Intervention de Audrey Azoulay

Séance en hémicycle du 8 mars 2016 à 15h00
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Présentation

Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication :

Monsieur le président, monsieur le président et rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi, au début de cette séance, de saluer à mon tour la mémoire de Sophie Dessus, dont la disparition a endeuillé le Parlement et tous ceux, dont j’étais, qui ont eu le plaisir de la connaître.

La liberté d’expression et la liberté de création sont indissociables. Sans Liberté, pas de République ; sans libertés, pas de démocratie. La défense de nos libertés est, dans la durée, le plus sûr moyen de défendre notre sécurité. C’est pourquoi, après les attentats que nous avons connus, il nous faut plus que jamais dire quelles sont nos valeurs, quelle est notre éthique, quelles sont nos convictions.

La défense de la liberté d’expression structure tous les débats qui ont accompagné la vie de la République. En 2015, nous avons reçu des messages de soutien et de solidarité du monde entier, car attaquer Paris, c’est s’attaquer à la patrie des artistes et au refuge des libertés. Voilà qui nous dit qui nous sommes, qui nous voulons être et quels sont nos principes.

Pour faire vivre ces principes le législateur a emprunté, tout au long de l’histoire, des voies différentes. Je veux en rappeler rapidement les différentes étapes et préciser où nous allons. La loi de 1881 est forte, car elle a permis de trouver un point d’équilibre entre la défense de la liberté de la presse et, face aux possibles abus de cette liberté, la défense des droits du citoyen. La loi de 1982, en créant une haute autorité, a quant à elle garanti l’indépendance des médias ; elle fut aussi un moment majeur dans la construction de l’indépendance d’un audiovisuel né dans le giron de l’État.

Depuis 2012, ces libertés ont été résolument renforcées et des reculs réparés. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui poursuit ce chemin ambitieux. Elle fait suite à la loi de novembre 2013, grâce à laquelle les responsables de l’audiovisuel public sont de nouveau nommés par une instance indépendante. Cette loi a aussi renforcé l’indépendance du collège du CSA à travers les conditions de nomination de ses membres.

Le texte dont nous discutons fait également suite à la loi de finances pour 2016 – laquelle a redonné au financement du secteur audiovisuel public sa pleine indépendance par rapport au budget général de l’État – et à la loi votée à l’initiative de Michel Françaix en faveur du pluralisme des médias. Ce dernier texte inclut notamment « l’amendement Charb », qui permet à chaque citoyen d’aider le journal de son choix, et il a créé le statut d’entreprise solidaire de presse, que le journal Charlie Hebdo, en juillet dernier, fut le premier à adopter.

Je pense aussi au projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, que j’ai eu l’honneur de reprendre. Ce texte consacre la liberté de création et de programmation ; il donnera aux artistes et aux salles de spectacle les moyens juridiques les plus robustes contre la censure et le repli, sans permettre une liberté absolue puisque, on le sait, des discours de haine peuvent s’exprimer sous couvert d’être des « spectacles ».

Je ne doute pas que la proposition de loi sur l’indépendance des médias, que Patrick Bloche défend dans un dialogue fécond avec le Gouvernement, constituera une nouvelle pierre de cet édifice législatif protecteur des libertés.

J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt, mesdames et messieurs les députés, vos débats en commission, et je me réjouis des points d’accord que vous avez déjà su trouver. La proposition de loi apporte des garanties nouvelles aux journalistes, aux rédactions et aux médias dans leur ensemble. C’est un texte d’une grande cohérence, équilibré, qui vient consacrer et parfaire les réformes que je rappelais.

Je veux en souligner trois points majeurs, à commencer par la protection de la liberté éditoriale des journalistes. L’article 1er permet en effet d’étendre à tous les journalistes, quels que soient les médias dans lesquels ils travaillent, la protection déjà applicable aux journalistes de l’audiovisuel public. Grâce à cette protection, un journaliste peut refuser toute pression qui conduirait à lui faire accepter un « acte contraire à son intime conviction professionnelle », notion que vous avez adossée, lors de l’examen en commission, à une charte déontologique de l’entreprise : ainsi ancrée dans un référentiel collectif partagé, la protection n’en sera que plus efficace.

