Intervention de Virginie Duby-Muller

Séance en hémicycle du 8 mars 2016 à 15h00
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVirginie Duby-Muller :

Monsieur le président, en préambule et à l’instar des orateurs précédents, j’exprime une pensée émue pour Sophie Dessus, notre collègue dont l’enthousiasme était si communicatif, qui est décédée subitement jeudi dernier. Les membres de notre commission ont été très peinés à l’annonce de cette nouvelle.

Madame la ministre, monsieur le président-rapporteur, mes chers collègues, les médias connaissent une intense mutation depuis quelques décennies : le développement d’internet et du numérique, l’ « explosion » de la communication, la concentration mondiale des entreprises médiatiques bouleversent en profondeur l’espace public.

Nous devons aujourd’hui légiférer pour garantir les nobles missions des rédactions : la collecte d’informations, l’investigation, l’explication et l’analyse.

À cet égard, votre proposition de loi apparaît pleine de bonnes intentions initiales lorsque l’on se fonde sur son titre, très déclaratif. La liberté, l’indépendance, le pluralisme des médias sont évidemment des ambitions et principes que nous partageons tous, de manière consensuelle.

Mais au fil de nos auditions, nous avons bien vite réalisé que ce texte risquait d’aboutir à un résultat déconnecté de la réalité et dangereux pour les médias.

En effet, à vouloir tout généraliser, vous menacez de complexifier considérablement ce secteur et d’entraver son fonctionnement.

C’est le problème que mes collègues des Républicains ont soulevé en commission : nous avons des réserves sur plusieurs articles « phares » du texte initial, qui mettent en péril l’objectif premier du texte.

C’est notamment le cas dès l’article 1er par lequel vous proposez de généraliser à l’ensemble des journalistes le statut de protection spécifique dont bénéficiaient jusqu’ici les journalistes de l’audiovisuel public : le droit pour tout journaliste de « refuser toute pression » et de ne pouvoir être contraint à aller contre « son intime conviction professionnelle ».

On le devine, ces termes sont profondément subjectifs, sans définition ni précision dans le texte. Notre proposition d’amendement visant à encadrer la notion « d’intime conviction professionnelle » en la fondant sur la charte déontologique de l’entreprise a été adoptée, ce dont nous nous réjouissons – c’est un pas en avant vers une législation réfléchie et efficace pour les journalistes.

Cependant, l’extension globalisante proposée par cet article risque d’entraver profondément le fonctionnement des rédactions et de dénaturer la responsabilité éditoriale du directeur de publication.

Ce dernier, vous le savez, est pourtant responsable civilement et pénalement. De plus, des garanties pour les journalistes existent déjà : dans le code du travail, les clauses de cession et de conscience et, dans le code de la propriété intellectuelle, les droits moraux et de divulgation.

Cet article 1er constitue ainsi un véritable désaveu pour les rédactions, les opposant aux journalistes, ces derniers se voyant doter d’un rôle de contre-pouvoir éditorial. Vous niez donc la complémentarité évidente qui pourtant les unit.

En commission, sensibles à nos remarques sur le risque d’un contrôle a priori du CSA, vous êtes aussi revenus par amendements sur l’article 2.

Si vous éloignez ce risque, l’article soulève toujours un problème, puisque votre nouvelle réécriture accroît la possibilité d’ingérence du CSA dans les relations internes de l’entreprise entre journalistes, directeurs de rédaction, actionnaires et annonceurs.

L’article 2 inscrit en effet les principes de pluralisme, d’indépendance et d’honnêteté de l’information et des programmes dans l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 définissant les missions du CSA.

Ces principes se retrouvent au même rang, par exemple, que les objectifs de diversité ou de respect du droit des femmes, alors qu’ils ne sont ni quantifiables ni objectivables.

Monsieur le président-rapporteur, mes collègues l’ont soulevé, l’appréciation de ce « droit d’opposition » est une compétence logique du juge du travail, et non pas du CSA. Déjà juge et partie depuis qu’il nomme les présidents de l’audiovisuel public, ce dernier risque maintenant de devenir un régulateur éthique.

Dans votre rapport, vous reconnaissez vous-même, je cite, que « le juge du droit d’opposition pour chaque journaliste, qu’il travaille dans la presse ou l’audiovisuel, ne peut être que le juge du travail ».

Nous comprenons mal le rôle que vous souhaitez donner au CSA : pourquoi lui confier un rôle de surveillance sur ce droit d’opposition ?

Enfin, l’article 7 achève de rigidifier et complexifier les mesures de cette proposition de loi en généralisant les « comités d’éthique » dans l’audiovisuel. Ces nouveaux « comités Théodule » viennent perturber les hiérarchies dans les rédactions – alors que le directeur de publication doit garder le « final cut » – avec un risque de dérapage évident.

On imagine la lourdeur du nouveau dispositif, avec la possibilité donnée « à toute personne » de consulter le comité d’éthique.

Nos débats en commission, monsieur le président-rapporteur, ont permis d’introduire plusieurs avancées positives que nous saluons, car elles précisent l’orientation et l’application du texte. C’est notamment le cas de l’article 1er bis, relatif à la protection des sources des journalistes, ajouté grâce à l’adoption transpartisane d’amendements. Malheureusement, des points importants font toujours débat aujourd’hui, et nous défendrons plusieurs amendements visant à éclaircir le sens de votre proposition de loi.

Avec ce texte, les chaînes restent en effet menacées par le renforcement des pouvoirs du CSA et par les comités d’éthique en interne, et elles comprennent mal comment continuer à faire du journalisme cohérent et professionnel dans ces conditions. Cette proposition de loi menace finalement ses objectifs initiaux, à savoir la liberté, l’indépendance, et le pluralisme des médias, en confiant aux comités d’éthique et au CSA des possibilités d’ingérence dans les rédactions. On le sait, ces dernières risquent tout simplement de s’autocensurer sur certains sujets trop sensibles. Mes collègues ont parlé en commission d’une loi de circonstance, et je les rejoins totalement sur ce point.

Je citerai en conclusion Patrick Poivre d’Arvor qui, revenant sur l’exercice de son métier, a déclaré : « Le but du journalisme n’est ni de déplaire, ni de complaire. C’est de remuer la plume dans la plaie. La plume, et aujourd’hui le micro et la caméra. » Plutôt que de vouloir encadrer, enfermer, contrôler et tout généraliser pour cette profession, laissons les journalistes l’exercer, et faisons simple, sans nouvelles contraintes internes et externes.

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