Intervention de Michel Piron

Réunion du 2 mars 2016 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Piron :

La proposition de loi que nous examinons ce matin est présentée comme une réponse aux récents mouvements et aux concentrations qui agitent le monde des médias.

Face au « danger » que ferait courir la constitution d'un grand groupe de presse ou d'audiovisuel, l'Assemblée devrait légiférer. L'ambition serait presque noble si la réalité n'était tout autre et infiniment plus complexe. Sous couvert d'un nom de baptême un tant soit peu provocant, ce texte pose davantage de questions qu'il ne résout les problèmes dénoncés. Pis encore, cette proposition de loi témoigne d'une conception pour le moins désuète de la mission de régulation dans un paysage audiovisuel bouleversé par le développement de l'économie numérique et électronique.

Que dire tout d'abord du renforcement du rôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel en matière « d'honnêteté, d'indépendance et de pluralisme de l'information et des programmes » et de l'installation sous son contrôle de comités éthiques ? C'est une nouvelle instance qui, en quelque sorte, veut décréter la vertu. Cela peut poser question…

Depuis longtemps, les députés du groupe Union des démocrates et indépendants émettent de sérieuses réserves sur l'indépendance du CSA en raison, notamment des modalités de nomination de ses membres. En effet, aucune exigence ni de compétences, ni de qualité, ni de légitimité ne leur est demandée. Aussi, permettez-nous de douter de l'impartialité de cette institution. Dès lors, face à l'idée de faire du CSA le nouveau juge de l'honnêteté, de l'indépendance et du pluralisme de l'information et des programmes, vous comprendrez aisément que nous soyons sceptiques et même inquiets.

À de très rares exceptions, tout à fait condamnables, force est de constater que les rédactions françaises travaillent et éditent librement. Les rédactions de Libération, d'iTÉLÉ, de L'Express ou encore du Monde, pour n'en citer que quelques-unes, s'organisent et se sont déjà mobilisées afin que les organes de presse demeurent indépendants de leurs actionnaires respectifs.

Dans le même temps, les industriels et les dirigeants ont bien compris les risques relevés par Chateaubriand lorsqu'il écrivait que « plus vous prétendez comprimer la presse, plus l'explosion sera violente ; il faut donc vous résoudre à vivre avec elle ».

Par ailleurs, le temps du monopole de la presse et de l'audiovisuel est aujourd'hui largement révolu. Internet et les réseaux sociaux ne jouissent toujours d'aucun contrôle en matière d'indépendance ou de pluralisme. Or c'est principalement sur ces supports que la nouvelle génération s'informe.

Que dire enfin de l'extension à tous les journalistes du principe de l'indépendance rédactionnelle ? Il nous semble, là encore, qu'il faut faire confiance aux journalistes et ne pas légiférer à tout-va. Les journalistes bénéficient d'ores et déjà du recours à la clause de conscience en cas de désaccord avec la ligne éditoriale. Par ailleurs, le journaliste connaît et a priori adhère à la ligne éditoriale du journal ou de la chaîne lorsqu'il prend la décision de s'associer à la rédaction. Sauf à vouloir nier la légitimité même d'une ligne éditoriale plutôt que de créer de nouvelles règles et des structures ex nihilo, pourquoi ne pas faire confiance à ceux qui sont les premiers concernés ?

Les journalistes connaissent leur métier et en saisissent les enjeux. Albert Londres l'exprimait ainsi : « Je demeure convaincu qu'un journaliste n'est pas un enfant de choeur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. [Leur] métier n'est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ».

Cela pourrait nous inspirer, s'agissant notamment de l'article 1er, non seulement une grande prudence, mais surtout une forte réticence.

Pour toutes ces raisons, le groupe Union des démocrates et indépendants ne soutiendra pas cette proposition de loi.

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