Nous sommes donc réunis aujourd'hui, dans le cadre de cette « semaine de contrôle », pour débattre ensemble de l'hébergement d'urgence et en particulier des suites de l'excellent rapport de nos collègues Danièle Hoffman-Rispal et Arnaud Richard pour le Comité d'évaluation et de contrôle.
Je salue le travail républicain réalisé par les rapporteurs. Plus globalement, il est heureux que, sur certains sujets, nous puissions nous rassembler.
Je suis convaincue que chaque chute des températures, encore constatée ces derniers jours, nous interpelle, nous indigne et nous révolte tous, intimement, sur le sort des plus fragiles qui vivent dans la rue, et qui parfois y meurent tragiquement.
Alors, il ne s'agit pas de faire de l'émotionnel, mais de prendre conscience de l'impérieuse nécessité de chercher sans cesse des réponses efficaces. Espérons que notre débat participera modestement à ce travail.
Ce sujet majeur a été récemment aggravé par la crise économique et sociale.
L'hébergement d'urgence, c'est l'exigence d'apporter une assistance à une personne en danger, à assurer à toute personne en détresse, dans l'urgence, un hébergement et, le plus tôt possible, une aide à l'insertion.
C'est la mission quotidienne de tous les acteurs impliqués au quotidien dans cette problématique, je pense en particulier aux associations qui font un travail exceptionnel, et je tiens à les féliciter toutes chaleureusement.
Les dispositifs mis en oeuvre pour faire face au défi de l'exclusion, pour améliorer le pilotage par les départements ou pour accroître l'offre d'hébergement, se limitent trop souvent à une mise à l'abri temporaire des bénéficiaires. Notre responsabilité d'élus est de rechercher des solutions ensemble en nous mobilisant chacun à notre niveau.
Cette mobilisation est d'autant plus indispensable que la crise économique et sociale a aggravé les difficultés des sans-abri et des personnes mal logées proches de la rue. Et nous savons aujourd'hui que les accidents de la vie déclenchent plus rapidement qu'avant la perte du logement.
Depuis une dizaine d'années, le constat est clair : non seulement nous ne construisons pas assez de logements en général, mais nous ne construisons pas assez de logements sociaux ou très sociaux, ni de logements adaptés aux populations les plus défavorisées.
Concernant l'hébergement d'extrême urgence, selon le dernier baromètre du 115, dévoilé le 5 décembre dernier, la prise en charge des sans-abri s'est encore détériorée depuis un an. Dans les trente-sept départements étudiés, les demandes d'hébergement ont augmenté de 37 % par rapport au mois de novembre 2011.
Le dispositif actuel ne parvient plus à répondre aux besoins : le taux de réponses négatives atteint 78 % et cette situation se propage jusque dans des territoires épargnés, touchant de plus en plus de familles et de jeunes – on note une hausse de 60 %.
Le Gouvernement a choisi cette année de faire face à cet afflux important en mobilisant le maximum de places supplémentaires sans attendre la baisse des températures.
Madame la ministre, vous avez décidé de ne pas agir « uniquement en fonction du thermomètre », et cela donne, concrètement, 3 000 places supplémentaires. Bravo !
Enfin, un plan de 50 millions d'euros pour l'hébergement d'urgence a été débloqué dès septembre et consacré à l'ouverture de nouveaux lieux d'accueil et à l'accompagnement social des familles vers un logement pérenne.
Vous avez affiné le fléchage géographique des crédits : la moitié pour l'Île-de-France, où la situation est critique, l'autre moitié pour les régions, là où les besoins sont les plus forts.
C'est un problème qui revêt un caractère saisonnier, car c'est l'hiver, pendant les grands froids, que l'hébergement d'urgence est une nécessité littéralement vitale.
Si les statistiques montrent que les sans-abri meurent plus l'été que l'hiver, c'est peut-être aussi parce que c'est au cours de la période hivernale qu'ils sont le mieux accompagnés.
Mais la logique saisonnière a ses limites, et je salue la volonté du Gouvernement d'en sortir. Le rapport de nos collègues montre en effet qu'il s'agit aujourd'hui de dépasser cette logique qui a des effets pervers et n'offre pas de solutions pérennes.
Pour la prévention, les préfets de région devront mettre en place d'ici à la fin du mois des projets territoriaux, destinés à renforcer la prévention des expulsions locatives, à pérenniser si nécessaire certaines places d'hébergement et à éviter que soient remis à la rue, à la fin de l'hiver, les personnes sans abri.
Pour lutter de manière pérenne contre les phénomènes d'exclusion, l'offre de logements doit être clairement renforcée et adaptée aux besoins. Le budget 2013 est une première réponse, avec une augmentation de 13 % consacrée à l'hébergement d'urgence. La récente loi sur la cession de foncier au profit du logement social est aussi une partie de la réponse.
