Je répondrai d'abord à la question du rechapage et de la concurrence. Puis je laisserai M. Vinesse répondre plus spécifiquement aux questions concernant l'innovation et les produits. Je reprendrai ensuite la parole pour parler des émissions de particules d'usure puisque je faisais référence dans mon propos à l'initiative commune de l'industrie, le Tire Industry Project, lancé à l'initiative de Michelin en 2005. C'est l'un des sujets qui a été étudié par l'ensemble de l'industrie pneumatique mondiale.
Vous connaissez sans doute tous le concept de recreusage et de rechapage. Le recreusage consiste à recreuser des sculptures dans le pneumatique lorsque celles-ci sont usées ; nos pneus sont recreusables, c'est-à-dire qu'ils ont suffisamment de gomme pour que nous puissions recreuser des sculptures après qu'ils ont parcouru quelques centaines de milliers de kilomètres. Le rechapage consiste à remplacer purement et simplement la bande de roulement.
Il existe deux techniques de rechapage.
Le rechapage à chaud consiste à reconstruire le pneumatique en usine, à poser une bande de roulement « crue » et à remettre le pneu dans un moule qui imprime les sculptures. C'est ce qui se fait dans les ateliers Michelin, notamment dans celui de La Combaude.
Le rechapage à froid, qui est la spécialité des Pneus Laurent, à Avallon, consiste simplement à remettre des bandes de roulement préformées sur des carcasses qui peuvent être des carcasses d'autres marques que Michelin, mais qui ont fait l'objet d'une vérification en termes de qualité et de sécurité. Les pneumatiques sont ensuite installés dans des étuves pour obtenir l'adhésion entre la gomme et la carcasse.
En rechapant un pneu une fois et en le recreusant deux fois, c'est-à-dire en faisant un premier recreusage, puis en rechapant pour remplacer la bande de roulement et en recreusant ensuite cette bande de roulement, un pneu Michelin peut parcourir à peu près un million de kilomètres, contre environ 250 000 kilomètres pour un pneu mono-vie classique. Le rechapage est la pierre angulaire de l'approche « économie circulaire » du groupe Michelin.
Nous travaillons sur quatre axes : premièrement, la réduction, c'est-à-dire l'écoconception, qui consiste à concevoir des pneus plus légers, donc plus économes en matière première, des pneus plus sobres énergétiquement et rechapables ; deuxièmement, la réutilisation, avec le recreusage, le rechapage, et éventuellement la réparation des pneumatiques poids lourds ; troisièmement, le recyclage en boucle courte – pouvons-nous réutiliser du pneu dans la fabrication de nouveaux pneus ? C'est un peu compliqué techniquement. Pouvons-nous valoriser de manière énergétique ou sous forme de matière première secondaire les pneus en fin de vie ? Quatrième axe enfin : le renouvellement, qui consiste à remplacer des ressources finies par des ressources renouvelables, et peut-être à utiliser plus de caoutchouc naturel, l'hévéa étant un arbre qui produit et qui se renouvelle pendant trente-cinq ans. Nous travaillons également sur des fabrications de butadiène biosourcé au lieu de butadiène issu de la chimie du pétrole, comme c'est le cas aujourd'hui.
Pour répondre à votre question sur les éléments du marché européen du poids lourd et à son impact sur le rechapage, je citerai quelques chiffres.
Le marché européen du pneumatique poids lourds de remplacement est d'environ 24 millions de pneus vendus chaque année. Il faut comparer ce marché avec un marché mondial de 140 millions de pneumatiques vendus chaque année – je parle ici du pneu radial, c'est-à-dire ce que nous fabriquons.
Le marché européen du pneumatique poids lourds de remplacement a reculé de 14 % entre 2007 et 2015, avec 24 millions de pneus annuels vendus en 2015, contre presque 30 millions en 2007. Dans le même temps, le marché du rechapage a reculé de 25 % en Europe.
