À mon tour, je voudrais me réjouir de ce débat. Il met en évidence les analyses respectives des uns et des autres, et je note avec satisfaction des convergences importantes. Nous pensons tous que le retard de la France en matière de fiscalité écologique est le symptôme d'une carence dans nos politiques nationales, et constitue un handicap pour notre compétitivité.
Nous pensons tous qu'une fiscalité écologique peut être un élément important pour modifier les comportements, en adressant des signaux économiques cohérents. Quand nous demandons à nos concitoyens de faire preuve de civisme en adoptant les comportements les moins polluants, les moins consommateurs d'énergie, et qu'en même temps le signal des prix les incite à faire l'inverse, nous leur adressons des injonctions contradictoires. En tant que citoyens, ils sont tous d'accord pour privilégier ce qui protège notre environnement. Mais en tant que consommateurs, ils font logiquement attention à leur pouvoir d'achat, particulièrement en période de crise.
Grâce à la fiscalité écologique, en réhabilitant le principe du pollueur-payeur, que tous nos concitoyens connaissent et reconnaissent, nous pouvons leur permettre de sortir de cette schizophrénie. En rendant lisibles les signaux adressés par les pouvoirs publics et les acteurs économiques, par exemple par des dispositifs de type bonus-malus, nous pouvons réconcilier le citoyen et le consommateur en chacun de nous. Ce n'est pas le moindre des mérites de cette fiscalité.
Nous considérons également que cette fiscalité ne doit pas avoir pour effet pervers d'accroître la charge qui pèse sur les ménages les plus fragiles. Cela implique de faire preuve d'imagination et de souplesse dans la mise en place de mesures correctrices destinées à ces ménages, mesures qui doivent accompagner cette fiscalité. Elles seront évidemment d'autant plus pertinentes et d'autant mieux comprises si elles permettent d'accompagner ces ménages vers une consommation plus sobre, par exemple au moyen de « chèques verts » utilisables pour isoler son logement, utiliser les transports collectifs, changer de chaudière, privilégier des appareils électro-ménagers sobres, etc.
Cette logique ne vaut pas uniquement pour la création de nouvelles mesures fiscales, elle vaut aussi pour des dispositifs fiscaux actuels qui incitent à des comportements anti-écologiques, et qu'il faut progressivement supprimer. Nous les avons déjà évoqués lors des débats sur les lois de finances. Ces dispositifs portent sur les dégrèvements dont bénéficient les raffineries, les transports aériens, etc. J'insisterai tout particulièrement sur l'un d'entre eux, car il cumule tellement d'incohérences qu'il est difficile de comprendre pourquoi, malgré nos demandes multiples, rien ne bouge à ce sujet. Je veux parler des niches fiscales qui incitent nos concitoyens à acheter des véhicules diesel. Elles sont absurdes pour au moins six raisons.
Elles sont d'abord absurdes car elles incitent à acheter les véhicules les plus polluants, donc les plus nocifs pour la santé, comme l'a établi l'OMS, qui causent chaque année dans notre pays la mort prématurée de 40 000 personnes, et la réduction de notre espérance de vie de 6 à 9 mois. Nous connaissons tous, dans notre entourage, des personnes âgées et des jeunes enfants qui souffrent de maladies respiratoires. Outre ces souffrances, permettez-moi de rappeler que ces maladies pèsent lourdement sur les comptes de la sécurité sociale.
Elles sont absurdes, ensuite, car elles suggèrent à nos concitoyens qu'acheter un véhicule diesel est bon pour leur portefeuille. Or, l'UFC-Que choisir l'a montré, cela n'est vrai que pour un quart des possesseurs de ces véhicules, ceux qui roulent plus de 20 000 km par an. Tous les autres y perdent.
Elles sont absurdes aussi car elles pèsent lourdement sur le budget de l'État, et représentent un manque à gagner de l'ordre de 5 à 7 milliards d'euros. Dès 2005, la Cour des Comptes a mis en évidence qu'il n'y a aucune raison de subventionner ainsi un carburant qui n'a aucun avantage environnemental.
Ce n'est pas tout. Ces niches fiscales sont absurdes car la facture s'alourdit, si on prend en compte le fait – évoqué par Jean-Paul Chanteguet – que la surreprésentation des voitures diesel dans le parc automobile français accroît de 2 à 3 milliards d'euros par an nos importations de carburant, tout en mettant en danger les raffineries nationales, ce qui a des conséquences néfastes sur l'emploi et les finances publiques. Ajoutons que la facture s'alourdira encore quand la France sera condamnée à de lourdes amendes par la Cour de justice de l'Union européenne pour non-respect de la directive sur la qualité de l'air. En outre, je ne serais pas complet si je ne citais les études montrant que les particules diesel constituent le deuxième gaz à effet de serre le plus important, après le gaz carbonique. Il est donc absurde que le mécanisme de bonus-malus, destiné à lutter contre le dérèglement climatique, favorise les véhicules diesel. Au total, cette politique pro-diesel nous coûte près de 300 euros par an et par ménage ! Pour une politique aussi nocive, c'est cher payé !
Évidemment, je n'ignore pas les raisons qui freinent toute décision. C'est pourquoi, au début de mon propos, j'évoquais les précautions à prendre, au premier rang desquelles l'accompagnement nécessaire de toute fiscalité écologique, qu'il s'agisse de la mise en place d'une nouvelle mesure fiscale ou de la suppression de mesures fiscales anti-écologiques.
Si nous supprimons progressivement ces niches fiscales pro-diesel, il faut accompagner ce mouvement à la fois par des aides aux ménages les plus fragiles qui seraient pénalisés, au moyen de dispositifs du type de ceux qu'a retenus la ville de Bruxelles, comme la gratuité des transports collectifs pendant deux ans pour ceux qui renoncent à leur véhicule polluant, et par un accompagnement des constructeurs automobiles, qui subissent d'ailleurs de plein fouet la très mauvaise image du diesel à l'étranger. Cette image négative ne peut qu'être renforcée par la décision prise aujourd'hui par l'Union européenne en faveur des carburants propres. Cela tombe bien car la suppression des niches fiscales – comme toutes les autres mesures fiscales écologiques – génère des recettes qui peuvent être, au moins partiellement, consacrées à cet accompagnement.
Pour conclure, nous avons conscience que tout cela peut paraître compliqué. Mais y renoncer et reporter les décisions serait encore bien pire. En plus de nous faire subir plus longtemps ces politiques, cela rendrait les coûts de transition encore plus lourds. C'est pourquoi, je le redis, nous sommes heureux que le Gouvernement et la majorité aient décidé de prendre à bras-le-corps le dossier de la fiscalité écologique. Il est maintenant temps de passer aux actes ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)