Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du 2 mars 2016 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

Je remercie tout d'abord l'ensemble des membres de la commission des finances, pour ces questions nombreuses et riches. Effectivement, j'en regrouperai certaines, en espérant n'en oublier aucune.

Permettez-moi tout de suite, monsieur Lassalle, de vous remercier pour l'appréciation que vous portez sur les services de la Banque de France à Pau. Elle leur sera transmise, et je me permets de penser que, par votre intervention, vous vous faites presque le porte-parole d'autres départements.

Madame la rapporteure générale, la question du parallèle avec 2008 est effectivement souvent posée. En matière de pronostic, il faut toujours être prudent, la vie économique et financière pouvant toujours nous réserver des surprises. Néanmoins, il y a une très grande différence avec la situation de 2008 : la solidité accrue du secteur bancaire. Ce n'est pas un hasard, c'est le résultat de notre action collective, si j'ose dire, en particulier de l'action du législateur que vous êtes, mesdames et messieurs les députés. En 2008, c'est un secteur bancaire fragile en termes de fonds propres et plus fragile encore en termes de liquidité qui s'est confronté aux incertitudes boursières et économiques. Souvenez-vous que nous sommes entrés dans le dur de la crise au mois de septembre 2008 avec la faillite de Lehman Brothers, due à un défaut non pas de solvabilité, par manque de fonds propres, mais de liquidité, par manque de trésorerie.

Aujourd'hui, la situation des banques, à l'échelle internationale mais particulièrement en Europe, a fortiori en France, est beaucoup plus solide en termes de fonds propres. Plus encore, la situation de liquidité est radicalement différente : les banques sont en situation d'excédent de liquidité. Voilà qui peut répondre à certaines questions sur la transmission de la politique monétaire, car c'est la justification des taux négatifs pratiqués par la BCE. Si une banque commerciale dépose son excédent de liquidités à la BCE, elle est pénalisée par un taux négatif de - 0,3 % ; cela illustre bien le fait que nous sommes dans une situation de liquidité radicalement différente de celle de 2008. Aujourd'hui, le crédit aux entreprises comme aux ménages ne risque pas d'être brutalement freiné en raison de tensions sur la liquidité. Il nous appartient de rester extrêmement vigilants – j'y reviendrai à propos des bulles et des mesures macroprudentielles – mais, en ce qui concerne le secteur financier, le paysage de 2016 est objectivement différent de celui de 2008.

Quant à la titrisation, les montants concernés restent significativement inférieurs à ce qu'ils étaient avant 2007. C'est vrai aux États-Unis, mais cela l'est tout autant en Europe. La titrisation est une question sensible, dont nous avions d'ailleurs eu l'occasion de parler lors de mon audition du 29 septembre dernier. Nous partageons largement la conviction qu'elle ne peut s'envisager que dans des conditions de sécurité beaucoup plus grandes qu'avant 2007. Au prix de ces conditions, la titrisation peut, je le redis, être un instrument utile, parmi d'autres, au financement de l'économie.

L'essentiel est cette sécurité accrue. Où en sommes-nous aujourd'hui ? Les banques centrales, en particulier la Banque d'Angleterre et la BCE, puis le comité de Bâle, ont conduit un certain nombre de travaux. La balle, si j'ose dire, est aujourd'hui à Bruxelles, avec une initiative de la Commission européenne qui propose des critères d'une titrisation de meilleure sécurité, que résument trois initiales qui reviennent tout le temps : S, pour simple ; T, pour transparente ; C, pour comparable. Le moins qu'on puisse dire, c'est que la titrisation ne remplissait pas ces critères avant 2007, notamment aux États-Unis. Cette proposition de la Commission est aujourd'hui sur la table du Conseil et du Parlement européen, mais les débats commencent seulement. Ce sujet est par ailleurs éminemment technique et il est très délicat de trouver le point d'équilibre qui permette de recourir, à titre subsidiaire ou complémentaire, cet instrument de financement dans des conditions de sécurité accrue ; nous pourrons en reparler lorsque ce débat européen aura avancé. Aujourd'hui, la proposition de la Commission européenne peut être jugée à la fois, du côté du Parlement européen, un peu trop ouverte et, du côté des professionnels, insuffisamment ouverte pour permettre le développement de la titrisation. Ces critiques des deux côtés n'impliquent pas forcément que la proposition de la Commission soit la bonne mais je crois que ce débat doit se poursuivre.

