Intervention de Martin Vial

Réunion du 1er mars 2016 à 16h00
Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Martin Vial, commissaire aux participations de l'état, APE :

Merci, madame la présidente, pour vos propos aimables. Vous avez soulevé un certain nombre de questions qui sont au coeur de notre intervention quotidienne en tant qu'actionnaire, particulièrement dans le secteur automobile.

Je prie les membres de la mission qui appartiennent également à la commission des finances de bien vouloir excuser par avance les redites que je suis susceptible de commettre par rapport à mon audition par cette commission il y a quelques mois.

J'ai trois convictions au sujet de notre intervention dans le secteur automobile. La première est que la présence de l'État au sein des groupes Renault et PSA s'inscrit dans la doctrine générale de l'État actionnaire. La deuxième est que nous agissons en tant qu'actionnaire de long terme. La troisième est que nous entendons, en tant qu'actionnaire de Renault et de PSA — mais aussi à travers la BPI — aider le secteur automobile français à relever plusieurs grands défis.

Pourquoi l'État est-il présent aujourd'hui au sein des groupes Renault et PSA ?

Tout d'abord parce que cette présence s'inscrit dans la doctrine globale de l'État en tant qu'État actionnaire. Elle s'articule autour de quatre lignes directrices.

La première est que l'État intervient en tant qu'actionnaire dans les secteurs stratégiques majeurs et relevant de la souveraineté, tels le nucléaire ou la défense nationale. La deuxième est que l'État intervient dans les entreprises qui ont contribué ou contribuent au fonctionnement économique et à la vie sociale du pays, ce qui est typiquement le cas de La Poste, du domaine ferroviaire, du transport urbain parisien, mais aussi des entreprises de réseau comme Orange. La troisième est la contribution au soutien ainsi qu'à la structuration de certains secteurs essentiels pour l'économie française : c'est ce que nous avons fait dans le domaine de la défense, avec le rapprochement entre Nexter et son homologue allemand Krauss-Maffei Wegmann (KMW), afin de bâtir un opérateur de l'armement terrestre de taille européenne ; c'est aussi l'une des motivations de notre présence au sein des groupes Renault et PSA. La quatrième est que nous intervenons, de façon exceptionnelle, dans des entreprises présentant un risque systémique lorsqu'elles vont mal, ce qui a été le cas pour Dexia alors qu'elle était menacée de faillite.

La présence de l'État au sein des groupes Renault et PSA s'inscrit dans la troisième ligne directrice de notre politique d'investissement. S'agissant de Renault, sans remonter à la Régie de 1945, l'État est historiquement présent dans cette entreprise, dont la privatisation est intervenue en 1996. Jusqu'au printemps 2015, il détenait 15 % de son capital contre près de 20 % aujourd'hui. Malgré la privatisation, nous avons accompagné les décisions historiques structurelles du groupe, en particulier la prise de contrôle de Dacia ainsi que la première étape de l'alliance avec Nissan en 1999, puis, en 2002, le renforcement des accords avec cette marque, ce qui a permis de faire de cette alliance l'un des premiers groupes industriels au monde.

La présence de l'État dans PSA est plus récente, puisque la première prise de participation au capital a eu lieu en 2014, à un moment où le groupe traversait une grave crise existentielle ; cette intervention a produit des résultats financiers très positifs. Elle marque une rupture avec les pratiques antérieures : en 2009, après la faillite de la banque Lehman Brothers, notre intervention a pris la forme d'un prêt de 3 milliards d'euros, puis d'une garantie financière importante émise en 2012 sur les dettes émises par la filiale bancaire du groupe, PSA Banque.

L'État est entré dans le capital du groupe PSA en tant qu'« investisseur avisé » : le retour sur investissement est très positif, ce qui a d'ailleurs été reconnu par la Commission européenne. Le bon rendement ne constituait toutefois pas la seule motivation de notre intervention : il s'agissait aussi d'accompagner le développement du groupe avec un nouveau plan stratégique, dans le cadre d'une alliance tripartite incluant Dongfeng et la famille Peugeot. Ce plan, intitulé Back in the Race, a favorisé le redressement de PSA, et les résultats publiés montrent que les objectifs ont été atteints en 2015, avec deux ans d'avance sur ce qui avait été prévu au moment où l'État est entré dans le capital du groupe.

Notre intervention au sein de ces deux entreprises procède d'enjeux assez similaires du point de vue de l'État actionnaire qui, chez Renault comme chez PSA, est actionnaire de référence, mais il n'est pas le seul puisque Nissan détient 15 % du capital de Renault et que Dongfeng et la famille Peugeot sont présents chez PSA. La présence de l'État garantit une stabilité et une solidité dans l'actionnariat de ces entreprises, ce qui s'est vérifié lors des interventions au plus fort de la crise en 2009.

