Intervention de Michel Herbillon

Séance en hémicycle du 8 mars 2016 à 15h00
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Herbillon :

Je voudrais aussi, madame la ministre, si vous le permettez, vous saluer, puisque c’est la première fois que vous siégez au banc du Gouvernement alors qu’on examine un texte relevant de votre ministère. Même si vous faites partie d’un gouvernement que nous ne soutenons pas, je veux saluer votre compétence et votre engagement au service de la culture, de l’audiovisuel, des industries culturelles de notre pays : j’ai eu l’occasion de le mesurer personnellement, lorsque vous étiez au Centre national du cinéma et de l’image animée – CNC – et que j’étais le rapporteur de la loi sur la numérisation des salles de cinéma. Je veux vous dire les voeux que nous formons pour le succès de votre mission au service de la culture dans notre pays.

Cette proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias est l’exemple de ces lois trop nombreuses que nous devrions arrêter de voter, parce qu’elles ne font qu’alourdir notre législation sans pour autant résoudre les problèmes de fond.

Nous sommes, sur tous les bancs de cette Assemblée, pour la liberté de la presse, pour l’indépendance des médias, pour le pluralisme, pour la protection des sources des journalistes : je tiens à le réaffirmer ici.

Mais est-ce qu’aujourd’hui, à l’heure du tout-numérique, d’internet, des réseaux sociaux, cette liberté, cette indépendance et ce pluralisme sont menacés à tel point qu’il faille légiférer dans la précipitation ? À mes yeux, non.

Je ne suis pas là pour nier les problèmes. Je sais bien qu’il peut y en avoir entre les rédactions et les propriétaires de médias, mais je souhaite qu’on arrête de dramatiser la situation et qu’on rappelle une évidence connue de tous : la presse et les médias audiovisuels sont libres en France.

Cette proposition de loi trouve son origine, et vous ne vous en cachez pas, monsieur le rapporteur, après le rachat de Canal Plus par Vincent Bolloré, dans la déprogrammation d’un documentaire sur le Crédit Mutuel.

Vous souhaitez donc régler ce problème, qui est réel mais qui reste isolé, et vous décidez donc de faire une loi. Je ne veux pas ici, monsieur le président et rapporteur, mettre en cause votre sincérité, ni votre travail, mais je veux vous mettre en garde, parce que nous risquons d’arriver, avec cette proposition de loi, à une situation contraire aux objectifs recherchés.

Et c’est bien là le principal écueil de cette loi. Non seulement c’est une loi de circonstance – et il faut toujours se méfier des lois de circonstance – mais en plus, c’est une loi dont l’efficacité est douteuse.

Plus grave, vous introduisez des dispositifs qui au mieux ne serviront à rien, au pire viendront déstabiliser l’organisation et le fonctionnement des rédactions. Résultat, les journalistes eux-mêmes sont très critiques sur ce texte.

Bien qu’ils soient déjà protégés par la clause de cession et la clause de conscience ainsi que par leurs droits moraux et de divulgation, vous élargissez la notion d’intime conviction professionnelle. C’est une notion abstraite juridiquement, un OVNI juridique qui peut se révéler dangereux, car cette notion remet en question le fonctionnement même des rédactions, s’agissant en particulier de la responsabilité éditoriale du directeur de publication, qui est responsable civilement et pénalement des publications.

Enfin, où est la limite avec la ligne éditoriale des journaux, qui impose de faire des choix dans les sujets traités ? Ces lignes diffèrent d’un journal à l’autre et imposent aussi une adhésion aux journalistes.

J’évoquerai aussi la généralisation et l’encadrement des comités d’éthiques dans l’audiovisuel. Nous ne sommes pas contre ces comités, qui peuvent être utiles pour poser des règles ou conduire des réflexions. Mais pourquoi doit-on encore tout codifier, tout prévoir par la loi ?

Il existait déjà plusieurs comités d’éthique sans que la loi ait besoin de s’en mêler, et vous instaurez des règles tellement complexes qu’il sera désormais bien difficile de trouver des personnes pour y siéger. Et quoi que vous fassiez, il y aura toujours des suspicions, quelles que soient les garanties envisagées.

Enfin, confier au CSA, en plus de son rôle de régulateur, une sorte d’autorité morale sur le contenu des rédactions me paraît dangereux, car après tout le CSA n’est pas totalement irréprochable en matière d’indépendance. Nul n’est besoin de rappeler ici qui nomme le président du CSA. Les journalistes eux-mêmes sont très opposés à ce rôle inédit qu’entend confier la loi au CSA, alors que celui-ci dispose déjà de pouvoirs importants en matière de déontologie professionnelle. En renforçant le droit de contrôle du CSA sur les contenus, on prend le risque d’une autocensure des rédactions et des médias.

Mes chers collègues, j’ai l’impression qu’avec cette proposition de loi, nous étudions un texte d’une autre époque, avec cette suspicion de la gauche selon laquelle la liberté et l’indépendance des médias seraient par hypothèse en permanence menacées.

Ne vous en déplaise, les journalistes eux-mêmes n’ont pas attendu cette loi pour s’organiser et veiller à préserver leur indépendance par rapport à leurs actionnaires.

S’il est très facile et même démagogique de fustiger ces actionnaires, n’oublions pas que sans eux, nombre de journaux n’existeraient tout simplement plus aujourd’hui. Vous comprendrez donc que le groupe Les Républicains vote contre cette proposition de loi…

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