Monsieur Chartier, nous partageons ce constat dont nous pouvons nous féliciter collectivement : en termes de solvabilité comme de liquidité, la situation a radicalement changé – et il était important d'avancer sur ces deux fronts. La question de l'application de Bâle III en dehors de la zone euro, notamment aux États-Unis, est légitime, et très souvent posée. Globalement, la régulation y a aussi été très significativement renforcée, en prenant le cas échéant des formes juridiques différentes – je songe à la loi Dodd-Franck qui a sensiblement durci les règles applicables aux banques. Aujourd'hui, les exigences de solvabilité comme de liquidité applicables aux banques américaines sont relativement comparables aux règles qui s'appliqueront aux banques européennes. Nous devons être attentifs à ce qu'il en soit de même à l'échelle internationale, l'application de Bâle III à certaines banques de pays émergents ou du continent asiatique pouvant susciter un peu plus d'interrogations.

La pondération des risques est cependant un point de débat entre l'Europe et les États-Unis. Ce fameux ratio de solvabilité rapporte les fonds propres « durs » à des risques pondérés par l'application des modèles internes aux banques. C'est assez logique, un crédit à un État souverain étant moins risqué qu'un crédit à un particulier ou à une PME. Les États-Unis ont tendance, pour leur part, à retenir une approche plus standard, c'est-à-dire qu'ils utilisent beaucoup moins ces modèles internes des banques et ne pondèrent pas les différents risques au bilan. Cette approche nous semble moins justifiée du point de vue de la sensibilité au risque, parce qu'elle peut pousser les établissements à prendre davantage de risques, ainsi que du point de vue de la réalité économique. Cela dit, des travaux sont prévus, dans le cadre du comité de Bâle, pour assurer la plus grande comparabilité entre cette approche fondée sur les modèles et cette approche standard – cela fait partie des travaux de finalisation qui auront lieu cette année. Nous nous orientons en partie vers une approche hybride, basée à la fois sur les modèles et sur l'approche standard.

Je vous remercie, monsieur Chartier, du jugement positif que vous portez sur la contribution la Banque de France en Île-de-France. Qu'en est-il de l'utilité d'une présence départementale ? Votre question est symétrique de celle d'un certain nombre de vos collègues sur la présence, dans l'ensemble des territoires, de la Banque de France.

Le principe retenu est extrêmement simple. Dans le cadre de l'actuelle réorganisation de notre réseau, nous maintiendrons dans chaque département une succursale, appelée dans nombre de cas « succursale de présence de place ». Cela nous semble la bonne solution, qui permet à la fois le maintien d'une présence de terrain extrêmement utile et d'importants gains de productivité sur certaines tâches de traitement. Ainsi, nous tendons à regrouper au niveau régional, dans des centres de traitement partagé, le traitement en back office des dossiers de surendettement, le traitement d'un certain nombre de dossiers d'entreprise et ce qui concerne les caisses de la Banque de France, c'est-à-dire la circulation fiduciaire, la circulation des billets. Le regroupement de ces tâches, qui ne nécessitent pas une présence dans chaque département, permet donc des gains de productivité, et nous investissons aussi pour les traiter de façon encore plus efficace.

Le maintien d'une succursale de présence de place nous paraît, en revanche, extrêmement important pour assurer une présence de proximité auprès de l'ensemble des clientèles que nous servons : les entreprises, prioritairement des PME et des TPE, avec la médiation du crédit et ce correspondant TPE dont j'ai parlé, qui doit être au plus près du terrain, mais aussi les ménages, pour le surendettement. Il est important que les ménages qui le souhaitent puissent s'adresser directement à un guichet de la Banque de France dans leur département. Nous devons, bien sûr, développer un traitement par internet, cela répond aux voeux de nombre d'entre eux, mais il nous paraît très important de maintenir cet accueil du public, ménages comme entreprises, dans chaque département. Tel est le sens de ces succursales de présence de place, et cette combinaison nous paraît aussi permettre des gains de productivité, évidemment souhaitables pour l'efficacité de la Banque de France et pour nos finances publiques.

