Alors que les revenus de la fiscalité écologique représentent 2,4 % du PIB en moyenne dans les pays européens et 2,2 % du PIB en Allemagne, si souvent érigée en modèle, ils ne représentent, en France, que moins d'1,9 % du PIB. Il y a plus de douze ans, Gerhard Schröder a lancé une réforme fiscale écologique ambitieuse, d'abord en augmentant les taxes sur l'énergie, avant de poursuivre l'effort en 2005 avec la mise en place de la taxe poids lourds. Plus de 250 000 emplois ont ainsi été créés en Allemagne, dans les domaines des énergies renouvelables et des économies d'énergie.
Nous avons du retard et si nous souhaitons rattraper ne serait-ce que la moyenne européenne, nous devons dégager environ 20 milliards de recettes fiscales supplémentaires. Tels sont le chemin que nous devons parcourir et l'objectif que nous devons nous fixer afin de reprendre notre rang en Europe sur cette question.
Aussi avons-nous besoin d'une réforme fiscale ambitieuse qui doit intéresser au moins quatre domaines.
Le premier est celui de la fiscalité climat-énergie, qui est pour nous incontournable. Nous devons encourager fiscalement les économies d'énergie pour préparer la France à l'après-pétrole. Nous ne sous-estimons pas les obstacles à la mise en oeuvre d'une telle fiscalité. Mais, si, nous aussi, nous tirons la leçon des deux échecs de la taxe carbone, nous estimons que cette leçon n'est pas et ne peut être de renoncement. Nous affirmons la nécessité d'une réforme claire, lisible, progressive et juste, permettant prioritairement aux acteurs économiques de pouvoir anticiper l'augmentation du prix de l'énergie, pour sécuriser le rendement des investissements en économie d'énergie, soit une réforme qui accompagne l'adaptation des plus modestes et compense socialement l'impact des mesures.
Les taxes sur les carburants sont déjà élevées, me dira-t-on : cela grèverait la compétitivité et serait difficile pour les ménages. Il s'agit, là encore, d'une idée reçue car, selon la Cour des comptes, la fiscalité énergétique est bien plus élevée en Allemagne : le produit de l'impôt sur l'énergie est, en Allemagne, de 39,4 milliards, alors qu'il n'est en France que de 23,8 milliards. La fiscalité climat-énergie est nécessaire, et donc possible.
Cette réforme doit porter sur l'énergie, mais également sur la santé environnementale. Aujourd'hui, 24 millions de personnes sont atteintes d'une maladie chronique – cancers, diabète ou maladies cardio-vasculaires. Le nombre de cancers a augmenté de 63 % en vingt ans, et 35 % trouvent leur cause dans nos modes de consommation. L'augmentation des maladies chroniques explique à elle seule le déficit de la sécurité sociale : nous ne pouvons pas rester sans rien faire. Il importe de taxer, dès maintenant, les produits dont l'impact négatif sur la santé est connu, comme l'huile de palme et l'aspartame, afin d'en décourager l'utilisation.
Enfin, les deux grands autres secteurs sur lesquels nous pensons qu'il faut légiférer, ce sont, d'une part, la biodiversité et les déchets, en instaurant notamment une redevance assise sur la destruction des services écologiques et sur la rupture des continuités écologiques, et, d'autre part, les transports polluants – je pense en particulier à une extension et à une augmentation de l'écotaxe poids lourds comme le préconise, par exemple, France Nature Environnement.
Ambition, donc, mais aussi cohérence.
