Intervention de Stéphane Travert

Séance en hémicycle du 8 mars 2016 à 15h00
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Travert :

Madame la ministre, monsieur le président de la commission et rapporteur, mes chers collègues, le bon fonctionnement de notre démocratie exige des médias libres, indépendants et pluralistes, bénéficiant de la liberté d’informer et d’exprimer des opinions. L’indépendance des médias contribue dans une large mesure à la protection des droits de l’homme et des citoyens. Ainsi, tous ici, nous considérons que garantir l’indépendance des médias, c’est faire vivre et donner tout son sens à la promesse républicaine.

Les médias sont les vecteurs de l’information, y compris les réseaux sociaux qui, eux, ne proposent pas un travail journalistique de recueil, de sélection de l’information ou de vérification des sources. Il faut donc protéger l’information et, par là même, ceux qui la fabriquent : les journalistes. Des mécanismes d’autorégulation au sein des médias aident à promouvoir et à développer des normes professionnelles.

L’école de la République doit aussi porter les gènes de l’indépendance et du pluralisme de l’information. Ainsi, chaque année, les enseignants organisent des « classes presse » ou participent à la semaine des médias et de la presse à la fin du mois de mars. Cette activité d’éducation civique aide les élèves de chaque niveau à comprendre le système médiatique, à former leur jugement critique, à développer leur goût pour l’actualité et à forger leur identité de citoyen.

Aujourd’hui, la question est de savoir où en est l’indépendance de la presse dans notre pays. Pourquoi est-ce un enjeu démocratique ? Comment concilier les conflits d’intérêts qui peuvent survenir, dès lors que votre groupe de presse ou groupe audiovisuel appartient à une structure capitalistique qui gère d’autres intérêts, investissements ou infrastructures sur le territoire ? Les tendances à la concentration auxquelles nous assistons depuis plus de deux ans, la censure ou la sélection de l’information questionnent le pluralisme et l’indépendance.

De tels événements doivent nous conduire à légiférer. C’est pourquoi le texte proposé et porté par Patrick Bloche fixe un cadre législatif clair et précis pour la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias. Il est le fruit d’un travail approfondi et fécond mené par notre commission la semaine dernière.

L’article 1er de la proposition de loi, qui est central, généralise à tous les journalistes le droit d’opposition, protection dont bénéficiaient jusqu’alors les seuls journalistes de l’audiovisuel public. Cet article a été enrichi en commission. Tout d’abord, le droit d’opposition est étendu aux journalistes qui ne tirent pas de leur activité la moitié ou plus de leurs ressources, comme les journalistes d’investigation. Ensuite, la rédaction exacte du droit d’opposition a été rétablie, en y ajoutant le refus du journaliste à divulguer ses sources.

Enfin, la notion d’intime conviction professionnelle a été encadrée. Aussi la loi ne propose-t-elle pas de court-circuiter la chaîne des responsabilités au sein des rédactions, comme s’en inquiète particulièrement la presse écrite, mais de garantir à tous les journalistes un droit opposable fondé sur leur intime conviction. Pour mieux définir ce que recouvre l’intime conviction professionnelle, nous avons adopté en commission un amendement de M. Kert, sous-amendé par notre rapporteur, qui encadre cette notion, en la fondant sur les principes déontologiques formalisés au sein de la charte de l’entreprise.

Un excellent amendement sera d’ailleurs présenté, lors de cette séance, par notre collègue Émeric Bréhier, au nom du groupe SRC, afin de préciser que la rédaction de cette charte interne devra associer la direction, les représentants du personnel et le comité d’éthique de l’entreprise. Ainsi, la charte encadrant l’intime conviction professionnelle des journalistes sera le fruit du dialogue social au sein de l’entreprise.

Dans ce même esprit de renforcement du dialogue social, un amendement du groupe SRC a été adopté, créant un article 1er bis, lequel prévoit que les comités d’entreprise de presse, de l’internet ou de l’audiovisuel sont consultés chaque année sur le respect de ce droit d’opposition. Enfin, un article 1er ter a été adopté à l’unanimité par notre commission, introduisant la protection du secret des sources des journalistes, ce dont nous nous félicitons.

L’article 2 de la proposition de loi définit le rôle joué par le CSA afin de garantir le triptyque que nous mettons au coeur de cette loi : honnêteté, indépendance et pluralisme de l’information et des programmes. Notre rapporteur a fait adopter par notre commission un amendement visant à préciser le rôle du CSA, afin que le contrôle de l’autorité indépendante ne puisse s’effectuer qu’a posteriori et non pas ex ante.