Avec vos deux questions « plus politiques », monsieur Chartier, je m'aventure aux frontières de mon champ de compétence, mais je vais essayer de ne pas m'en évader complètement. Pourquoi la croissance n'est-elle pas de 2 % malgré de nombreuses conditions favorables ? Tout d'abord, cette question, très légitime, n'est malheureusement pas spécifiquement française. Elle se pose pour l'ensemble de la zone euro, et l'économie mondiale elle-même se trouve aujourd'hui sur une trajectoire de croissance autour de 3 % – ce chiffre peut nous paraître bon mais il est historiquement bas, et sensiblement inférieur à ce que nous connaissions avant la crise financière de 2007.

Deux ingrédients permettraient de transformer ces conditions favorables en croissance forte, durable et créatrice d'emplois. L'un est microéconomique : la confiance des entrepreneurs, particulièrement, et des ménages. C'est un élément qualitatif, psychologique, et nous pourrions longuement débattre de ses déterminants, mais l'un d'eux me paraît évident : la simplification et la stabilisation, dans toute la mesure possible, des règles. Il est très important que les entrepreneurs, les acteurs économiques en général puissent savoir quel sera le paysage de leur activité au cours des prochaines années. L'autre ingrédient est évidemment l'amplification des réformes. Nous les souhaitons tous, très largement, dans cette salle, mais elles ne sont pas pour autant faciles à décider et à mettre en oeuvre. Un certain nombre de réformes fort heureusement mises en oeuvre en France montrent leur efficacité, c'est le cas en particulier du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du pacte de responsabilité, mais, au-delà, nous aurions intérêt à regarder de façon très pragmatique un certain nombre de succès de nos voisins, qui réussissent à mener des réformes tout en préservant ce modèle social européen auquel nous sommes tous, dans cette salle de la commission des finances, très largement attachés. En Allemagne, en Espagne, plus récemment en Italie et, dans une moindre mesure, en Belgique, ont été trouvées les voies de réformes permettant une plus forte croissance. Au sein de la zone euro, ce sont les pays qui, à des périodes et sous des majorités différentes, ont réussi à mener ces réformes qui connaissent la plus forte croissance.

J'insiste aussi sur l'ingrédient de la confiance. Il est en particulier important pour l'investissement des entreprises, qui est un peu le chaînon manquant de la reprise aujourd'hui. Il ne faut pas simplement renvoyer toute la responsabilité aux pouvoirs publics, que nous sommes et que vous êtes : il y a aussi, dans cette souhaitable mobilisation collective à partir de ces conditions favorables, une nécessaire mobilisation des entreprises à travers leurs investissements.

Me lancerai-je dans une démarche militante si le référendum britannique du 23 juin se solde par un « Brexit » ? Je rappellerai d'abord, avec un sourire, que, lors de ce G20 de Shanghai, le gouvernement britannique a vivement souhaité que les dix-neuf autres pays s'engagent contre le Brexit. Ce n'était pas forcément acquis, et je ne suis fort heureusement pas responsable de la campagne référendaire au Royaume-Uni, mais il se trouve qu'a été ajoutée au communiqué la mention du fait que le Brexit représenterait un risque supplémentaire pour l'économie européenne et mondiale – le ministre des finances et moi-même nous y sommes bien volontiers prêtés. Puisque l'attitude des autorités britanniques nous autorise à formuler un souhait, tout étrangers que nous sommes, je souhaite donc que le résultat du référendum marque le maintien du Royaume-Uni dans l'Europe, car cela me semble la meilleure solution. Reste que, si le Brexit l'emporte, il est important que la place financière de Paris puisse non seulement se maintenir mais aussi se développer. C'est cependant vrai aussi si le Royaume-Uni reste dans l'Union, et nous nous sommes mobilisés en ce sens. Le ministre des finances a créé, avec l'association Paris EUROPLACE, le comité « Place de Paris 2020 », auquel vous participez, et un certain nombre d'actions ont été menées. Veillons toujours, c'est très important, à la compétitivité de la place de Paris. La question n'est pas seulement fiscale : il s'agit aussi d'avoir les bons produits, le bon appareil de formation… Il s'agit de l'attractivité de la place. Or, Paris ne manque pas d'atouts dans la compétition financière européenne.