Mais cela ne suffit pas.
Les dispositifs et les modes de prise en charge de l'hébergement d'urgence se sont accumulés et diversifiés au cours du temps. Le rapport montre bien que, sans politiques publiques cohérentes, les écarts se sont creusés, en termes d'efficacité et de coût des interventions, selon les territoires et selon les associations.
La loi du 29 juillet 1998 a tenté de pallier ce défaut en créant un dispositif global de veille sociale, mais il s'avère insuffisant. Il reste des situations sans réponses adaptées. Un exemple souvent cité est le manque de places pour accueillir les femmes ou les familles.
On observe aussi un manque de coordination des associations pour les maraudes. On sait qu'un SDF, à Paris, peut recevoir jusqu'à cinq visites des équipes des associations au cours d'une seule nuit, alors que, deux rues plus loin, d'autres ne voient personne.
Concernant l'encadrement législatif, la loi sur le droit au logement opposable, dite DALO, du 5 mars 2007 et la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion améliorent l'accompagnement personnalisé. Mais ces dispositifs nécessaires, qui partent d'une bonne intention, ont montré leurs limites et leurs effets indésirables.
Concernant le DALO, madame la ministre, votre circulaire en date du 26 octobre dernier, qui oblige les préfets à mettre en oeuvre le relogement effectif des ménages reconnus prioritaires avant la date à laquelle leur expulsion pourrait avoir lieu, et qui instaure des aides supplémentaires permettant de réduire le délai de relogement des ménages ayant accumulé des dettes locatives, est certes une avancée louable. Mais les associations s'inquiètent des moyens dont vous allez disposer pour assurer la mise en oeuvre de cette circulaire. Nous comptons sur la hausse de la taxation des logements vacants pour répondre en partie au problème, sachant que deux à trois millions de logements vacants sont disponibles.
Pour répondre à ces exemples d'insuffisances que souligne le rapport, les auteurs formulent quatorze propositions. Certaines sont déjà mises en oeuvre par le Gouvernement et je voudrais, sans prétendre hiérarchiser leur importance, insister dans mon propos sur certaines d'entre elles.
D'abord, de façon temporaire, nous l'espérons, poursuivre la pérennisation engagée des places supplémentaires ouvertes chaque hiver dans les zones les plus tendues me semble essentiel, notamment pour éviter les polémiques stériles sur les réquisitions. Mais si elles doivent rester la solution, qu'on y ait recours !
Pour améliorer prévention en période de crise, la proposition numéro 4 est excellente : elle vise à orienter l'activité des commissions départementales de coordination des actions de prévention des expulsions locatives vers l'étude des dossiers individuels d'impayés de loyer, notamment les plus complexes et les plus susceptibles de provoquer la mise à la rue des ménages concernés.
Pour perfectionner la gouvernance, il fau qu'à brève échéance une seule direction d'administration centrale soit chargée de la conception et de la mise en oeuvre de la politique d'hébergement et d'accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées.
Dans le même esprit d'amélioration de la gouvernance, la création de lieux de dialogue et d'échange rassemblant, aux niveaux national et déconcentré, les opérateurs associatifs et l'État, afin d'envisager les meilleures modalités d'organisation et de mise en oeuvre du service public de l'hébergement et de l'accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées, serait un progrès considérable, qui ne coûterait rien ou presque et ne serait guère compliqué à mettre en oeuvre.
Enfin, procéder à la création de « plateaux techniques » constitués notamment de travailleurs sociaux des actuels centres d'hébergement afin d'assurer l'accompagnement social dans le logement des personnes bénéficiaires de la stratégie du « logement d'abord » est une proposition novatrice, que les associations compétentes appuient à juste titre.
Mes chers collègues, une société juste, c'est d'abord une société dans laquelle les plus défavorisés le sont le moins possible.
Comme l'a écrit il y a quarante ans John Rawls dans son essai Théorie de la justice,un des critères fondamentaux pour évaluer le degré de justice sociale d'une société est le fameux principe du « maximum ». Autrement dit, une société juste se reconnaît à la façon dont elle traite les plus fragiles, les plus démunis.
Depuis quelques années, plusieurs rapports auront été consacrés aux questions d'hébergement d'urgence et nous disposons d'une meilleure connaissance des problématiques et de beaucoup de propositions.
Nous avons le devoir collectif de les mettre en oeuvre. Mobilisons-nous tous sur l'hébergement d'urgence qui est, en métropole comme en outre-mer, vous l'avez dit, ma chère collègue, plus que jamais, un devoir de solidarité nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)