Intervention de Gilda Hobert

Séance en hémicycle du 8 mars 2016 à 15h00
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilda Hobert :

Avant de commencer cette intervention, permettez-moi d’avoir une pensée émue pour Sophie Dessus, notre pétulante collègue.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui est visé par le préambule de la Constitution de 1958 et qui fait partie intégrante de notre bloc de constitutionnalité, souligne que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme ». La proposition de loi de Bruno Le Roux et Patrick Bloche s’inscrit dans la continuité de ce principe. Le texte vise en effet à « renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias ». La liberté de la presse et la liberté d’expression ont été consacrées par la loi du 29 juillet 1881, texte fondateur qui s’inspire largement de l’article 11 de la Déclaration de 1789.

Nos collègues se sont opportunément appuyés sur ce texte incontournable de notre législation, de même que sur la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Ainsi, l’article 1er de la présente proposition de loi propose d’emblée d’étendre à l’ensemble des journalistes la protection prévue en faveur de ceux de l’audiovisuel public à l’instar de l’article 44 de la loi de 1986. Tous sont donc concernés, qu’ils travaillent pour la presse audiovisuelle, la presse en ligne, la presse écrite, par la totalité des dispositions prévues, qui doivent s’appliquer sur l’ensemble du territoire français – une précision importante.

Le texte doit consacrer par ailleurs fort utilement et fort justement la protection du secret des sources des journalistes, protection applicable aux journalistes permanents et au directeur de publication, ainsi qu’aux collaborateurs occasionnels qui jusqu’alors ne bénéficiaient pas d’une telle protection.

La proposition de loi garantit également, en son article 1er l’indépendance des journalistes par rapport aux médias qui les rétribuent. Cet article dispose qu’un journaliste « ne peut être contraint à accepter un acte contraire à son intime conviction professionnelle ». Il précise en outre que les contrats établis entre une entreprise et un journaliste donneront lieu à une charte déontologique rédigée et signée par les deux parties, charte qui sera obligatoire dans toute entreprise de média à compter du 1er juillet 2017.

Cette mesure doit garantir un certain équilibre entre les préoccupations des entreprises de presse et celles des journalistes qu’elles emploient.

Les dispositions de l’article 11, qui impose aux entreprises éditrices d’informer leur public de la composition de leurs équipes dirigeantes et de leur capital, me semblent tout à fait justifiées. Les travaux en commission ont permis l’ajout, à l’initiative de nos collègues du groupe SRC, d’un article 11bis permettant de suspendre « tout ou partie des aides publiques, directes ou indirectes, dont [une entreprise éditrice] bénéficie » en cas de violation par celle-ci du secret des sources ou de la charte de déontologie.

Par ailleurs, le texte envisage d’étendre les prérogatives du Conseil supérieur de l’audiovisuel afin d’assurer au secteur audiovisuel liberté, indépendance et pluralisme. L’article 2 de la proposition de loi dispose ainsi que le CSA « garantit l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes » et « s’assure que les intérêts économiques des actionnaires des éditeurs de services de communication audiovisuelle et de leurs annonceurs ne portent aucune atteinte à ces principes ».

En effet, la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias dépendent en grande partie des enjeux économiques qu’ils représentent. Les trois principes qui guident la présente proposition de loi doivent être préservés de toute influence de leur environnement économique. En cela, l’article 2 pose les jalons d’une règle très claire sur la frontière, qui doit demeurer totalement étanche, entre la ligne éditoriale du média et les préoccupations de ses annonceurs ou de ses actionnaires.

En outre, le CSA voit le champ de ses compétences accru. Cependant, afin de rassurer d’autres organes de déontologie, précisons que cette instance n’a pas vocation à jouer les censeurs. Dorénavant, le CSA aura la possibilité de veiller au respect de l’indépendance, de l’honnêteté et du pluralisme de l’information et des programmes à deux niveaux : celui de la reconduction simplifiée de l’autorisation hors appel à candidature de l’article 28-1 de la loi de 1986 ; celui de la délivrance des autorisations. Le CSA pourra décider de renouveler ou non une autorisation.

L’article 7 de la proposition de loi institue, « auprès de toute société éditrice d’un service de radio ou de télévision à vocation nationale ou locale », un comité d’éthique, composé de personnalités indépendantes. Il aura la faculté de se saisir ou d’ « être consulté pour avis par la direction de la société, par le médiateur lorsqu’il existe ou par toute personne ». En outre, lorsqu’il constatera un fait susceptible de contrevenir à ces principes, il en informera le CSA ainsi que, de façon concomitante, la direction de la société. Enfin, le comité rendra public son bilan annuel.

Les dispositions prévues à l’article 7 s’appliqueront à tous les médias, qu’ils soient privés ou publics – y compris aux chaînes parlementaires, chers collègues.

L’article 10 bis, introduit par un amendement adopté en commission, dispose que des organisations et associations de défense de la liberté de l’information, reconnues d’utilité publique, pourront également saisir le CSA d’éventuels manquements.

Enfin, dans notre société mondialisée, il est essentiel de préserver l’indépendance de nos médias vis-à-vis des capitaux étrangers. Ainsi, l’article 9 dispose que l’autorisation relative à un service audiovisuel assuré en langue française ne pourra pas être accordée à une société dans laquelle plus de 20 % du capital social ou des droits de vote sont détenus, directement ou indirectement, par des personnalités de nationalité étrangère.

Cette proposition de loi représente une étape importante en faveur de l’indépendance des médias, de leur liberté et de leur pluralisme, et il y a lieu de s’en réjouir. Cela ne doit pas masquer pour autant d’autres problématiques, qui demeurent. Je veux parler des difficultés que rencontrent les journalistes dans l’exercice de leur fonction.

Ceux-ci ont vu en effet leurs conditions de travail se dégrader. Ainsi que le relève le rapport de notre excellent collègue Patrick Bloche, la part des journalistes pigistes ne cesse d’augmenter et atteint aujourd’hui 20 %. À cela s’ajoute le recours souvent abusif au contrat à durée déterminée, y compris par les médias publics, qui ne sont pas irréprochables en la matière. Il s’agit là d’un enjeu fondamental car il est paradoxal, quand on veut préserver les entreprises de presse de toute influence des acteurs économiques, de maintenir les journalistes dans une dépendance économique les obligeant à se lancer sur le marché du travail dans un secteur trop souvent obnubilé par la course au scoop ou à l’audimat.

En cette journée du 8 mars, je fonde l’espoir que les femmes aient enfin la possibilité d’accéder aux mêmes postes, aux mêmes responsabilités, aux mêmes salaires que les hommes, comme prévu dans ce texte.

Il reste à espérer que les entreprises de presse, en concertation avec leurs personnels, auront à coeur d’inscrire dans leur charte de déontologie un code de bonne conduite sur l’emploi des journalistes et sur les conditions de leur rémunération. Le législateur fait aujourd’hui sa part du chemin, guidé par l’idée de démocratie : aux entreprises de le suivre de manière juste.

Le groupe RRDP approuve ce texte important et ambitieux, qui se positionne dans une démarche de liberté, de transparence, comme vous l’avez dit, madame la ministre, d’indépendance et de pluralisme de l’ensemble des médias.

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