Ces trois principes seront donc inscrits dans les conventions liant les chaînes de télévision au CSA et leur respect sera vérifié au moment du renouvellement d’une convention ou de la délivrance d’une autorisation d’émettre. En outre, le CSA doit veiller à ce que les intérêts économiques n’y portent pas atteinte.

L’article 7 institue les comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes, intitulés « comités pour l’indépendance ». Si certaines sociétés ont d’ores et déjà instauré ce type de comité en leur sein, la loi vient définir l’indépendance de leurs membres, tout en leur laissant le loisir de définir leur composition et les modalités de leur fonctionnement dans la convention qui les lie au CSA.

Le groupe SRC a présenté un amendement visant à prolonger d’un an après le mandat l’impossibilité de prendre part aux activités de la société pour une personne qui a été membre de son comité d’éthique. Ce comité veillera à la bonne mise en oeuvre du triptyque « honnêteté, indépendance et pluralisme » et pourra s’autosaisir ou être consulté pour avis par un tiers. Il est à préciser que cette consultation par toute personne, qui inquiète nombre de sociétés, n’est pas une saisine et n’engage pas de fait une procédure, puisque le comité d’indépendance sera chargé de se déclarer compétent ou non sur la question qui lui sera soumise.

Permettez-moi également de souligner que cette proposition de loi n’oubliera pas les médiateurs, d’ores et déjà présents dans un certain nombre de radios et de télévisions, qui jouent un rôle essentiel, le plus souvent entre le public et les journalistes de la chaîne ou de la radio. Aussi, je salue l’amendement proposé par notre rapporteur, que nous avons adopté, ouvrant au médiateur, s’il existe, la possibilité de consulter le comité d’éthique.

Je tiens encore à souligner que nous avons adopté à l’unanimité, et à l’initiative de nos collègues du groupe Les Républicains, un amendement instituant des comités d’indépendance dans les deux chaînes parlementaires, LCP et Public Sénat.

Enfin, permettez-moi de m’arrêter sur le titre II de cette proposition, relatif au secteur de la presse. Celui-ci n’est pas visé par les articles précédents, puisqu’il ne dispose pas d’une autorité de régulation. C’est pourquoi je tiens à saluer l’article 11 qui vise à rendre plus transparents aux yeux des lecteurs la composition capitalistique des entreprises de presse, leur modification de statut ou le changement de dirigeant.

En outre, dans ce souci de transparence qui nous caractérise, nous avons introduit en commission, à l’initiative du groupe SRC, un article 11 bis qui inscrit une forme de conditionnalité des aides à la presse. Il dispose que le manquement aux obligations de transparence sur l’actionnariat des entreprises de presse écrite ou en ligne, introduites dans l’article 66 de la loi Warsmann, entraînera la suspension de tout ou partie des aides à la presse directes ou indirectes.

En effet, il est quotidiennement constaté que les entreprises de presse ne détaillent pas dans l’ours de leurs publications les noms des personnes physiques ou morales détenant au moins 10 % de leur capital, alors qu’il s’agit d’une obligation légale depuis 2011. Parallèlement, le non-respect du nouvel article 2-1 de la loi de 1881, c’est-à-dire le droit d’opposition des journalistes, entraînera les mêmes sanctions.

Chers collègues, la liberté d’expression, l’indépendance des médias et le pluralisme constituent le fondement d’une démocratie saine, dont le respect permet de mesurer la vigueur. L’existence de médias libres capables de refléter la diversité des opinions dans un pays est indispensable à la démocratie. Le rôle qui pourrait être joué par des propriétaires de médias pour limiter l’indépendance des journalistes et le pluralisme suscite dans certains pays de vives préoccupations. Nous devons donc nous prémunir contre ce risque et adapter notre législation.

Ce texte vise à faciliter le travail d’investigation des journalistes et à empêcher les entraves mises à sa publicité. Dans ce cadre, la protection du secret des sources des journalistes est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse. La République doit porter haut et fort ces valeurs fondamentales. La presse, lieu permanent du débat politique ou sociétal, offre un lien constant avec la politique qui a valu aux médias français une partie de leur succès, dès lors qu’ils contribuent à l’expression des principaux courants d’opinion.

Pour défendre cette ambition d’une presse libre, indépendante et pluraliste, nous aurions deux choix : ne rien faire ou ne rien pouvoir faire. Nous avons choisi une troisième voie : agir en adoptant ce texte.

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