Deuxième élément fort : la protection des médias vis-à-vis des pressions économiques. De fait, les exemples de pression des annonceurs sur la programmation d’un reportage ou d’un documentaire ne peuvent être ignorés. L’article 2, en confiant au CSA le soin de veiller à ce qu’aucune atteinte ne soit portée aux principes d’indépendance et de pluralisme de l’information, répond de façon efficace et pragmatique à ces dangers. Comme l’a précisé Patrick Bloche, ces dispositions ne donnent au CSA aucun pouvoir excédant ses attributions : je veux parler de l’éthique et de la déontologie, qui relèvent du dialogue entre les journalistes, les éditeurs et leurs publics.

J’évoquerai enfin le troisième point fort du texte, la création de « comités relatifs à l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes » qui, sans porter atteinte à la liberté éditoriale des éditeurs, traiteront de façon transparente et concertée les éventuelles menaces portées à leur connaissance s’agissant de l’indépendance du média concerné.

J’en viens aux amendements du Gouvernement, en commençant par l’amélioration des garanties apportées au secret des sources des journalistes. Cet enjeu dépasse largement les journalistes eux-mêmes puisqu’il engage le fonctionnement de la démocratie tout entière. Ce qui est en jeu, en effet, c’est la capacité d’investiguer, d’informer, donc de faire fonctionner une démocratie réelle.

Je connais votre attachement à cette réforme : vous l’avez démontré lors de vos travaux au sein de la commission des affaires culturelles comme de la commission des lois ; vous connaissez également ma détermination à la faire adopter, comme le Président de la République s’y était engagé lors de sa campagne.

Il nous appartient donc, tous ensemble, de trouver le point d’équilibre le plus juste entre la sécurité que nous devons garantir aux journalistes – et, par là même, à la démocratie – et les garanties de sécurité collective que nous devons à tous nos concitoyens.

Votre travail a permis d’apporter de nettes améliorations à la loi du 4 juillet 2010. La commission des affaires culturelles et la commission des lois ont poursuivi ce même objectif, avec des approches parfois différentes. Il nous appartient, là encore, de trouver ensemble le point d’équilibre qui permettra à ce texte tant attendu de voir enfin le jour.

Parmi ces améliorations, je veux citer l’obligation faite aux enquêteurs d’obtenir l’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention avant toute action pouvant porter atteinte au secret des sources. Ce contrôle s’effectuait a posteriori dans le cadre de la loi de 2010. Il s’agit donc d’une avancée majeure.

Je citerai également l’extension de la protection du secret des sources à tous les collaborateurs de la rédaction – et non seulement aux journalistes, que visait explicitement la loi de 2010 –, ainsi que l’interdiction de condamner un journaliste pour délit de recel d’une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction, ou pour une atteinte à la vie privée. Sur tous ces points, nous sommes d’accord : c’est là un premier bénéfice important de notre travail commun.

Il nous paraît aussi nécessaire de mieux définir la notion d’« impératif prépondérant d’intérêt public », qui figure dans le droit actuel. Face aux risques d’interprétation de cette formule trop vague, la définition de ce qui peut porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, à travers ce qui est « grave », donnera au juge un cadre précis et protecteur. Cette définition correspond à un équilibre raisonnable ; aussi vous la soumettrai-je au nom du Gouvernement lors de la discussion des articles.

Mesdames et messieurs les députés, défendre la culture, protéger la liberté de création, garantir l’indépendance des médias, c’est faire échec à la guerre contre la culture ; c’est dire quel projet de société nous portons, et c’est aussi adresser un message de confiance de notre société envers elle-même, sur sa capacité à être transparente et à construire son avenir avec les yeux grands ouverts.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion