Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, la proposition de loi rapportée par notre collègue Joël Giraud et déposée par l’ensemble de notre groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, relative à la rémunération du capital social des sociétés coopératives, a été adoptée à l’unanimité en commission des lois le 2 mars, après quelques aménagements rédactionnels proposés par le rapporteur.
Cette proposition de loi porte sur une disposition, initialement présentée par nos collègues sénateurs, en faveur du secteur coopératif, et adoptée en loi de finances rectificative pour 2015 au mois de décembre dernier. Le Conseil constitutionnel l’avait ensuite censurée en dépit du soutien du Gouvernement et de l’ensemble des parlementaires, au motif qu’il s’agissait d’un cavalier budgétaire. Notre groupe propose donc de la rétablir au plus vite.
Si le décret, que nous saluons, pris par le Gouvernement le mois dernier permettra de maintenir à flot la rémunération des parts sociales pour l’année en cours, en proposant qu’elle soit plafonnée au niveau de la rémunération des trois années civiles précédant la date des assemblées générales des coopératives en 2016, il revient au législateur de le compléter par une mesure législative simple et pérenne.
Le plafond de la rémunération des parts sociales est défini à l’article 14 de la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération comme relatif aux intérêts des obligations de long terme de l’État, qui n’ont cessé de diminuer du fait notamment de l’action de la Banque centrale européenne. La baisse de ces plafonds soulève à moyen terme un véritable risque de report de l’acquisition de parts sociales vers d’autres produits de placement et, surtout, fragilise le modèle économique du secteur coopératif.
Pour les banques coopératives, le risque pèse directement sur leurs fonds propres, dont les parts sociales font partie intégrante, dans le contexte des accords de Bâle III et des exigences accrues de renforcement des ratios prudentiels. Les sociétés coopératives se différencient des sociétés commerciales, notamment en reposant sur une gouvernance démocratique par l’attribution de parts sociales aux sociétaires qui garantissent ainsi leur participation à la vie de l’entreprise.
Malgré ce mode de gouvernance aussi précurseur qu’ancien, les coopératives se voient appliquer, pour la rémunération de leur capital social, un régime fiscal identique à celui qui est appliqué aux dividendes des sociétés qui ne relèvent pas de l’économie sociale. En effet, en plus de la baisse du plafond de rémunération imposée par la définition obsolète de celui-ci – une telle baisse des taux n’avait pas été envisagée lorsque la référence aux taux d’intérêt applicables à l’État a été adoptée en 1992 –, il faut ajouter que les parts sociales sont soumises à l’impôt sur le revenu. Leurs intérêts sont inclus dans le revenu imposable du sociétaire pour leur montant effectivement perçu et imposés au barème de l’impôt sur le revenu pour 60 % de leur montant. Ils sont également assujettis aux prélèvements sociaux au taux de 15,5 %.
On se trouve donc dans une situation doublement paradoxale, et d’ailleurs non planifiée initialement, où le traitement réservé au capital des coopératives est pénalisant : une fiscalité identique à celle des dividendes des entreprises commerciales, loin de celle appliquée à l’épargne réglementée, par exemple ; et une attractivité menacée par la référence aux taux d’intérêt des émissions de dette de l’État qui ne cessent de décroître, alors même que les résultats économiques des coopératives n’ont cessé de croître.
La progression du chiffre d’affaires cumulé des cent plus grandes coopératives françaises est constante depuis huit ans : 4 % entre 2008 et 2010 ; 17 % entre 2010 et 2012 ; 5 % entre 2012 et 2014. Nos grandes coopératives sont performantes, avec de surcroît une ancienneté moyenne de cinquante ans, sachant que neuf d’entre elles ont plus d’un siècle – principalement des coopératives de consommateurs et des banques coopératives.
Ne perdons pas de vue que le mouvement coopératif français est une référence internationale et que la France est le deuxième pays coopératif au monde, avec ses coopératives agricoles, ses banques, ses SCOP, ses coopératives de commerçants, celles de consommateurs ou encore celles d’artisans. Ce qui différence aussi nos coopératives de nos entreprises commerciales, c’est leur implantation territoriale, puisque 73 % des entreprises du top 100 coopératif français ont implanté leur siège en dehors de la région parisienne.
