Intervention de Isabelle Attard

Séance en hémicycle du 8 mars 2016 à 15h00
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président et rapporteur, chers collègues, le groupe socialiste nous présente aujourd’hui une proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias. Sur le principe, c’est une bonne chose. Nul besoin d’être historien pour savoir que cette préoccupation politique n’est pas une nouveauté. En 1945 déjà, le Conseil national de la Résistance inscrivait dans son programme, Les jours heureux, l’importance d’assurer la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères. Nous ne pouvons que constater aujourd’hui que l’indépendance des puissances d’argent n’est plus qu’un lointain souvenir pour une très large majorité de la presse.

Petit aparté : deux lignes plus loin, le même programme du Conseil national de la Résistance prévoyait d’assurer l’inviolabilité du domicile et le secret de la correspondance. Quand je pense que certains ici voudraient imposer l’accès libre de la police aux téléphones portables, je me dis qu’ils n’ont rien retenu des leçons de l’histoire. Et certains se prétendent même gaullistes !

Reprenons. J’ai entendu, durant les débats en commission, que la soumission des principaux titres de presse à des millionnaires n’était pas grave, puisqu’il n’y aurait pas de danger avéré de monopole. Nous nous inscrivons en faux contre cette affirmation. La situation actuelle de la presse est grave. Il suffit pour s’en convaincre de voir - revoir ? - l’excellent documentaire Les nouveaux chiens de garde, réalisé en 2012 par Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, à partir de l’essai de Serge Halimi.

D’après son synopsis, « la grande majorité des journaux, des radios et des chaînes de télévision appartiennent à des groupes industriels ou financiers intimement liés au pouvoir. Au sein d’un périmètre idéologique minuscule se multiplient les informations prémâchées, les intervenants permanents, les notoriétés indues, les affrontements factices et les renvois d’ascenseur. Aujourd’hui, les chiens de garde, ce sont ces journalistes, éditorialistes et experts médiatiques devenus évangélistes du marché et gardiens de l’ordre social. Sur le mode sardonique, Les nouveaux chiens de garde dresse l’état des lieux d’une presse volontiers ignorante des valeurs de pluralisme, d’indépendance journalistique et d’objectivité, qu’elle prétend incarner. Le film pointe la menace croissante d’une information pervertie en marchandise, et dénonce la collusion entre les élites politiques, médiatiques et financières, en prenant pour exemple le Club du Siècle. »

Le Club du Siècle, cela ne vous apprendra peut-être rien, monsieur le rapporteur, est le talon d’Achille de votre proposition de loi. Vous avez soutenu en commission qu’il était très important de confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel la mission de garantir l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes. Je vous cite, monsieur le rapporteur : « Chaque membre du collège du CSA doit désormais voir sa candidature approuvée à une majorité des trois cinquièmes des commissions compétentes du Parlement, ce qui suppose un consensus entre la majorité et l’opposition. » Selon vous, l’indépendance du CSA, dont les membres et même le président sont nommés par le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire, est garantie par le processus de nomination.

Et pourtant, la liste des membres du Siècle dit exactement le contraire. Dans un même club, éminemment privé, on retrouve, au moins, deux membres du CSA, dont son président, des patrons de presse, notamment Serge Dassault, des directeurs de publication et des journalistes comme Laurent Joffrin et Denis Olivennes, de nombreux députés et, cerise sur le gâteau, l’actuel président de la République, qui a nommé lui-même le président du CSA. Comment pourrions-nous croire un instant à l’indépendance de gens qui se fréquentent, se recrutent, se cooptent à des postes à aussi hautes responsabilités, bref, qui sont en conflit d’intérêts permanent ?

Monsieur le rapporteur, votre croyance mal placée dans l’efficacité de l’autorégulation se retrouve dans vos espoirs quant à l’efficacité des comités d’éthique. Vous proposez de généraliser les comités d’éthique dans les médias, et de contraindre légèrement les dirigeants d’entreprises de presse, en leur interdisant de nommer des personnes qui leur seraient économiquement liées. Il leur restera donc la possibilité de nommer leurs amis, et leur famille, à ces postes si importants de recours interne pour les journalistes. Nous doutons vraiment que cette partie de la loi porte un jour les fruits attendus. Nous en doutons probablement autant que vous-même, monsieur le rapporteur. Vous recommandiez des solutions bien différentes dans votre proposition de loi de 2010 ou dans le projet du Parti socialiste pour l’élection présidentielle en 2011, dont vous avez rédigé la partie sur les médias.

Le problème a un nom : concentration du capital. La solution a aussi un nom : plafonnement de la concentration. Qu’attendons-nous pour limiter la concentration dans le secteur de la presse ? Monsieur le rapporteur, vous avez parlé de la nécessité de ne pas faire fuir les investisseurs. Admettons. Si j’étais un investisseur intéressé par le secteur des médias, je préférerais investir dans un marché avec de nombreux acteurs indépendants les uns des autres, plutôt que dans un marché où une poignée de milliardaires pèsent plus lourd que tous les autres réunis. La lutte contre la concentration permettrait d’ouvrir le secteur à des investisseurs, au lieu de les faire fuir.

En l’état, le groupe écologiste est favorable à cette proposition de loi. Elle va dans le bon sens, bien qu’elle soit largement insuffisante pour régler les problèmes actuels de la presse. Les journalistes le disent d’ailleurs très bien.

Comme je l’ai déjà rappelé en commission, votre proposition de loi me rappelle fortement la loi anti-Amazon, votée à l’unanimité sur ces bancs. Les librairies de France sont-elles florissantes aujourd’hui ? Non, pas plus qu’hier.

Nous avons heureusement ajouté en commission une meilleure protection des sources des journalistes. Le Gouvernement tente, par voie d’amendement, d’élargir les circonstances qui permettent de contourner cette protection. Nous avons donc déposé de nombreux amendements visant à mieux encadrer ces violations d’un droit fondamental des journalistes. Nous espérons que vous serez attentifs aux conséquences graves que provoquerait une protection insuffisantes des sources des journalistes. Souvenons-nous par exemple que, grâce au travail d’investigation de certains journalistes, plusieurs ministres ont été écartés de fonctions qu’ils ne méritaient pas. Cela n’est possible que si ceux qui ont connaissance de crimes et de délits peuvent les dénoncer à la presse sans craindre pour leur propre sécurité.

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