L'essentiel de la baisse du marché du rechapage s'est concentré sur les quatre dernières années. Pendant la période 2011-2015, la baisse atteint presque 20 %, soit, aujourd'hui, un marché de 5,4 millions de pneumatiques rechapés par an, contre 6,8 millions en 2011. Dans le même temps, les importations de pneumatiques poids lourds neufs à bas coût en provenance du Sud-Est asiatique ont augmenté de près de 100 % : 4,4 millions de pneus contre 2,2 millions en 2011.
Je vous ai parlé, dans mon propos liminaire, des capacités industrielles en Chine. En ce qui concerne le pneumatique poids lourd, il y a, aujourd'hui, pour un marché mondial de 140 millions de pneus radiaux vendus chaque année, une capacité installée de l'ordre de 180 millions de pneus, la différence étant largement supérieure à la taille du marché européen. L'essentiel de cette surcapacité se trouve effectivement en Chine.
Pourquoi cette baisse du rechapage ? Vous l'avez dit vous-même, les transporteurs préfèrent, aujourd'hui, acheter des pneus neufs d'entrée de gamme à bas coût plutôt que de faire rechaper leurs pneus poids lourds. Plus de 50 % des flottes de transporteurs européens ont moins de vingt camions et sont confrontées à des difficultés de trésorerie, qui sont prioritaires par rapport à la notion de coût réel d'usage, c'est-à-dire ce que peut apporter le pneu rechapé. Le pneu rechapé présente un coût de revient kilométrique largement inférieur à celui d'un pneu neuf ; encore faut-il, au départ, sortir la trésorerie nécessaire pour acheter ce pneu qui, en effet, coûte plus cher.
Quelles sont les conséquences pour l'industrie du rechapage et pour Michelin ?
Mme Saugues a évoqué le chiffre de 62 %. Ce pourcentage ne s'applique pas à l'atelier de La Combaude ; c'est la capacité moyenne utilisée dans nos usines de rechapage européennes qui fabriquent du rechapage à chaud, et ce, en dépit des annonces que nous avons faites en novembre dernier sur la fermeture d'une activité de rechapage à Oranienburg, en Allemagne, et sur la fermeture d'un atelier de rechapage à Alessandria, en Italie.
Les évolutions de marché se sont accélérées dans le mauvais sens pour l'industrie du rechapage, qui emploie plus de 18 000 personnes en Europe. Ce qu'il se passe au niveau européen n'affecte pas seulement le groupe Michelin : notre concurrent Goodyear a annoncé la fermeture de son site de rechapage de Wolverhampton, au Royaume-Uni, ce qui représente une centaine d'emplois ; notre concurrent italien Marangoni a annoncé un plan social de 150 personnes pour son usine de Rovereto. De nombreux petits acteurs allemands sont en train de déposer leur bilan, comme Respa ou Haemmerlin. Il y aurait également de nombreuses fermetures d'ateliers de rechapage en Europe centrale. Au total, d'après notre estimation, à peu près 1 800 emplois dans ce secteur ont été supprimés en Europe depuis 2011.
Pourquoi faut-il sauver le rechapage ? Il n'appartient pas au groupe Michelin de juger la loyauté de la concurrence exercée par ses concurrents, en particulier asiatiques. En revanche, il nous semble que tous les moyens devraient être mis en oeuvre pour sauvegarder le modèle du rechapage, éminemment vertueux.
Vertueux socialement, parce que ce secteur emploie 18 000 personnes en Europe. Ces emplois ont la particularité de mailler tout le territoire puisque l'on parle en l'occurrence de gens qui vont collecter les carcasses partout en Europe. Il s'agit aussi de postes très intensifs en travail humain.
Vertueux économiquement, parce que les pneus rechapés figurent parmi les solutions les moins onéreuses du marché du remplacement. Toutes mes études démontrent que l'on peut générer un gain de l'ordre de 10 % en termes de coût d'usage total si l'on équipe une flotte poids lourds de pneus rechapés Michelin, plutôt que de pneumatiques mono-vie.