Monsieur Rodet, vous l'avez noté, la tribune que j'ai signée avec M. Weidmann ne portait pas sur la politique monétaire, nous le précisons d'ailleurs explicitement. Je ne trahis pas d'immenses secrets en disant que je ne suis pas toujours sur la même ligne que le président de la Bundesbank dans les débats et délibérations du Conseil des gouverneurs. Nous avons cependant voulu marquer que, sur d'autres sujets, des avancées européennes étaient d'autant plus nécessaires que les différents pays ne peuvent s'en remettre à des solutions purement nationales pour relever les défis auxquels ils sont confrontés – ne citons que la crise des réfugiés pour l'Allemagne et la lutte contre le terrorisme pour la France. Cela vaut particulièrement en matière de politique économique. Il est donc nécessaire de progresser sur la gouvernance économique de la zone euro. Cela recouvre notamment deux choses.

C'est pour moi un point extrêmement positif de cette tribune que mon collègue allemand reprenne l'idée d'union de financement et d'investissement que j'avais avancée, notamment, dans le rapport sur le financement de l'investissement remis au Premier ministre à la rentrée dernière. Il s'agit de dire qu'il faut aller au-delà de la proposition d'une « union des marchés de capitaux » faite par la Commission européenne. La zone euro a la chance de disposer d'une ressource abondante, son épargne. L'excédent de l'épargne par rapport à l'investissement, mesuré par l'excédent extérieur courant de la zone euro, est d'environ 300 milliards d'euros, soit 3 % du PIB. Il s'agit de mieux mobiliser cette ressource pour répondre aux besoins d'investissement, où qu'ils se fassent jour, y compris dans le sud de l'Europe, y compris dans les secteurs les plus innovants, y compris dans les entreprises et le secteur productif. La réponse de l'union des marchés de capitaux concerne spécifiquement les capitaux privés, tandis que l'union de financement et d'investissement consisterait à mettre cela en synergie, pour dégager beaucoup plus de puissance, avec deux autres volets de l'action européenne. Le premier de ces deux volets est le plan Juncker, qui consiste, lui, en une mobilisation des capitaux publics, notamment à partir de la Banque européenne d'investissement (BEI), pour entraîner les capitaux privés. Si vous me permettez de le dire très trivialement, il ne faut pas raisonner avec deux lobes du cerveau séparés : le plan Juncker pour les capitaux publics d'un côté, l'union des marchés de capitaux pour les capitaux privés de l'autre. Il faut évidemment mettre tout cela ensemble en en annonçant la finalité, c'est aussi le sens de cette formule « union de financement et d'investissement ». Le troisième élément de cette synergie, c'est l'Union bancaire, pour un meilleur développement des flux de crédit bancaire transfrontaliers.

Tout cela relève du bon sens. Malheureusement, la réalité des procédures à Bruxelles fait qu'aujourd'hui ces trois volets – union des marchés de capitaux, plan Juncker et Union bancaire – se déploient de façon beaucoup trop séparée, et je crois que cela explique les limites de chacun. L'idée de cette union de financement et d'investissement a par ailleurs été reprise par le gouvernement italien dans son mémorandum de la semaine dernière. J'aurai l'occasion d'aller à Bruxelles le 22 mars et d'en reparler. Je crois qu'il faut évidemment pousser énergiquement cette idée, qui rencontre un soutien croissant.

