour, ne rien faire du tout. » (Applaudissements sur de nombreux bancs.)