Le rechapage est aussi un modèle vertueux sur le plan environnemental. Vous avez parlé, madame la rapporteure, des pneus en fin de vie. Le rechapage est la seule solution acceptable sur le plan de l'environnement.
Dans le cas d'un transporteur qui achète deux pneus mono-vie, vous aurez, en termes d'usage de matière première, deux fois soixante-huit kilos, ce qui représente 136 kg de matière première, contre quatre-vingt-six kilos pour un pneu rechapé, c'est-à-dire le pneu d'origine plus vingt kilos pour la bande de roulement qui a été posée sur ce pneu, soit une économie de matière première de 35 %.
En termes de déchets, s'agissant de la première solution, une fois que la bande de roulement est usée, le poids de la carcasse et du reste de gomme représente à peu près cinquante-cinq kilos. L'économie est de 50 % par rapport au poids de deux pneus pesant chacun cinquante-cinq kilos, soit 110 kg, qu'il faudra gérer en termes de fin de vie, contre cinquante-cinq dans le cas d'un pneu neuf et d'un pneu rechapé.
Bien sûr, l'analyse environnementale doit aussi prendre en compte l'analyse du cycle de vie du pneumatique. M. Vinesse a indiqué que l'usage du pneumatique représentait près de 90 % de celui-ci en termes d'émission de CO2. J'insiste sur le fait qu'un pneu rechapé, en termes de résistance au roulement, et donc, d'émissions de CO2, est aussi favorable, voire plus favorable qu'un pneu mono-vie Tier 3, d'entrée de gamme, importé du Sud-Est asiatique.
Enfin, vous n'êtes pas sans savoir que la Commission européenne a publié son paquet « économie circulaire » en décembre dernier. Il serait, pour nous, regrettable d'assister au démantèlement de tout un ensemble qui répondra peut-être, d'ici à quelques années, à une vraie demande économique, sociale et politique.
L'une des pistes est d'aider les flottes à surmonter leur problématique conjoncturelle de trésorerie pour qu'elles puissent bénéficier du coût d'usage total que leur apporterait le rechapage. Faut-il mettre en place des certificats d'économie circulaire, des certificats d'économies de matière première, ou d'autres systèmes ? Il nous semble important de creuser ces pistes pour essayer d'apporter des solutions.
En ce qui concerne les annonces de ce matin, dont vous n'avez peut-être pas eu le temps de prendre intégralement connaissance, je voudrais insister sur le traitement social.
Nous avons annoncé ce matin que, dans le contexte du marché européen du rechapage, après avoir investi près de 50 millions d'euros au cours des dix dernières années dans l'atelier de rechapage de La Combaude, nous avions fait le choix de le fermer. Cela concerne 330 personnes, dont 262 ouvriers. Mais il faut noter que l'évolution de la pyramide des âges du groupe à Clermont-Ferrand se traduira par environ 1 500 départs à la retraite dans les trois prochaines années. Du coup, cette fermeture d'atelier se traduira simplement par une offre de reclassement pour 330 personnes dans des postes de travail, à conditions comparables, sur les sites clermontois. Autrement dit, cela se fera sans départs contraints ni licenciements.
Dans le même temps, nous avons annoncé que nous allions investir 90 millions d'euros sur les sites clermontois, le site des Gravanches, le site de Cataroux et le site de La Combaude, qui ne fait pas que du rechapage, mais qui accueille aussi des activités logistiques, ainsi que des activités de moules en impression 3D, la fabrication additive métal. Si vous avez suivi l'actualité, vous savez peut-être que Michelin a annoncé, il y a quelques mois, la création d'une coentreprise avec Fives sur ce sujet, sur lequel nous sommes largement en avance par rapport à nos concurrents.