La cohérence, nous vous l'avons dit à plusieurs reprises, impliquerait d'arrêter de subventionner d'une main les secteurs nocifs à l'environnement au travers de niches fiscales nombreuses, coûteuses et inefficaces quand, de l'autre, on instaure une fiscalité environnementale. Notre réforme doit se fixer une ligne directrice claire : le système fiscal doit taxer les comportements polluants et encourager les comportements vertueux. Selon un rapport de la Cour des comptes, ce sont près de 20 milliards d'euros, répartis dans vingt-six niches identifiées, que l'État dépense chaque année pour subventionner des comportements nuisibles à l'environnement. Je citerai l'exonération sur le kérosène : comment expliquerez-vous à nos concitoyens qu'ils doivent acquitter une contribution climat-énergie alors que le mode de transport le plus émetteur de gaz à effet de serre et qui est majoritairement utilisé par des classes aisées en serait exonéré ? On pourrait citer aussi la défiscalisation de la consommation des produits pétroliers dans les raffineries ou encore, bien sûr, les exonérations sur le gazole.
Vous nous répondrez à chaque fois que des emplois sont menacés. Nous aussi, nous sommes soucieux des réalités économiques, et nous nous sommes demandé si les exonérations de TICPE, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, sont efficaces pour sauvegarder nos emplois. Le rapport du comité d'évaluation de l'inspection générale des finances nous donne la réponse : elles ont une incidence « vraisemblablement peu significative » sur l'emploi. Ainsi, l'exonération de TICPE au profit des vols intérieurs permettrait de sauvegarder seulement 950 emplois et celle au profit du transport routier 800 emplois, soit un coût par emploi pour cette seconde exonération de l'ordre de 412 000 euros, ce qui est, vous en conviendrez, exorbitant. Combien d'emplois d'avenir pourrions-nous financer avec ces mêmes sommes ?
Il faut également de la cohérence dans les mesures fiscales que nous mettons en oeuvre. Comment comprendrait-on qu'on puisse, d'un côté, lancer une réforme fiscale écologique, et, de l'autre, pénaliser les secteurs qui sont au coeur de la transition écologique ? Nous vous l'avons dit, madame la ministre : l'augmentation du taux de TVA de 7 % à 10 % dans les secteurs de la rénovation thermique, des transports collectifs et du recyclage des déchets est en contradiction avec notre ambition commune de faire de la France la nation de l'excellence environnementale.
Ambition, cohérence et, enfin, constance.
La constance est la condition du changement. Comme le disait Guillaume Sainteny, nous n'attendons pas le « grand soir vert », mais une réforme au cours de la législature, progressive et constante, qui donne aux acteurs les moyens de s'adapter avant de les taxer. La fiscalité écologique ne doit en effet pas être une fiscalité punitive, elle doit rester une fiscalité incitative. Elle n'est légitime que si nous nous donnons le temps et les moyens d'offrir des alternatives. Je pense notamment aux travaux d'économies d'énergie et aux transports collectifs. À cette fin, c'est une réforme ambitieuse, stabilisée et progressive sur quatre ans dont nous avons besoin.
J'ai évoqué l'ambition, la cohérence et la constance ; je finirai par la justice. Nous devons d'ores et déjà penser à la redistribution des recettes de la fiscalité écologique. Si une partie d'entre elles viendra compenser le crédit d'impôt compétitivité-emploi et – nous le souhaitons – se substituer, au moins en partie, à l'augmentation du taux de TVA intermédiaire, ces recettes devront aussi garantir la justice dans la mise en oeuvre de la fiscalité écologique : d'une part, en finançant l'accompagnement et les alternatives – je pense notamment à la rénovation thermique et aux transports collectifs – et, d'autre part, en assurant la compensation sociale de cette fiscalité, notamment pour les ménages les plus modestes, qui sont souvent ceux qui habitent le plus loin de leur emploi, dont le logement est le plus mal isolé et qui ont moins les moyens de s'adapter.
Telles sont, madame la ministre, les premières pistes sur lesquelles le groupe écologiste souhaite avoir un échange avec vous aujourd'hui. Nous défendons depuis longtemps une fiscalité écologique, et nous savons que vous allez rencontrer beaucoup de gens qui vous donneront toutes les raisons du monde de ne pas la faire. Nous, nous savons qu'il faut la faire, que cela est nécessaire et souhaitable et que c'est un beau projet pour la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)