Intervention de Delphine Batho

Séance en hémicycle du 24 janvier 2013 à 21h30
Débat sur la fiscalité écologique

Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, en guise d'introduction à ce débat qui a été demandé par le groupe écologiste, je souhaitais présenter à l'Assemblée nationale, au nom du Gouvernement, notre méthode et notre démarche en matière de fiscalité écologique – j'associe ainsi à mon propos le ministre du budget, M. Jérôme Cahuzac. Je remarque d'ailleurs que les deux chambres du Parlement ont tenu à se saisir de ce sujet particulièrement important, puisque nous sommes réunis ce soir pour en débattre et que la commission des finances du Sénat y a consacré une table ronde hier.

Je me félicite de la volonté de nombre de parlementaires de débattre de la fiscalité environnementale, car, en la matière, les réformes ont souffert, par le passé, d'un déficit de consensus et d'un manque de clarté pour nos concitoyens et leurs représentants.

L'ambition de développer une nouvelle fiscalité écologique a été plusieurs fois affirmée par le Président de la République et le Gouvernement. Nous lui avons ainsi consacré une table ronde lors de la conférence environnementale et nous en avons fait l'une des composantes structurantes de la feuille de route pour la transition écologique. Nous avons également réaffirmé cette volonté dans le cadre du pacte pour la compétitivité, la croissance et l'emploi, en prévoyant un produit d'au moins 3 milliards d'euros au titre de la fiscalité écologique en 2016 – ce qui ne fait en aucun cas obstacle à l'adoption de nouvelles mesures dès la loi de finances pour 2014.

En matière de fiscalité environnementale, la France est avant-dernière en Europe : en 2010, cette fiscalité représentait 1,86 % de la richesse nationale, contre 2,37 % en moyenne en Europe. Nous avons donc bien des marges de progression et un retard conséquent à rattraper.

Pour y remédier, nous proposons une méthode : celle de la concertation et du recours à l'expertise citoyenne pour guider la décision. Cette méthode s'est traduite, le 18 décembre dernier, par la création du comité permanent pour la fiscalité écologique dont la présidence a été confiée à l'économiste Christian de Perthuis.

Ce comité, dont la composition permettra l'expression de la diversité des points de vue, doit permettre de conduire un dialogue indispensable avec les représentants des salariés, des employeurs, des ONG, des consommateurs et des élus locaux, en association avec des parlementaires ; les députés Jean Launay et Martial Saddier ont été désignés par l'Assemblée nationale pour y siéger.

Cette méthode se fonde sur les leçons que nous avons tirées d'un certain nombre d'échecs passés, s'agissant de l'introduction d'une fiscalité environnementale : ses impacts et ses objectifs doivent être débattus en toute transparence, en associant l'ensemble des composantes de la société.

Le comité permanent a vocation à contribuer sur la durée aux réflexions et travaux du Gouvernement. Son rôle sera non seulement de rendre un avis sur les propositions de mesures que nous pourrons élaborer, mais aussi de formuler ses propres propositions et recommandations. Il est libre de fixer son ordre du jour et de débattre sans tabou des sujets qu'il jugera opportuns.

Trois idées principales me tiennent à coeur pour conduire la concertation sur des bases solides et durables.

Premièrement, la fiscalité écologique ne doit pas servir de prétexte pour faire « avaler la pilule » d'une hausse des prélèvements, nonobstant l'impératif de redressement des finances publiques qui guide à juste titre l'action du Gouvernement. La légitimité de la fiscalité écologique, son acceptabilité, tient à sa vocation, qui est de lutter contre les pollutions et les nuisances et de financer la transition écologique et énergétique. Cette transition nécessitera des investissements importants de la part de la nation. Je suis convaincue qu'un lien aussi concret et direct que possible entre le produit de cette fiscalité et l'action environnementale est nécessaire pour convaincre nos concitoyens de son bien-fondé.

Deuxièmement, nos propositions devront en permanence être passées au crible de trois critères : l'efficacité écologique, l'impact économique et le respect de la justice sociale. Il ne faut pas le cacher : cette fiscalité peut avoir un impact significatif sur le pouvoir d'achat des ménages et sur la compétitivité des entreprises les plus exposées à la concurrence internationale. Cet impact doit être examiné avec lucidité et des remèdes appropriés doivent lui être apportés. Nous ne réussirons que si nous parvenons à résoudre cette quadrature du cercle pour démontrer aux Français que la fiscalité écologique n'est pas l'antithèse de la justice sociale et du redressement productif, mais bien l'instrument de leur réalisation. Il sera sans doute difficile d'élaborer des solutions parfaites, mais nous devons agir en ce sens. Une fiscalité environnementale juste, qui envoie un signal clair, progressif et acceptable, est un outil majeur de réorientation de l'appareil productif et de réduction de notre vulnérabilité face à la raréfaction des ressources.