Mme Schmid m'interroge sur la gouvernance économique de la zone euro. La construction, à côté de l'union monétaire, d'un pilier économique est, vous vous en souvenez, une vieille proposition française. Jacques Delors y avait beaucoup insisté, et Pierre Bérégovoy avait proposé un gouvernement économique européen. Peu importent les termes, on voit bien de quoi nous manquons aujourd'hui. La politique monétaire est bien une : si elle donne lieu à des débats, les décisions et les applications sont communes. Les politiques économiques, elles, restent beaucoup trop diverses. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles notre croissance est inférieure à l'optimum. Nous ne pouvons mener des politiques construites sur une base purement nationale dans une zone monétaire et commerciale unique. De vrais progrès de la coordination sont nécessaires… mais la coordination n'est pas une alternative aux réformes nationales. Il faut conjuguer réformes nationales et coordination européenne, et cela pourrait notamment prendre la forme d'un ministre des finances européen et d'un Trésor européen pleinement démocratiques – mais cette décision relève du pouvoir politique.

Non, monsieur de Courson, je ne crois pas que la politique monétaire ait épuisé son efficacité, mais votre question est d'autant plus légitime que l'inflation est à nouveau négative. Je le rappelle cependant : sans les mesures de politique monétaire prises, elle aurait été plus basse encore. Toutes les banques centrales membres de l'Eurosystème s'accordent à le constater – même celles qui sont réservées sur la politique suivie. Par ailleurs, j'ai insisté sur le fait qu'une gamme d'instruments est à notre disposition. Je l'ai également souligné et le communiqué du G20 le précise bien, la politique monétaire ne peut évidemment pas faire tout, mais il n'est pas question de renoncer à ces politiques monétaires actives. Mme Lagarde, directrice générale du FMI, a dit, très fortement, lors du G20, que les bénéfices de ces politiques monétaires actives l'emportaient nettement sur leurs inconvénients et leurs risques – nous allons reparler des mesures macroprudentielles et des bulles.

Vous avez également posé, avec d'autres, la question du shadow banking. Je me permets tout d'abord de renvoyer aux travaux du Haut Conseil de stabilité financière de juin dernier. Il a examiné de près et chiffré le développement du shadow banking en France. Au passage, je n'aime pas plus que vous cette expression. Le Haut Conseil emploie pour sa part la formule « secteur financier parallèle », que je vous propose de retenir. Au demeurant, la traduction de l'expression shadow banking suscite un débat parmi les spécialistes de la langue anglaise : « finance de l'ombre » aurait une connotation plutôt péjorative, mais certains relèvent que l'expression shadow cabinet n'a, elle, rien de péjoratif, il s'agit simplement d'un cabinet alternatif. Le Haut Conseil relevait au mois de juin que le développement de ce secteur financier parallèle reste relativement limité, en France tout au moins – et la situation n'a pas changé depuis lors. De quoi s'agit-il ? Non pas des banques, ni des assurances – celles-ci sont aussi l'objet d'une régulation renforcée, avec les normes « Solvabilité II » –, mais du reste : les fonds, les plateformes de crowdfunding et de financement participatif, le développement de ce qu'on appelle le private placement, c'est-à-dire les prêts privés directs, hors marché.

Cette réalité, comme toute réalité économique, a deux faces. L'une est positive : c'est une bonne chose que les PME et des TPE, dont vous êtes nombreux à vous préoccuper, puissent trouver des sources de financement au-delà du crédit bancaire. Bien sûr, celui-ci restera très majoritaire, mais les plateformes de financement participatif, qu'il s'agisse de crowdfunding ou de crowdlending, offrent une diversification bienvenue. La face potentiellement négative, c'est que ce secteur doit, au fur et à mesure qu'il se développe, être régulé de façon parallèle au secteur bancaire. Si les activités sont les mêmes, nos exigences prudentielles et en termes de transparence doivent être proportionnelles, quand bien même la nature juridique des acteurs est différente, et nous y sommes attentifs. Citons l'exemple de l'industrie des gestionnaires de fonds, les asset managers, dont les encours sont bien plus importants que les montants concernés par le financement participatif ; c'est l'un des chantiers qui restent ouverts à Bâle. Le Conseil de stabilité financière qui siège à Bâle et est présidé par le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney, s'est engagé aujourd'hui à examiner précisément la liquidité de ces fonds, de grands fonds américains mais aussi des fonds français et européens importants, comme Amundi. Yves Perrier, directeur général d'Amundi, a exprimé publiquement le souhait d'un renforcement de la régulation du secteur, cela mérite d'être salué.

