Intervention de Tièman Hubert Coulibaly

Réunion du 15 janvier 2013 à 17h15
Commission des affaires étrangères

Tièman Hubert Coulibaly, ministre des affaires étrangères de la République du Mali :

Je vous remercie de me donner l'occasion de m'entretenir aujourd'hui avec vous, dans un contexte difficile pour le Mali comme pour la France. Comme l'a rappelé Mme la présidente Guigou, nous venons d'assister à la cérémonie d'hommage au chef de bataillon Damien Boiteux, qui a donné sa vie pour nous permettre, à nous Maliens, de continuer à construire un État libre et démocratique. Je tiens avant toute chose à vous témoigner, à vous représentants du peuple de France, la gratitude et la reconnaissance du peuple du Mali. Il ne fait aucun doute que les décisions prises ces derniers jours par la France nous ont permis de reprendre espoir et d'entrevoir des perspectives pour continuer à construire un État véritablement libre et démocratique. Si cette intervention qui fait suite à la demande pressante et urgente adressée par le Président de la République du Mali au Président français n'avait pas reçu un accueil favorable, le peuple malien aurait dû faire face à une situation encore plus difficile que celle qu'il a connue ces derniers mois.

Des groupes terroristes et narco-jihadistes se sont installés au Mali depuis quelques années. Le fait que le groupe de travail évoqué par Mme la présidente Guigou soit consacré au Sahel atteste que vous êtes conscients de ce que ce phénomène touche toute la bande sahélo-saharienne et que les enjeux en termes de sécurité et de développement concernent un ensemble de pays.

La situation que connaît le Mali s'explique par la fragilité dont souffre encore l'État et par une géographie difficile marquée notamment par une frontière longue et poreuse. Une grande instabilité et une grande rupture institutionnelle ont ménagé à ces groupes terroristes une occasion pour tenter de faire prospérer leur projet criminel. Depuis plusieurs mois, nous avons réalisé de grands efforts sur le plan institutionnel. La communauté internationale nous a aidés à rétablir la Constitution, qui avait été suspendue après le coup d'État du mois de mars. Avec l'aide de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), des autres partenaires de l'Union africaine et de l'Union européenne, ainsi qu'avec le concours bilatéral de certains pays, dont le vôtre, nous nous sommes progressivement efforcés de reconstruire une cohérence politique et institutionnelle pour faire face à cette rupture qui a éprouvé le Mali. Malheureusement, même s'ils ont connu quelques résultats, nos efforts n'ont pas été suffisants pour contenir la menace beaucoup plus grave qu'est la sanctuarisation de ces groupes terroristes au Nord du Mali. Un long processus, riche de trois résolutions, a été mené aux Nations Unies, là encore avec le leadership de la France, pour aboutir en novembre à la résolution 2085 autorisant le déploiement d'une force militaire d'assistance à l'armée malienne face aux djihadistes.

Parallèlement aux préparatifs militaires en cours, il était prévu que le Mali s'engage dans un processus de discussions politiques avec ceux des insurgés armés qui parviendraient à rompre avec le terrorisme, à renoncer à la violence et à ne pas remettre en cause l'intégrité territoriale du pays, ni le caractère laïc et républicain de notre État ou l'unicité de notre nation. Le Burkina Faso ayant été désigné par la CEDEAO comme médiateur de notre double crise, la dernière phase de cette discussion a eu lieu à Ouagadougou les 3 et 4 décembre. Je conduisais la délégation chargée de définir les préalables de ce dialogue inter-malien afin d'avancer vers des pourparlers, voire des négociations.

