Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avant d’entamer mon intervention, je tiens moi aussi à avoir une pensée pour Sophie Dessus. C’était une collègue qui a partagé notre vie à la commission des affaires culturelles, avec toujours cet engagement qui nous anime tout en ayant le sourire et le sens de l’humour qu’on lui connaissait. Elle était très attachante et nous manque déjà.
La liberté d’information, l’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique et le pluralisme sont intrinsèquement liés à la démocratie et indispensables à la vitalité du débat citoyen. Présentée comme une réponse aux récents mouvements de concentration qui agitent le monde des médias, voire explicitement comme « anti Bolloré », force est de constater que la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui pose davantage de questions qu’elle ne résout les problèmes dénoncés. De plus, et chacun le sait sur ces bancs, les textes de circonstance et la précipitation font rarement de bonnes lois. Pire encore, cette proposition témoigne d’une conception désuète de la mission de régulation dans un paysage audiovisuel bouleversé, notamment par le développement de l’économie numérique et électronique.
Si je ne remets pas en cause la volonté de la majorité de renforcer la confiance des citoyens dans les médias, permettez-moi de douter de la méthode utilisée, à savoir confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel un nouveau rôle en lui confiant la mission de garantir « l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes ». Depuis longtemps, nous, députés du groupe UDI, émettons de sérieuses réserves sur l’indépendance du CSA en raison notamment des modalités de nomination de ses membres. En effet, aucune exigence ni de compétences, ni de qualité, ni de légitimité ne leur est demandée, ce qui nous fait douter de l’absolue impartialité de cette institution. Les manquements aux règles d’équité et l’absence globale de transparence observés lors de la désignation de la présidente de France Télévisions nous invitent également à la plus grande prudence.
Par ailleurs, nous avons eu l’occasion de constater que le CSA éprouve déjà des difficultés à s’acquitter de ses missions traditionnelles, à savoir veiller au respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion. Des distorsions flagrantes et inadmissibles entre les différentes formations politiques existent en matière de temps d’antenne ainsi qu’en témoignent les propres chiffres publiés par le CSA.
Pour ces différentes raisons, vous comprendrez aisément que nous ne puissions souscrire à une proposition de loi qui confère au CSA de nouvelles missions.
En outre, formuler des recommandations au moment de la signature des conventions et définir en amont les dispositions supposées garantir l’impossibilité d’une ingérence future des actionnaires rompt avec la mission de contrôle a posteriori du CSA. De là à craindre une ingérence de sa part dans la construction des programmes et le choix de la ligne éditoriale, il n’y a qu’un pas… Ce n’est pas le rôle du CSA de réguler l’information ex ante, d’autant plus que de nombreuses dispositions législatives existent déjà afin de garantir la liberté de communication et le pluralisme des médias, que ce soit dans notre Constitution ou dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Mises à part de très rares exceptions, sévèrement condamnables, force est de constater que les rédactions françaises travaillent et éditent librement. Les rédactions de Libération, d’I-Télé, de l’Express ou encore du Monde, pour n’en citer que quelques-unes, s’organisent et se sont déjà mobilisées afin que les organes de presse demeurent indépendants de leurs actionnaires respectifs.
Par ailleurs, le temps du monopole de la presse et de l’audiovisuel apparaît aujourd’hui révolu, mais internet et les réseaux sociaux ne jouissent toujours d’aucun contrôle en matière d’indépendance ou de pluralisme alors que c’est principalement sur ces supports que la nouvelle génération s’informe.
Mes chers collègues, cette proposition de loi regorge de bonnes intentions mais ne survit pas à un examen pratique, comme le souligne l’extension à tous les journalistes du principe de l’indépendance rédactionnelle. Il a été rappelé que ce principe existe déjà pour les journalistes de l’audiovisuel public depuis les années 80 et là, se justifie pleinement. Il permet de protéger les journalistes des chaînes nationales face aux pressions émanant des autorités politiques ou des changements de majorité. Pour autant, étendre ce droit à tous les journalistes risque de remettre en cause l’autorité de l’employeur inhérente au lien de subordination qui unit le rédacteur en chef au journaliste.
Aussi, plutôt que de faire référence à l’intime conviction professionnelle, il est préférable de formaliser des principes déontologiques dans une charte, négociée au sein de l’entreprise, comme le précise le texte issu des travaux de la commission. Prévoir qu’un journaliste ne puisse « être contraint à accepter un acte contraire à son intime conviction professionnelle » poserait de nombreuses difficultés. Loin d’apporter une sécurité supplémentaire, ce nouveau droit pourrait aller jusqu’à remettre en cause l’idée même non seulement de presse d’opinion mais aussi de ligne éditoriale.
Les journalistes disposent déjà d’une protection juridique garantissant leur indépendance contre les abus et les dérives de leurs employeurs. La clause de cession permet au journaliste de démissionner tout en bénéficiant de l’assurance chômage, lorsque l’entreprise pour laquelle il travaille change d’actionnaires. En outre, la clause de conscience applique le même dispositif dans les cas où le journaliste apporte la preuve d’un changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal, même en l’absence de transformation de l’actionnariat. À ce jour, ces clauses apparaissent suffisamment protectrices, sans qu’il soit nécessaire de faire référence à la notion d’intime conviction professionnelle.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, cette proposition de loi laisse le groupe UDI sceptique à plus d’un titre. Pour autant, nous trouvons un motif de satisfaction dans l’introduction en commission de la protection du secret des sources des journalistes, que nous réclamions depuis longtemps sur tous ces bancs. En effet, bien qu’un projet de loi de 2013 l’ait prévue, la protection du secret des sources des journalistes n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée, malgré un accord unanime en commission. Chacun jugera du signal envoyé à la représentation nationale quant à sa souveraineté.
La liberté de la presse est une condition essentielle de la vitalité du débat démocratique. Elle ne saurait toutefois s’exercer véritablement sans de sérieuses garanties données aux journalistes, en particulier celle de la protection de leurs sources, sans laquelle aucun informateur ne saurait parler en confiance. La loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes constituait déjà une avancée indéniable, puisqu’elle a fait de cette protection un principe général, en l’inscrivant dans le cadre hautement symbolique de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Néanmoins, force est de constater qu’aujourd’hui, ce droit doit être amélioré afin d’assurer une prévention suffisamment efficace et prévisible contre les atteintes injustifiées. Aussi, nous saluons l’inscription dans la loi, de manière plus claire et plus limitative, des conditions permettant de porter atteinte à ce secret.
Pour autant, nous devons veiller à ce que protection ne rime pas avec impunité et éviter d’aller trop loin dans la garantie de la protection du secret des sources. Les récents événements nous conduisent à être particulièrement vigilants sur les critères permettant d’attenter au secret des sources, notamment celui de la prévention ou la répression, soit d’un crime, soit d’un délit, constituant une atteinte grave à la personne ou aux intérêts fondamentaux de la Nation, voire d’intégrer à ces critères le terrorisme ainsi que le crime organisé.
Mes chers collègues, monsieur le rapporteur, si la consécration du secret des sources, telle que prévue par le texte de la commission, satisfait le groupe UDI, il attendra toutefois l’issue des débats pour faire part de sa décision à l’égard de ce texte.