Intervention de Marc Dolez

Séance en hémicycle du 8 mars 2016 à 15h00
Lutte contre le crime organisé le terrorisme et leur financement — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Dolez :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de la première lecture, la philosophie de ce projet de loi n’a guère évolué et ses dispositions les plus négatives demeurent.

Dans les débats, nous avons certes souligné les avancées et clarifications apportées sur plusieurs points, comme la consolidation du contrôle des moyens de paiement et de l’organisation de la cellule Tracfin, qui détecte les mouvements financiers suspects, le renforcement de la protection des témoins, l’amélioration du contrôle des armes ou encore le renforcement des garanties et la simplification de la procédure pénale, dont l’une des mesures consiste à introduire une phase contradictoire dans les enquêtes préliminaires conduites par le parquet.

Plusieurs de ces mesures étaient attendues de longue date par le monde judiciaire. Mais là n’est pas le plus important : le projet de loi comprend surtout des dispositions que nous jugeons dangereuses pour les libertés individuelles. Elles marquent en effet un glissement indéniable vers l’intégration de mesures exceptionnelles dans notre droit commun, un durcissement de notre arsenal juridique et un déséquilibre entre autorité administrative et autorité judiciaire.

Notre rejet du texte se fonde pour l’essentiel sur quatre dispositions majeures. Il s’agit d’abord de l’article 17, qui prévoit l’extension des pouvoirs des forces de l’ordre à l’occasion des contrôles et vérifications d’identité. La liste des infractions permettant de recourir à l’inspection visuelle et à la fouille des bagages est très largement définie et ne se limite pas aux seuls cas de terrorisme. Ce dispositif, qui n’est pas suffisamment encadré, apparaît ainsi totalement disproportionné.

Ensuite, l’article 18 crée une véritable garde à vue administrative, sans avocat, consécutive à un contrôle d’identité alors même que la personne aurait justifié de son identité. Les forces de l’ordre pourront retenir une personne, pendant quatre heures maximum, pour vérification de sa situation en cas de soupçon de lien avec une activité terroriste alors que, dans ce cas, celle-ci devrait être placée en garde à vue sous le contrôle de l’autorité judiciaire. C’est pourquoi nous jugeons ce régime dérogatoire à la fois inutile et dangereux.

Quant à l’article 19, il prévoit un nouveau cas d’irresponsabilité pénale pour les policiers, gendarmes et douaniers. Cette extension n’est ni justifiée, ni nécessaire juridiquement car les dispositifs actuels permettent déjà aux intéressés d’invoquer la légitime défense et l’état de nécessité.

Enfin, l’article 20 autorise le ministre de l’intérieur, sans enquête judiciaire approfondie, à assigner à résidence et à imposer des obligations et interdictions à toute personne soupçonnée de revenir d’un théâtre d’opérations terroristes. Ce dispositif qui substitue un contrôle administratif au contrôle judiciaire n’est pas acceptable en raison de l’autorité qui décide sa mise en oeuvre et du critère légal flou qui permet d’y recourir.

Comme l’a souligné le Défenseur des droits, avec cet article, le Gouvernement inscrit dans notre droit commun une mesure portant atteinte à la liberté d’aller et de venir, largement inspirée de l’assignation à résidence prévue par le régime de l’état d’urgence actuel.

En résumé, ces articles privent l’autorité judiciaire de son rôle de garante des libertés individuelles et introduisent des mesures d’exception dans le droit commun. Ils suscitent à juste titre de multiples et vives critiques émanant notamment de voix parmi les plus autorisées du monde judiciaire. Le Gouvernement ne les a malheureusement pas entendues et aucun infléchissement réel n’a été consenti sur ces différents dispositifs.

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