qui va permettre au Gouvernement de dire tout le plaisir qu’il a de partager ce moment avec l’Assemblée nationale.
Nous connaissons tous l’histoire d’Edmond Dantès, marin de dix-neuf ans, second du navire Le Pharaon et sur le point de se fiancer avec Mercedes lorsqu’il est enfermé au Château d’If, accusé à tort de bonapartisme. Après quatorze ans d’emprisonnement injuste, quel jugement ses ennemis jaloux mériteront-ils ?
Dans tout le roman d’Alexandre Dumas se lit l’étonnement de ceux qui l’ont envoyé en prison lorsqu’ils le voient revenir, lui et sa vengeance, sous les traits du Comte de Monte-Cristo. Pour eux, c’est une histoire ancienne – c’est du passé, n’en parlons plus. C’est la question même de la prescription qui se pose ici. Et lorsqu’à la fin du roman, le comte offre une île à un jeune couple, il accompagne son cadeau d’un bref message qui tient en deux verbes : « attendre et espérer ». Attendre et espérer que justice se fasse !
Nous sommes bien là au coeur de la notion de prescription, au coeur de votre texte. Dans le rapport qui l’a précédé, que vous avez réalisé tous les deux, l’un député de l’opposition et l’autre de la majorité, vous rappelez du reste la longue histoire de cette notion, qui débute en 18 ou 17 avant Jésus-Christ, sous l’empereur Auguste. Les débats qu’elle soulève mettent en question le rapport entre la justice et le temps. Le temps serait-il devenu l’ennemi de la justice ? Voilà, me semble-t-il, comment on pourrait résumer la prescription, qui est depuis plusieurs siècles la clef de voûte de notre système judiciaire.
Elle n’est d’ailleurs pas seulement, comme vous l’avez très justement souligné, cher Alain Tourret, un principe, mais presque une institution, c’est-à-dire un poteau indicateur, un repère, un moment de mémoire, une capacité d’anticipation. Elle est aussi un acteur essentiel du contrat social, car une institution permet l’action collective et coordonnée, et repose sur un consensus social implicite.
Cependant, chacun a constaté depuis des années que les règles légales et jurisprudentielles de la prescription sont devenues inadaptées aux attentes de la société et aux besoins des juges en matière de répression des infractions. Leurs incohérences et leur instabilité sont devenues, vous l’avez dit, préjudiciables à l’impératif de sécurité juridique. Tout le monde a fait ce diagnostic et observé que cette institution était mise à mal.
Il fallait donc encore réfléchir à la manière de faire évoluer les règles, écouter les juges, prendre en considération les besoins de la société quant à ce qu’elle est en droit d’attendre en matière de justice.
C’est ce travail vraiment remarquable que vous avez mené tous les deux, Georges Fenech et Alain Tourret, Alain Tourret et Georges Fenech – nos pratiques parlementaires interdisant qu’il y ait deux rapporteurs, vous avez été contraints de vous arranger, en raison d’impératifs liés au calendrier parlementaire, pour qu’un seul d’entre vous soit rapporteur, mais vous savez que, pour la commission des lois et pour le Gouvernement, vous êtes évidemment tous deux co-rapporteurs de ce travail.
Sur cette question, comme lors de l’épisode qui vous avait initialement rassemblés, vous avez su faire fi de la différence de vos convictions, de la pluralité de vos appréhensions pour transcender ces oppositions, pour vous rassembler sur le constat et proposer une solution.
J’associe à ces remerciements le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui a accepté de saisir le Conseil d’État pour nous permettre de bénéficier de son expertise juridique, lui qui conseille si bien l’État. Il nous a également permis d’enregistrer, de découvrir, d’appréhender et d’accepter les suggestions d’amélioration du Conseil d’État.
Le Gouvernement remercie également avec beaucoup de plaisir la commission de loi dans son ensemble pour son excellent travail. Vous avez su en effet, à de multiples reprises, vous rassembler pour adopter un texte avec la concorde qui sied à ce sujet.
Le Gouvernement est donc très heureux de soutenir cette proposition de loi, issue d’un travail qui montre de la manière la plus lumineuse qui soit la place que le Parlement peut et doit prendre dans la production de la loi.
Ce chantier était délicat, vous l’avez dit. Beaucoup s’y étaient essayés, et non des moindres, mais s’ils avaient réussi les diagnostics, ils avaient été beaucoup moins suivis quant à la thérapie. Vous y êtes parvenus. Vous avez réussi à nous proposer un équilibre entre l’effectivité de la peine et le souhait qu’a la société d’être certaine d’être défendue, un équilibre entre la proportionnalité et le sens éducatif de la peine et la prévention de la récidive.
Cicéron avait une recette pour appréhender et traiter les affaires délicates : selon lui, les dossiers sensibles se traitent par l’autorité, par l’accumulation des bons avis et par la prudence. Vous avez réuni les trois. Bravo !
Le Gouvernement n’a souhaité déposer qu’un amendement, visant à ce que la règle de l’imprescriptibilité ne soit pas étendue aux crimes de guerre, mais reste réservée aux crimes contre l’humanité, faisant écho à une position dont chacun reconnaîtra la sagesse, exprimée par le Sénat en 2007 et plus récemment par Robert Badinter. L’imprescriptibilité doit demeurer une règle exceptionnelle. Je me réjouis donc que la proposition alternative du Gouvernement ait été acceptée par les auteurs de la proposition de loi et par la commission des lois.
Hormis ce point de divergence, qui a trouvé une solution satisfaisante en commission, ce texte recueille évidemment l’assentiment du Gouvernement, car il constitue une réelle avancée en matière de procédure pénale. Il inscrit dans la loi les règles dégagées par la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de prescription de délits occultes, renforce donc la lisibilité du droit et, de ce fait, assure une meilleure sécurité juridique. Chacun pourra connaître plus facilement les règles applicables en consultant la loi, sans être un expert et sans devoir analyser la jurisprudence. Ce texte rassemble dans un même code des dispositions qui étaient éparpillées et contribue ainsi à garantir la prévisibilité de la loi. Enfin, il clarifie et améliore l’efficacité des règles de prescription – durée, mode de calcul, règles de suspension et d’interruption.
Ce sujet, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, a été évoqué à de nombreuses reprises dans différents travaux législatifs, mais c’est la première fois qu’une vision d’ensemble, globale et cohérente en est présentée. Avec ce texte, vous nous permettez de faire un grand pas pour éclaircir le droit de la prescription. Le Gouvernement souhaite évidemment que ce texte soit adopté, non seulement parce qu’il répond à l’inadaptation réelle du cadre juridique mais parce que, de surcroît, il protège parfaitement les intérêts de la société tout entière.
Bravo donc, et merci pour ce travail. Espérons que la concorde se maintiendra dans la deuxième assemblée.