La commission des affaires culturelles et de l’éducation a adopté, mercredi 2 mars dernier, la proposition de loi que j’ai déposée avec Bruno Le Roux et les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen, visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias.
La liberté d’expression, nous le savons, est un combat permanent, tant contre l’intolérance et la haine que contre les risques d’uniformisation des pensées. Cette liberté exige le pluralisme des médias, qui permet à nos concitoyens de se forger une opinion libre dans la diversité des courants de pensée. Mais au-delà du pluralisme, la liberté d’expression requiert aussi que nos compatriotes aient confiance dans l’information qui leur est fournie – c’est-à-dire qu’ils puissent accéder à une présentation des faits honnête et dégagée de l’emprise des intérêts particuliers.
Or cette confiance est particulièrement abîmée dans notre pays. Seuls 39 % des Français disent faire confiance aux médias, soit dix points de moins que nos principaux voisins. Pire, nos concitoyens portent un regard très sévère sur le métier de journaliste : seuls 27 % d’entre eux les estiment indépendants des pressions politiques et de l’argent.
Bien sûr, la révolution technologique, qui impose un rythme effréné à l’information et multiplie les pressions sur les coûts de production, n’a pas contribué à freiner cette dégradation. De plus, des événements récents ont jeté le trouble sur la liberté réelle d’investigation dont disposent les journalistes à l’égard de leurs actionnaires. En France, ce poison du soupçon est d’autant plus foudroyant que les grands médias appartiennent à des grands groupes industriels et financiers, dont le coeur de métier – et parfois les préoccupations – sont éloignées du devoir d’informer en toute indépendance.
Il suffit d’un simple soupçon de censure pour que de nombreux journalistes, aux conditions d’emploi de plus en plus précaires, ainsi que des sociétés de production, soient tentés de s’autocensurer, en évitant précautionneusement toute investigation susceptible de heurter les intérêts protéiformes des actionnaires.
Il est indispensable de restaurer ce lien de confiance, qui est essentiel à la survie même de nos médias. Pour ce faire, la présente proposition de loi emprunte un chemin original qui vise à relever les défis de la concentration actuelle, et dont les maîtres mots sont : indépendance et transparence.
Ce texte le fait, tout d’abord, en renforçant les protections accordées par la loi aux journalistes, qui sont les vrais dépositaires de l’indépendance de l’information. Je crois inutile de vous exposer en détail les indices qui témoignent de la nette dégradation de leur poids dans le rapport de force au sein des médias, qu’illustre par exemple par la baisse spectaculaire de 20 % depuis 2010 du revenu médian des journalistes en CDD.
Certes, les deux grandes protections reconnues par la loi depuis 1935, la clause de cession et la clause de conscience, demeurent précieuses, mais ce sont des armes de dernier recours, lorsque face à de nouveaux actionnaires ou à un changement de ligne éditoriale, les journalistes n’ont le choix que de se soumettre ou de se démettre.
Il faut aller plus loin, donner plus de garanties à ceux qui exercent le métier de journaliste, afin que les intérêts des actionnaires ou des annonceurs ne puissent altérer l’information. À cette fin, l’article 1er propose de généraliser à tous les journalistes le droit d’opposition reconnu depuis 1983, d’abord dans un cadre conventionnel, aux seuls journalistes de l’audiovisuel public. Témoignant de l’importance qu’elle accordait à ce droit, la précédente majorité, à l’initiative de l’opposition d’alors, l’avait même consacré dans la loi de réforme de l’audiovisuel de 2009.
Ce droit d’opposition est très protecteur. Il vise, en effet, des aspects précis de la démarche du journaliste, dont le dévoiement met en cause l’honnêteté de l’information. Surtout, il fournit une protection générale couvrant tous les champs où peuvent surgir les intérêts, en précisant qu’un journaliste ne peut être contraint d’accepter un acte contraire à son intime conviction professionnelle.
Cette notion a été utilement précisée lors de l’examen en commission, et adossée au respect de la charte déontologique de l’entreprise. Et c’est en cohérence que toutes les entreprises de presse et de communication audiovisuelle devront négocier et adopter, avant la fin de cette année, une charte de déontologie, nécessairement inspirée de la charte d’éthique professionnelle des journalistes de 1918, révisée en 1938 et en 2011, ou de la déclaration des droits et des devoirs de Munich de 1971.
Parallèlement, les débats en commission ont permis de confirmer que ce droit d’opposition n’interfère en rien avec la fixation de la ligne éditoriale ou l’autorité du directeur de publication. Les comités d’entreprise débattront au moins une fois par an de l’application de ce droit dont le juge du travail sera le gardien vigilant. Notons enfin que les sociétés qui l’enfreindront verront les aides publiques à la presse dont elles bénéficient suspendues.
La commission a également fait le choix d’adopter une réforme plus protectrice du secret des sources des journalistes, élément décisif pour garantir la qualité et l’indépendance de leur travail d’investigation. Depuis, le Gouvernement a proposé, par voie d’amendement, un dispositif différent : cela permettra un débat en séance, débat d’autant plus nécessaire que le projet de loi de 2013 afférent à cette question n’avait pu aller au-delà de l’examen par les commissions des lois et des affaires culturelles.