Troisièmement, il est nécessaire d'établir une vision d'ensemble. La trajectoire de la montée en puissance de la fiscalité écologique doit être globale et cohérente, clairement inscrite dans la réforme fiscale voulue par le Gouvernement en vue d'un redressement dans la justice. Il ne s'agit pas d'empiler les mesures au gré des lois de finances sans direction d'ensemble. C'est pourquoi cette réforme sera pilotée conjointement par le ministère de l'écologie et celui de l'économie et du budget.

La tâche qui nous a été assignée à l'issue de la conférence environnementale est considérable.

Il s'agit de réexaminer les dépenses fiscales relatives à l'usage des énergies fossiles et d'étudier la taxation des gaz à effet de serre fluorés et de l'azote minéral, de réduire la pollution des eaux douces et marines en renforçant le caractère incitatif de la fiscalité sur les polluants de l'eau, de revoir notre fiscalité nationale et locale sur les déchets afin d'encourager la prévention et la valorisation, enfin, d'analyser le rôle que la fiscalité peut jouer dans la prévention de l'étalement urbain et des dommages causés à la biodiversité terrestre et marine.

À la lumière des échecs passés, il faut s'atteler à cette tâche avec autant d'humilité que de détermination. Les expériences étrangères nous montrent que des progrès spectaculaires peuvent être accomplis au moyen d'une fiscalité écologique adaptée. Par exemple, en 1992, la Suède a mis en place une taxe sur les émissions d'oxydes d'azote des grandes installations de combustion pour la production d'énergie. Son taux est aujourd'hui plus de trente fois supérieur à celui qui est appliqué en France, mais les recettes ont été entièrement redistribuées aux entreprises du secteur. En quinze ans, les émissions d'oxydes d'azote ont été stabilisées alors que la production d'énergie a augmenté de 77 %. En outre, dès la mise en oeuvre de la taxe, la proportion d'entreprises qui ont investi dans des solutions techniques est passée de 7 % à 62 % et la Suède est devenue l'un des principaux pays dépositaires de brevets sur les technologies concernées.

Quand la France envoie un tiers de ses déchets municipaux en décharge, les six pays les plus performants en Europe sont parvenus à en stocker moins de 3 %. Ces résultats ont été atteints au moyen d'une hausse progressive de la fiscalité sur le stockage, complétée par des restrictions réglementaires. Reconnaissons que notre réforme de la TGAP sur le stockage et l'incinération, qui a suscité et suscite encore beaucoup d'interrogations de la part des collectivités territoriales responsables du traitement des déchets, est inaboutie. Nous devons avoir le courage de la réexaminer, en lien avec les autres composantes de la fiscalité des déchets, notamment avec les mécanismes de responsabilité élargie du producteur. Je souhaite, en ce sens, que le conseil national des déchets et le comité pour la fiscalité écologique travaillent de concert à un diagnostic et à des solutions partagés.

Mais les exemples ne sont pas seulement européens. Israël a ainsi instauré un tarif progressif de l'eau sur la base de quotas alloués par exploitation agricole, conduisant à une hausse moyenne de 68 % du prix de l'eau à usage agricole entre 1995 et 2005. Les pratiques culturales se sont adaptées durablement à cette variation de prix, grâce à des techniques d'irrigation plus efficaces et à l'utilisation d'eaux recyclées.

Ces exemples nous enseignent qu'une fiscalité écologique correctement calibrée, assortie de mécanismes de redistribution adaptés et établie sur une trajectoire progressive, mais à laquelle on se tient une fois pour toutes, est un puissant levier de réduction des nuisances et de progrès technique.

La fiscalité écologique est finalement victime d'un paradoxe : spontanément, sa vocation environnementale suscite la sympathie des Français ; pourtant, les tentatives successives pour la mettre en place ont été laborieuses, quand elles n'ont pas tout simplement échoué.

Il nous appartient donc, dans le délai qui nous sépare du dépôt du projet de loi de finances pour 2014, de créer le consensus qui a tant manqué au cours des dernières années. Pour cela, votre participation et vos propositions sont indispensables : à la fin du processus de concertation, c'est au Parlement que reviendra le dernier mot. Je serai donc particulièrement attentive aux échanges à venir et aux propositions qui ne manqueront pas d'être faites dans les prochaines semaines. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

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