Nous n'avons pas de doutes sur la sincérité de vos convictions quant à la nécessité de défendre voire de renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias. En revanche, nous sommes convaincus que l'objectif recherché ne sera pas atteint. Votre texte fait peser une menace sur le bon fonctionnement de la presse, voire sur la presse elle-même.
Vous souhaitez en finir avec le poison du soupçon mais peut-être devrions-nous commencer par ne pas l'alimenter. Essayons de ne pas toujours penser que les patrons de presse, les directeurs de publication, ou certains journalistes sont malhonnêtes, corrompus ou dépendants de telle ou telle puissance de l'argent. Essayons de ne pas faire des lois pour un ou deux exemples dont nous avons connaissance puisque, contrairement à ce qu'on entend, la liberté de la presse est totale dans ce pays. N'adoptons pas un texte qui viendrait parasiter le bon fonctionnement de la presse.
Comment justifier une telle urgence, sauf à reconnaître qu'il s'agit d'une loi de circonstance alors que tant d'autres sujets méritent notre attention de législateur ?
Les dispositifs légaux qui permettent de garantir la liberté et l'indépendance des journalistes existent, vous l'avez rappelé : clause de cession, clause de conscience, droit de la propriété intellectuelle. Vous indiquez dans votre rapport que le refus de signer des oeuvres altérées ne peut constituer un manquement professionnel, comme le garantit le droit de la propriété intellectuelle. Les journalistes ont déjà les moyens d'être protégés et de garantir l'intégrité de leurs oeuvres.
Le texte porte atteinte au fonctionnement des entreprises puisqu'il va le judiciariser. Vous reconnaissez dans votre rapport que le périmètre exact de la notion d'intime conviction professionnelle devra être précisé par le juge. Cette disposition risque de nourrir un contentieux permanent au sein des rédactions, de perturber leur fonctionnement normal et de favoriser l'autocensure.
Nous sommes plutôt favorables aux comités d'éthique – de nombreuses initiatives existent déjà dans les organes de presse. Pour autant, il nous semble important de ne pas mêler le CSA à cette question. Laissons les sociétés de journalistes et les directions d'entreprise créer ces comités. Le CSA exerce déjà de multiples tâches – on sait les conflits d'intérêts qui peuvent naître de son double rôle de tutelle de l'audiovisuel public et de régulateur du secteur de l'audiovisuel –, n'y ajoutons pas le rôle de censeur de la presse. Ce serait très grave pour le bon fonctionnement de la presse.