Intervention de Barbara Pompili

Réunion du 8 mars 2016 à 21h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Barbara Pompili, secrétaire d'état chargée de la biodiversité :

La question des risques liés à l'usage des néonicotinoïdes est un sujet très important et très sensible, sur lequel il faut faire preuve d'ambition et de sens des responsabilités. Cette famille d'insecticides comporte cinq substances autorisées dans l'Union européenne. Depuis plusieurs années, il est avéré que trois d'entre elles ont de lourdes conséquences sur les insectes pollinisateurs, mais aussi sur la santé des agriculteurs.

Le moratoire français imposé sur le Cruiser dès 2012 a conduit l'Union européenne à opter en 2013 pour un moratoire partiel sur les trois substances suspectées d'avoir un effet sur les abeilles. Cependant, malgré la mise en place de ces premières mesures, l'usage des néonicotinoïdes a augmenté fortement au cours des deux dernières années en France – de 26 % entre 2013 et 2014 –, notamment celui des trois substances soumises au moratoire européen.

Afin d'assurer une meilleure protection des abeilles et des pollinisateurs sauvages, dont l'action est indispensable tant pour la biodiversité que pour les productions agricoles elles-mêmes, Ségolène Royal a entrepris diverses démarches. Fin 2014, une action spécifique a été décidée dans le cadre de la conférence environnementale pour que la France ait une démarche volontariste au niveau européen.

En mai dernier, Ségolène Royal a ainsi adressé une note à la Commission européenne pour demander une accélération des réévaluations des substances néonicotinoïdes en cours, et au minimum, un maintien des restrictions d'usage actuelles. Lors d'une communication en conseil des ministres, elle a également rappelé que la France s'engageait fortement dans une démarche d'extension du moratoire européen à l'ensemble des pesticides néonicotinoïdes.

Dans le cadre du plan d'action « France terre de pollinisateurs », Ségolène Royal a veillé à ce que des actions sur les néonicotinoïdes soient identifiées, notamment la valorisation de projets territoriaux et le développement d'alternatives dans le cadre du nouveau plan Écophyto.

Elle a par ailleurs saisi l'ANSES, le 24 juin dernier, afin que cette agence s'implique fortement dans les réévaluations en cours au niveau européen, et qu'elle évalue l'ensemble des études sur ce sujet. Le rapport de l'ANSES, remis le 12 janvier dernier et rendu public, confirme qu'en l'absence de mesures de gestion adaptées, l'utilisation des néonicotinoïdes a de sévères effets négatifs sur les pollinisateurs.

L'ANSES indique que deux types d'usages sont plus particulièrement critiques : ceux qui sont déjà soumis au moratoire européen ; l'usage de semences enrobées, y compris pour les céréales d'hiver, qui nécessiteraient pour la protection des abeilles des règles impossibles à mettre en oeuvre au regard des pratiques agricoles réelles. Seule l'interdiction de cet usage permet de protéger les pollinisateurs.

En l'état des connaissances, l'ANSES considère que les autres usages – en serres notamment – sont moins critiques ou qu'ils nécessitent des compléments de vérification qu'elle sollicitera auprès des industriels concernés.

Au niveau européen, la question des risques liés à l'usage des néonicotinoïdes est également un sujet très important. Les autorités allemandes ont ainsi décidé de ne pas autoriser leur usage pour le traitement de semences des céréales d'hiver. Quant à l'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), elle a confirmé en septembre 2015 ses conclusions de 2013 concernant la réévaluation sur les usages en pulvérisation foliaire, qui avaient justifié les restrictions d'usages. La réévaluation complète des trois substances soumises au moratoire européen sera d'ailleurs finalisée en 2016, et la réévaluation des deux autres néonicotinoïdes sera terminée en avril 2017 et avril 2018.

Ces conclusions vont dans le sens des résultats issus de plusieurs études publiées l'année dernière : le rapport du Conseil européen des académies des sciences, qui met en évidence le caractère dommageable des néonicotinoïdes sur les pollinisateurs et les milieux ; l'étude de l'ANSES relative à la coexposition des abeilles aux facteurs de risques, qui préconise une diminution des stress chimiques – notamment des néonicotinoïdes – auquel sont confrontées les abeilles. Il y a deux semaines, l'Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES), l'équivalent pour la biodiversité du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), a aussi rappelé l'importance des pollinisateurs, notamment pour l'agriculture.

Face à tous ces éléments, nous devons prendre nos responsabilités ; l'État français doit prendre ses responsabilités. Sur le principe, je ne peux qu'être favorable à ces amendements. Mais nous devons aussi nous assurer d'aboutir à un résultat, une fois que ce projet de loi aura terminé la navette parlementaire. C'est pourquoi Ségolène Royal a soutenu au Sénat un amendement de Chantal Jouanno qui reprenait plus strictement les recommandations du rapport de l'ANSES sur l'interdiction des semences enrobées.

Ici, un tel choix ne se présente pas, puisque nous sommes seulement en présence d'amendements visant à une interdiction globale de ces substances. C'est pourquoi je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée concernant ces amendements, mais vous avez bien compris que, selon moi, nous devons être courageux.

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