Les conditions que nous avions posées étaient celles que je viens de citer : intégrité du territoire, laïcité, République et unicité de notre nation. Nous nous sommes quittés le 4 décembre au soir avec un communiqué fixant ces principes, mais nous avions déjà attiré l'attention de nos partenaires, notamment de la France, sur le fait que, pendant que nous menions cette discussion à Ouagadougou, on observait l'inverse sur le terrain. Les 3 et 4 décembre, j'ai informé le médiateur que des troupes avaient été massées à Kidal. Le 5, nous avons été informés qu'Ansar Eddine et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) avaient déplacé des troupes à proximité de la zone de l'Office du Niger, à Nampala, à Léré et à Diabali, petite ville aujourd'hui très célèbre. Le 17 décembre, en me rendant aux Nations Unies, j'ai rencontré M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères de la France, à qui j'ai communiqué ces informations et indiqué que nous étions inquiets de ces mouvements qui se déroulaient sur le terrain alors que nous étions engagés dans une approche politique. Le 20 décembre, nous avons obtenu la résolution des Nations Unies et avons assisté, quelques jours plus tard, à un rapprochement entre ce qu'il restait du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) et Ansar Eddine, annoncé dans un communiqué publié à Alger et indiquant que ces deux groupes se coalisaient désormais pour s'acheminer vers une approche plus pacifique et des discussions avec le Mali et qu'ils s'engageaient à tout faire pour obtenir la libération des otages. Deux jours plus tard, ce communiqué était démenti par Ansar Eddine.

Au tout début du mois de janvier, ce groupe a publié un manifeste fustigeant les 50 ans de l'histoire du Mali et annoncé qu'il renonçait à cesser les hostilités avec ce pays. Quelques jours plus tard, avaient lieu les attaques à la suite desquelles nous avons été obligés de demander d'urgence l'assistance de la France afin de stopper l'avancée des troupes qui avaient entrepris de marcher sur Bamako. Voilà pour le contexte.

La France a heureusement répondu à cet appel et, derrière elle, un ensemble de pays, membres ou non de la CEDEAO – dont le Tchad et le Burundi –, ont commencé à se mobiliser sérieusement pour constituer la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA) et compléter le dispositif militaire prescrit par la résolution 2085 afin de débarrasser le Mali, notre sous-région et le monde de ce fléau qui menace notre liberté et notre civilisation.

Je suis aujourd'hui porteur d'un message de remerciement et de gratitude de notre président au président François Hollande, et suis chargé de donner aux autorités françaises l'assurance que nous entendons poursuivre ce que nous avons commencé : la mobilisation des ressources politiques et militaires afin d'obtenir la mise en oeuvre de la résolution des Nations Unies. Il n'est nullement question d'un tête-à-tête entre la France et le Mali : il s'agit de faciliter, grâce à l'appui de la France, la mise en oeuvre de la résolution et la réalisation de ses objectifs. Il semble que des pays européens se soient manifestés et que les États-Unis prévoient d'apporter un soutien logistique. Avec ce dispositif et la légalité internationale qui s'est construite autour de la résolution, nous pourrons atteindre nos objectifs.

Il importe de prendre de nombreuses précautions. Le combat que nous allons livrer doit respecter des règles d'engagement qui doivent être bien connues et bien comprises des différents participants. Nous nous battrons pour des aspects éthiques et moraux – c'est la raison pour laquelle nous avons besoin de l'assistance des puissances que vous êtes. Je me rendrai après-demain à Bruxelles pour discuter de la mise en oeuvre de la mission européenne de formation, qui comporte un important volet éthique et moral et vise à encadrer nos troupes pour éviter les débordements.

Nous veillerons aussi, dans le cadre de ce dispositif international, à ce que le processus politique inclusif se poursuive avec l'ensemble des communautés à Gao, Kidal et Tombouctou, afin que nous puissions élaborer un contexte propice à un développement équilibré et harmonieux du Mali. Nous avons besoin à cette fin de certaines expertises et savons pouvoir compter sur nos amis, les nombreux pays européens – dont la France – qui nous ont aidés alors que nous lancions le processus de décentralisation.

Le moment est décisif. La tragédie que vit notre pays nous permettra sans doute de repartir sur des bases solides dans le cadre d'un équilibre national qui tienne compte de toutes les particularités des différentes régions du Mali. Depuis 1992, de nombreux projets ont été lancés en faveur des régions du Nord du pays. Nous avons connu quelques réussites et de nombreux échecs. Nous devons trouver les raisons de ceux-ci. Le gouvernement de transition et le Président de la République ont deux principaux objectifs : achever la reconquête du Nord et organiser des élections le plus rapidement possible, afin qu'un pouvoir possédant une autre légitimité puisse être installé au Mali et faire face aux vrais défis du développement de notre pays.

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