Dans le secteur de l'automobile, la présence d'un actionnaire de référence fort au sein des grands groupes n'a rien d'exceptionnel. Beaucoup de constructeurs de dimension mondiale disposent d'actionnaires de référence, publics ou privés : en Allemagne, avec 13 % du capital, le Land de Basse-Saxe est un actionnaire public très important du groupe Volkswagen ; en Italie, la famille Agnelli, détentrice de 29 % du capital, est l'actionnaire de référence historique de ce qui est aujourd'hui le groupe Fiat Chrysler Automobiles (FCA). Ainsi la présence de l'État a permis au groupe Renault de déterminer le cadre de son alliance avec Nissan, et, depuis deux ans, au groupe PSA de définir les bases du développement de son partenariat stratégique avec Dongfeng : voilà la raison de notre intervention dans ces industries automobiles.

Le rôle de l'APE consiste à agir au sein de ces groupes en tant qu'actionnaire avisé de long terme, notre préoccupation est la stratégie, pas la gestion quotidienne, car si elle est un actionnaire important, l'Agence n'est pas majoritaire dans leur capital.

S'agissant de Renault le plan Drive the Change vise, à l'horizon de la fin 2016, un chiffre d'affaires de 50 milliards d'euros ainsi qu'une marge opérationnelle supérieure à 5 %, avec, chaque année, un autofinancement net – free cash flow – positif. L'objectif des 50 milliards d'euros est à la fois très ambitieux et très important pour le groupe Renault : la croissance est revenue après des années de baisse, et les résultats assignés en termes de marge opérationnelle ont été atteints en 2015, soit deux ans avant la date escomptée. Actionnaire stratégique, nous allons aider le groupe à préparer en 2016 son nouveau plan à trois ans. De son côté, le groupe PSA a réalisé son plan Back in the Race avec deux ans d'avance, lui aussi.

Dans les deux cas, l'APE s'est assurée que les plans stratégiques ont été conduits de façon extrêmement dynamique. Je tiens à saluer le travail fourni par l'encadrement et les salariés de ces deux entreprises, qui les a menées au succès.

La deuxième préoccupation de l'actionnaire à long terme est la gouvernance. En réponse à votre question relative à l'évolution du rôle de l'État actionnaire, madame la présidente, j'indiquerai que nous disposons désormais de deux administrateurs dans le conseil d'administration de Renault et de deux administrateurs au sein du conseil de surveillance de PSA. À ce titre, nous jouons le rôle d'actionnaire « normalisé » dans le fonctionnement des instances de gouvernance de ces entreprises, qui ont ainsi gagné en maturité ; au demeurant, nous sommes actionnaire attentif à la qualité de cette gouvernance. Nous siégeons par ailleurs dans divers comités – d'audit, d'éthique, de nominations et des rémunérations – des entreprises, afin de nous assurer que l'État, premier actionnaire de référence chez Renault et actionnaire de référence important chez PSA, peut intervenir sur les grands axes de gouvernance de l'entreprise.

La troisième préoccupation de l'État est l'exemplarité, car il n'est pas un actionnaire banal : il a des responsabilités particulières. Il est ainsi particulièrement attentif au taux de féminisation au sein des organes de gouvernance, celui-ci atteint pratiquement 40 % dans le groupe PSA, ce qui est supérieur aux exigences de la loi du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle, dite « loi Copé-Zimmermann » et du code de gouvernement d'entreprise des sociétés adopté par l'Association française des entreprises privées (AFEP) et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF). S'agissant du groupe Renault, cet effort de féminisation doit être poursuivi ; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle, à l'occasion de la prochaine assemblée générale, le taux de féminisation sera augmenté, un point sur lequel nous demeurons attentifs.

Le niveau de rémunération des dirigeants de ces entreprises est, lui aussi, objet de notre vigilance ; en 2012, l'État a fixé des règles dans ce domaine, en demandant une baisse de 30 %, l'absence de cumul avec la rémunération par jetons de présence, ainsi que la suppression des retraites-chapeaux, sujet sensible dans le public et les entreprises. Si, en tant qu'actionnaire minoritaire, nous ne sommes pas en mesure de décider, nous exprimons en revanche très clairement nos positions, tant en conseil d'administration qu'en assemblée générale, à travers la règle du say on pay par laquelle les actionnaires d'une entreprise se prononcent sur la rémunération des dirigeants.

L'État actionnaire exige encore l'exemplarité en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), domaine dans lequel les marges de progrès sont considérables ; cela est vrai pour toutes les entreprises, et le secteur automobile ne fait pas exception. À cet égard, le groupe PSA constitue une référence puisque, en 2014, l'entreprise a été leader en matière de réduction des émissions de CO2, et a su faire évoluer à la baisse le taux d'accidents du travail de façon très sensible. De son côté, Carlos Ghosn, président-directeur-général du groupe Renault, a intégré la responsabilité sociale et sociétale dans les critères d'appréciation de la performance ; par ailleurs, le comité d'audit de l'entreprise se consacre à la pratique de l'éthique au sein de l'entreprise. Je ne prétends pas que nous sommes arrivés au bout du chemin dans le domaine de la RSE, mais nous tâchons, avec les moyens qui sont les nôtres, de peser sur ces deux groupes afin que, sur le long terme, ils soient exemplaires.