Je ne crois pas, monsieur de Courson, qu'il y ait, dans le cas de la France, un lien mécanique entre la croissance du crédit aux entreprises et la baisse du taux de marge. Celle-ci, nous en serons tous d'accord, était un défi pour l'économie française. Fort heureusement, le mouvement est en train de s'inverser, sous l'effet du pacte de responsabilité et du CICE. De 29 % en 2014, le taux de marge des entreprises devrait avoir remonté à 32 % en 2017.

Madame Dalloz, la surveillance des bulles requiert une vigilance permanente. Ne croyez pas que nous baissions la garde et que nous considérions que le risque est forcément écarté pour longtemps. Ainsi, à l'échelle française comme à l'échelle européenne, nous regardons où en sont un certain nombre d'indicateurs financiers par rapport à leur moyenne de long terme : le prix des actions, le taux d'intérêt des obligations, le prix de l'immobilier, celui du crédit. L'ensemble de ces variables sont actuellement en ligne avec les tendances de long terme, certaines d'entre elles se situent même à des niveaux légèrement inférieurs, et si une bulle pouvait être crainte sur le marché des actions à la fin de l'année 2015, la correction intervenue au début de l'année 2016 est, de ce point de vue, une réponse. Elle montre en tout cas que des politiques monétaires actives n'impliquent pas nécessairement une hausse permanente des marchés financiers.

Nous restons cependant vigilants, et si nous avions le sentiment que l'un ou l'autre des compartiments que je viens de citer présente des risques de bulles, nous pourrions effectivement prendre des mesures macroprudentielles. Celles-ci peuvent être décidées par le Haut Conseil de stabilité financière, présidé par le ministre des finances, sur proposition du gouverneur de la Banque de France. Ce double éclairage est utile, il correspond très précisément au dispositif que vous avez décidé dans la loi du 26 juillet 2013, et c'est un progrès extrêmement net. La plupart des pays européens voisins ont aujourd'hui un dispositif similaire ; ce n'est pas le cas de l'Italie, mais mon homologue italien m'a interrogé très précisément sur le fonctionnement du système français. Quant au type de mesures que nous pourrions prendre, ne déduisez rien de l'exemple que je choisis, mais, si nous estimions que les prix de l'immobilier commercial augmentent trop fortement dans certaines villes, nous pourrions, par exemple, demander que les financements externes, notamment bancaires, représentent une part plus limitée du montant des investissements immobiliers et que les financements par fonds propres soient plus importants. C'est ce genre de mesure de régulation que nous pourrions prendre.

Quant aux ratios de solvabilité, ceux de toutes les banques françaises sont significativement supérieurs à 10 %, sans qu'il y ait d'écarts marqués entre elles. Sur le plan international, vous le savez, la mise en oeuvre de Bâle III est progressive d'ici à 2019. Toutes les banques n'en sont donc pas au même point, mais, globalement, on ne constate pas d'écarts marqués entre pays et nous assistons bien à un mouvement général rassurant.

M. Alauzet a posé la question de la disponibilité du financement de l'économie. Je disais tout à l'heure que toute réalité économique a deux faces. Nous surveillons donc deux périls opposés : la possibilité d'une insuffisance de financement des entreprises et celle d'un excès de crédit. Nous ne sommes pas dans une situation d'excès de crédit, et, globalement, il n'y a pas rationnement du crédit.