La mise à mal indirecte de l’attractivité du capital social des coopératives contre laquelle nous proposons d’agir, à savoir l’absence de rémunération du risque pris par le sociétaire, a tendance à limiter les capacités d’investissement des coopératives. Pourtant, les coopératives, particulièrement dans le secteur agricole, sont un acteur économique majeur et essentiel que nous devons résolument encourager. Celles-ci représentent, selon les derniers chiffres disponibles, 85,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires global et plus de 165 000 salariés ; 90 % des coopératives agricoles sont des PME ou des TPE ; 74 % des sièges sociaux se situent en zone rurale. Notons que trois agriculteurs sur quatre adhèrent au moins à une coopérative. La coopérative agricole répond aux besoins des exploitants, principalement en amont avec l’approvisionnement des exploitations en intrants, et en aval, avec la collecte, le stockage et la commercialisation des produits ou encore des services comme l’utilisation en commun du matériel au travers des CUMA, les coopératives d’utilisation de matériel agricole.
Les coopératives agricoles doivent se conformer à des modèles de statuts homologués par le ministère de l’agriculture et se fondent sur des principes constructifs : la double qualité, la territorialité, le fonctionnement démocratique, l’a-capitalisme, l’engagement coopératif, l’équité et l’exclusivisme. Ces principes représentent un atout pour l’économie française car les coopératives agricoles ne sont ni délocalisables, ni « opéables ». De plus, dans le secteur coopératif agricole, la détention du capital social présente une spécificité dans la mesure où elle varie selon le volume d’affaires effectué entre la coopérative et l’exploitation agricole, c’est-à-dire en fonction du rapport entre les apports et les approvisionnements, ce qui conduit l’exploitation à mobiliser chaque année de manière réajustée un capital, qui doit recevoir une juste rémunération.
Dans la crise majeure que traverse le secteur agricole, nous ne pouvons pas bloquer une partie du capital des agriculteurs qui adhèrent à des coopératives et prétendre que cela n’a pas d’importance. La présente proposition de loi tend donc à reprendre la proposition consensuelle émanant de l’ensemble des acteurs du secteur, à savoir que le plafond défini à l’article 14 de la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération serait désormais égal à la moyenne des taux moyens de rendement des obligations des sociétés privées constatée au cours des trois années précédant l’année de référence, majorée de deux points. Mais cette majoration, je le rappelle, ne sera pas automatique puisque les coopératives demeureront libres d’augmenter ou non la rémunération de leur capital social selon leurs bénéfices et leurs résultats. Il s’agit aussi de compenser la hausse de la fiscalité que supportent ces produits contrairement aux produits de l’épargne réglementée, par exemple ceux de l’assurance-vie.
L’économie sociale est une alternative au capitalisme actionnarial, par exemple en donnant plus de pouvoir aux salariés-associés dans les SCOP, où les réserves accumulées sont mises au service du projet collectif, ce que notre groupe et notre majorité soutiennent particulièrement. La loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, défendue par notre collègue et ancien ministre Benoît Hamon, le prouve. On a reconnu l’économie sociale et solidaire, permis d’orienter davantage de financements directement vers ses structures, consolidé son réseau, redonné du pouvoir aux salariés en leur permettant de reprendre leur société sous forme de SCOP – société coopérative et participative –, et aussi décidé de mieux soutenir les initiatives locales pour encourager les emplois non délocalisables.
L’avenir de notre économie, si l’on souhaite qu’elle soit responsable et pérenne, passe par ces modèles qui doivent, eux aussi, évoluer afin de relever de façon positive les nouveaux défis qui se présentent. Cela passe principalement par une meilleure représentativité des différentes parties prenantes qui n’ont pas forcément les mêmes intérêts – salariés, bénévoles, associations, usagers ou encore collectivités –, comme c’est déjà le cas des sociétés coopératives d’intérêt collectif – SCIC –, dont le modèle a vu le jour en 2001 et qui comptent à ce jour plus de 25 000 sociétaires pour un chiffre d’affaires de 142 millions d’euros en 2014, ainsi que par une réponse aux besoins sociaux qui devra en permanence évoluer.