Le deuxième grand axe de la proposition de loi concerne les médias audiovisuels que la rareté des fréquences et l’ampleur des audiences ont placés, depuis 1982, dans le champ d’une régulation particulière assurée par une instance désormais pleinement indépendante. L’ambition poursuivie repose, là encore, sur une démarche de confiance et de clarté.
C’est ainsi au nom de la confiance dans les vertus de l’autorégulation qu’il est proposé, à l’article 7, de généraliser l’existence de comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes dans tous les services de télévision et de radio qui diffusent des émissions d’information politique et générale. Ce type d’organisme a spontanément émergé au cours des dernières années, d’abord au Monde puis à France Télévisions, avant que les questions de déontologie soulevées par les terribles attentats de l’année 2015 n’encouragent à leur multiplication au sein des chaînes d’information continue. Mais pour avoir une chance de convaincre nos concitoyens de leur utilité, ces comités doivent respecter des principes fondamentaux, que l’on ne retrouve pas toujours aujourd’hui. Leurs membres doivent en particulier être à l’abri de tout soupçon de collusion avec les éditeurs, les actionnaires et les annonceurs ; d’où des dispositions visant à éviter tout conflit d’intérêts dans les trois – peut-être deux – années qui précèdent leur nomination, ainsi que dans l’année qui la suit.
J’en viens au rôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel – CSA –, qui est parfois mal interprété. Le texte ne propose aucune révolution : il est naturellement dans les missions de l’autorité de régulation de garantir que l’information dispensée par les médias ne soit pas malhonnête, univoque ou dictée par les intérêts particuliers de leurs propriétaires ou de leurs annonceurs. Toutefois ces missions, d’ores et déjà définies par la loi, sont éparses, et les pouvoirs du CSA, inégaux selon les principes.
Le pluralisme, en particulier, est un critère de délivrance des autorisations d’émission et une disposition obligatoire des conventions, mais il fait aussi l’objet de recommandations générales. Les manquements aux obligations entraînent des mises en demeure et des sanctions dont on a pu constater l’impact lorsque, en octobre dernier, le CSA a pris la décision historique de retirer à la chaîne Numéro 23 l’autorisation d’émettre en juin prochain.
L’honnêteté et l’indépendance de l’information, en revanche, ne figurent que parmi les nombreux critères de délivrance et de reconduction des autorisations d’émission. Les dispositions des conventions qui leur sont consacrées sont, en conséquence, très inégalement protectrices selon les éditeurs. La proposition de loi vise donc à mettre de l’ordre dans ce paysage morcelé en clarifiant les missions du CSA et en lui donnant des moyens efficaces d’agir pour faire respecter ces trois principes. Leur respect serait étendu non seulement à l’information mais aussi aux programmes, tant les frontières entre les deux sont perméables.
En complétant et en renforçant les missions de l’autorité de régulation, l’article 2 lui permettra d’agir comme elle le fait déjà pour ses autres missions, tel le respect de la diversité ou de la parité, avec la possibilité d’émettre, lorsque c’est nécessaire, des recommandations générales. Cependant, pour éviter que l’autorité ne se mue en juge quotidien du droit d’opposition, la commission a précisé que seules les conventions pourront déterminer les engagements pris pour garantir ce droit.
Le CSA pourra, par cohérence, user de tous ses pouvoirs de sanction face aux manquements. La gravité des entorses à ces principes décisifs justifie en outre qu’ils soient intégrés, par l’article 5, parmi les motifs qui empêchent la reconduction automatique des autorisations d’émettre délivrées aux services de télévision et de radio.
Enfin, aux termes de l’article 8, le CSA devra naturellement rendre compte de son action dans le rapport annuel public qu’il remet au Parlement.
Le présent texte parachève un travail, que je sais consensuel, sur la transparence de la presse écrite et en ligne en obligeant les publications à porter à la connaissance de leurs lecteurs toutes les modifications du statut, des dirigeants et des actionnaires, et de publier un état annuel de la composition de leur capital et de leurs organes dirigeants. De ces dispositions aussi la proposition de loi assurera une application concrète, aujourd’hui défaillante, en prévoyant la suspension des aides aux publications qui manqueraient à leurs obligations.
Tels sont, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les principaux enjeux de ce texte qui, dans la suite logique de la loi de 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public, contribuera au renforcement, dans notre pays, de l’expression démocratique des idées et des opinions.
Le 04/12/2016 à 19:07, otiia. leitao a dit :
Je voudrais savoir si le Droit d'oposittion des journalistes (2016) remplace la clause de conscience des journalistes(1935) ou, s'ilexiste les deux. Son les deux valides? Je suis journalistes portuguaise qui etudie la clause de conscience dans l'Eurpe. Le nouveaux droit va anuler la clause? Est le journaliste qui vai denouncer les pressions dans la redation? Coment le journaliste est protegé? Les actionaires ou les patrons executivs les peuvent demetre ou faire de persecution aux journalistes qui denoncent les pressions. Merci si vou me repondre, please.
Le 03/12/2016 à 19:49, otiia. leitao a dit :
Cete droit d'Oposittion vient remplacer la clause de conscience des journalistes? Please, je suis journaliste porutuguase e je etudie la clause de conscience. Je pretend savoir se existe les deux au même temp ou se une renplace l'outre. Merci
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