La régulation n'a-t-elle pas bridé excessivement le financement bancaire et favorisé tout aussi excessivement le développement du shadow banking ? Je ne le crois pas. Je sais que les banques avancent cela périodiquement, signalant des excès de la régulation, mais je pense qu'elles ont tort. Je développais assez longuement ce point de vue dans mon rapport, chiffres à l'appui. Nous sommes parvenus à un juste équilibre en renforçant la régulation autant qu'il était nécessaire sans freiner les financements. Au passage, la politique monétaire, très active, a évidemment aidé à mettre la liquidité nécessaire à la disposition des banques. Je le dis très nettement : aucune banque française n'est aujourd'hui limitée dans son activité de financement par la régulation – ni par les ratios de solvabilité ni par les ratios de liquidité. Pour autant, il ne me paraît pas moins important, aujourd'hui, de stabiliser ce cadre réglementaire – j'ai insisté sur la fin de Bâle III et le fait que nous n'allons pas ouvrir un Bâle IV. Nous n'observons pas de déplacements importants vers le shadow banking ou le secteur parallèle sous l'effet de la régulation : nous assistons à une diversification, souhaitable et progressive. Je l'avais dit au mois de septembre, je le redis aujourd'hui : je ne suis pas de ceux qui considèrent que nous nous acheminons vers une désintermédiation forcée ou un financement de l'économie à l'américaine. Le financement des entreprises est bancaire à 80 % en Europe, seulement à hauteur de 25 % aux États-Unis ; le financement de marché, à l'inverse, est majoritaire aux États-Unis. Il ne faut pas de désintermédiation forcée. En revanche, une diversification volontaire, répondant à la demande des entreprises, est une bonne chose, mais c'est vraiment très progressif.

Je n'ai pas aujourd'hui de chiffres sur la transition énergétique, madame Sas. Il est encore trop tôt après la COP21, mais il est très important, j'ai été amené à le dire, que le secteur financier intègre cet environnement nouveau. Quant à l'article 173 de la loi relative à la transition énergétique, qui oblige l'industrie de la gestion d'actifs et les assureurs à publier un certain nombre d'indicateurs-clefs sur leur exposition au secteur de l'énergie et leur engagement en faveur de la transition énergétique, son décret d'application a effectivement été publié le 31 décembre dernier. Il s'applique donc en 2016 et marque un vrai progrès. Il faut aller plus loin encore en permettant des comparaisons internationales en cette matière aussi. La France est à l'avant-garde et nous avons défini un certain nombre de critères, mais, parallèlement, le Conseil de stabilité financière de Bâle a mis en place une task force pour permettre la comparabilité des publications. Ce sont environ 400 méthodes différentes qui sont recensées à l'échelle internationale, une richesse qui rend plus difficile les comparaisons. Cette task force devra donc nous proposer d'ici à la fin de l'année un certain nombre de méthodes prioritaires pour permettre la comparabilité internationale.

Monsieur Charroux, compte tenu de l'évolution des prix du pétrole et dans l'hypothèse – majoritairement retenue aujourd'hui – de leur stabilisation, nous retrouverons une inflation positive dans la deuxième moitié de cette année. Par ailleurs, je le redis, nous avons la capacité de prendre des mesures, si nécessaires. Je n'aime pas beaucoup l'adjectif « défensives », c'est une politique monétaire active, visant un objectif à moyen terme de 2 % d'inflation. Il est très important de réaffirmer cet objectif ; c'est très important pour la crédibilité de la BCE et c'est un môle de stabilité pour les anticipations des ménages et des entreprises. Dans un environnement financier d'une très grande volatilité, la BCE donne, avec cette cible d'inflation de 2 %, un élément de stabilité de long terme.

Je terminerai, peut-être plus rapidement, par un certain nombre d'autres questions.

Monsieur Fauré, la Banque publique d'investissement a beaucoup apporté au financement de l'économie française, notamment en ce qui concerne les fonds propres et le capital-risque. Quant aux PME et TPE, évidemment, si un plan de sauvegarde emporte un certain nombre d'avantages, notamment la suspension des paiements aux banques, il n'est pas totalement illogique qu'il rende plus difficile l'obtention de nouveaux financements bancaires. Il y a là une certaine logique, mais ces procédures ne sont généralement pas considérées comme très favorables aux banques – c'est une litote.

Nous avons d'ores et déjà un médiateur du crédit dans chaque département, en général le directeur départemental de la Banque de France. Il intervient en aval, c'est-à-dire quand une entreprise – TPE, PME ou même entreprises de taille intermédiaire (ETI) – a rencontré une difficulté avec sa banque. Nous pouvons nous féliciter de la diminution sensible du nombre de dossiers qu'il doit traiter : c'est un autre indicateur du fait que le financement des entreprises va plutôt bien en France…

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