L'État actionnaire, investisseur avisé et de long terme, a aussi le souci du rendement de l'actif. De ce point de vue, l'investissement réalisé au sein du groupe PSA s'est avéré rentable, puisque les 800 millions d'euros investis au moment de l'augmentation de capital valent aujourd'hui 1,5 milliard d'euros, soit une plus-value potentielle de plus de 700 millions. Jusqu'à présent, l'entreprise connaissant une phase de redressement, nous n'avons pas réclamé de dividendes, car il était sain que l'actionnaire ne cherche pas à puiser dans la trésorerie ; cette politique évoluera toutefois à l'avenir, à mesure que les bons résultats du groupe se confirmeront.

S'agissant de Renault, la position historique de l'État au sein du groupe empêche l'évocation de la notion de plus-value. Nous menons cependant une politique de modération dans la distribution de dividendes, particulièrement au lendemain d'une situation de crise ; nous n'entendons pas moins revenir, à terme, à une situation plus habituelle. À cet égard, nous avons veillé à ce que l'entreprise normalise sa politique de dividendes, car une grande partie de ce qui était versé par Renault provenait des dividendes que lui servait le groupe Nissan. Ainsi, depuis l'année 2015, la contribution propre de Renault a augmenté : l'État a perçu 110 millions d'euros de dividendes et en percevra 140 millions pour 2016.

En réponse à votre question, madame la présidente, je puis indiquer que, lors de l'assemblée générale du groupe de 2015, l'État a acquis pour environ 1,2 milliard d'euros de titres afin de garantir à Renault un pouvoir de vote double au sein de l'entreprise, ce qui sera effectif dès le printemps prochain. Je rappelle que le ministre de l'économie a indiqué que, comme il s'y est engagé, l'État cédera ces titres lorsque les conditions du marché le permettront. Aujourd'hui le cours est légèrement inférieur à 85 euros : nous sommes sans doute assez proches du moment où la réalisation des actifs sera profitable.

L'APE est également présente, au-delà de ces deux entreprises, pour accompagner le secteur automobile français dans les grands défis qu'il doit relever aujourd'hui et dans les années à venir. De fait, ce secteur ne se limite pas aux deux constructeurs leaders français : il comprend aussi la chaîne des équipementiers au sein de laquelle sont présentes les grandes entreprises bien connues tels Valeo, Faurecia, Plastic Omnium, etc., certains équipementiers de premier rang ayant des relations capitalistiques avec les constructeurs ; viennent ensuite de plus petites entreprises, équipementiers de deuxième rang.

Nous sommes attentifs à ce que ces équipementiers de second rang – entreprises de taille moyenne et PME – puissent traverser dans les meilleures conditions la période de grande transformation technologique à laquelle ils sont confrontés, et la BPI est un acteur important de l'accompagnement de ces entreprises, à travers le Fonds de modernisation des équipementiers automobiles qui a versé plus de 600 millions d'euros. La BPI doit soutenir ce segment du secteur dans les domaines de la recherche et développement et de la modernisation de l'outil de production.

Le deuxième défi à relever par le secteur automobile est celui de l'internationalisation, ce qui implique la recherche d'une taille critique : comparés aux grands leaders mondiaux, qui fabriquent et immatriculent plus de dix millions de véhicules par an, les groupes Renault et PSA, avec deux à trois millions de véhicules, demeurent modestes. C'est pourquoi, nous avons le souci que ces deux entreprises trouvent les partenaires susceptibles de les accompagner dans une stratégie de rang mondial : Renault y est parvenu avec le groupe Nissan ; quant à PSA, nous accueillerons positivement tout projet d'alliance crédible et de nature à conduire l'industriel de façon durable vers les marchés européens.

L'internationalisation s'impose comme une absolue nécessité : Renault et PSA ne sauraient être dépendants du seul marché français – ce qui n'est d'ailleurs plus le cas – car celui-ci est loin d'être le plus dynamique d'Europe et du monde. Il est donc indispensable que ces deux constructeurs disposent de bases commerciales importantes dans le monde entier.

Le troisième défi auquel est confronté le secteur automobile est celui de la technologie : Renault et PSA doivent être au rendez-vous de la voiture connectée – qui est déjà une réalité – et de la voiture autonome, réalité technologique qui n'est pas encore aujourd'hui une réalité industrielle ni opérationnelle. Il faut néanmoins s'y préparer, et c'est pourquoi nous entendons aider ces deux groupes dans les stratégies propres à la conclusion des bonnes alliances dans le domaine de la technologie. Renault et PSA doivent en outre opérer les bons choix en matière de pollution afin d'être, là aussi, exemplaires.

Pour conclure, je dirai que le rôle que l'APE compte jouer auprès de ces deux groupes, comme dans l'ensemble du secteur automobile, est celui d'actionnaire de long terme – ce qui ne signifie pas que nous ne nous préoccupons pas du rendement de court terme – afin d'accompagner ces entreprises dans leurs alliances et dans leur développement international et technologique. Nous les voulons également exemplaires dans les domaines de l'environnement et de responsabilité sociétale.

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