Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 16 février 2016 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense :

Madame la présidente, le débat de fond sur l'emploi des forces sur le territoire national apparaît indispensable, et je le souhaite autant que vous. En effet, il faut bien identifier ce qui fait le professionnalisme et la spécificité de nos forces armées. Vos auditions comme vos constats seront utiles pour enrichir la réflexion. Le dispositif semble appelé à durer car nous sommes entrés dans une phase nouvelle. J'insiste cependant : il n'y a et il n'y aura qu'une seule armée ; les mêmes militaires seront affectés à la projection et à la protection. Toute entorse à ce principe ne peut conduire qu'à des dérives – ce qui n'empêche pas de faire jouer la réserve. Cette armée garde ses caractéristiques essentielles ; si elles sont à la disposition du ministre de l'Intérieur, les troupes déployées sur le territoire national ne sont pas des supplétifs.

Monsieur Folliot, en Ukraine, les violations des accords continuent, mais globalement le dispositif tient debout. Les discussions entre ministres des affaires étrangères laissent à penser que le format Normandie fonctionne plus ou moins bien. On observe une relative stabilisation de l'instable.

En ce qui concerne la Libye, Monsieur Pueyo, il est en effet indispensable de passer à la phase 3 de l'opération Sophia, car en rester à la phase 2 ne ferait que conforter les passeurs. C'est ce qui s'est passé lorsque les Italiens ont lancé l'opération Mare Nostrum, qui a multiplié passeurs et réfugiés, faisant même monter les prix du passage. Mais pour engager la phase 3, il faut qu'un gouvernement libyen soit constitué et validé. Dès qu'il nous le demandera, nous pourrons agir. Il est important de le faire avant que le printemps n'arrive, car des milliers de réfugiés sont en attente de passage en Libye. Jusqu'à présent, Daech ne semble pas avoir organisé des passages ; mais vue l'étendue de sa présence sur la ligne côtière libyenne et l'intérêt financier de l'activité, cela ne saurait tarder. Il faut se préparer à agir vite ; c'est tout l'intérêt de l'opération européenne EUNAVFOR MED Sophia.

Monsieur Folliot, nous parlons régulièrement avec les Algériens et les Égyptiens, tout comme avec le Tchad et la Tunisie, pour les amener à faire pression sur le parlement de Tobrouk et les autres acteurs. Aucun de ces pays ne souhaite une intervention au sol de notre part ; leur intérêt est donc de voir se constituer un gouvernement libyen dont ils veulent nous voir participer à la sécurité. Nous ne le ferons qu'en cas de demande à la communauté internationale émanant d'un gouvernement dûment reconnu. Ce gouvernement disposera lui-même d'une force armée non négligeable ; je ne peux donc pas prévoir la teneur exacte de sa future demande. Quoi qu'il en soit, les forces libyennes ne sont pas en mesure aujourd'hui d'enrayer seules l'expansion de Daech. Mais que faire si ce gouvernement ne se met pas en place ? Le négociateur des Nations unies, M. Martin Kobler, apparaît très habile, et on a beaucoup avancé depuis un an. J'espère que ce processus aura une issue positive.

Monsieur Meslot, nous ne sommes pas inactifs en matière de renseignement et prenons une série de dispositions. Nous tenons une posture de grande vigilance, prêts à réagir et à fournir un soutien technique en cas de nécessité. Mais aucune décision d'intervention n'est prise à ce jour. Pour ma part, c'est depuis septembre 2014 que je mets en garde contre la dégradation de la situation en Libye. Nous allons aider au renforcement de la sécurité en Tunisie ; les Allemands viennent de décider d'y contribuer également, tout comme les Britanniques. La Tunisie étant très proche de Sabratha, elle peut être menacée d'attentats ; mais il faut trouver une solution politique le plus vite possible. Tout le monde s'y emploie, y compris l'Égypte et l'Algérie.

Monsieur Marty, pour ce qui est de l'opération Sentinelle, je considère toutes les possibilités, y compris en matière de moyens et d'équipements mis à disposition de nos forces armées. Mais les véhicules blindés leur sont quand même moins nécessaires qu'en Centrafrique ! Il faut réfléchir aux équipements futurs, y compris pour les opérations intérieures, qui ne sont pas des opérations de seconde zone. Aujourd'hui, plus de militaires sont engagés en opérations intérieures qu'en OPEX.

Monsieur Moyne-Bressand, la durée de l'opération Sentinelle n'est pas liée à l'état d'urgence ; il s'agit d'une décision indépendante du président de la République, prise en conseil de défense – seul habilité à valider ce type de décisions. Pour ce qui est de la répartition des effectifs sur le territoire, la région parisienne concentre environ 6 500 militaires, d'où les problèmes d'hébergement qu'on y rencontre. Dans les premiers jours de l'opération, j'ai vu des situations inacceptables ; aujourd'hui que l'opération se stabilise, on trouve les moyens d'améliorer les conditions de vie des militaires déployés.

Les pertes humaines infligées à Daech par la coalition sont très significatives. Les chiffres cités sont toutefois largement aléatoires – comment savoir combien de personnes contient un pick-up touché ? Quoi qu'il en soit, la coalition avance le chiffre d'environ 20 000 combattants de Daech. L'impact de notre action sur l'accès de Daech au pétrole est également réel ; Daech a d'ailleurs publiquement déclaré diminuer les soldes de moitié. Ses ressources commencent donc à faiblir. Point moins encourageant : Daech continue à recruter dans le monde entier : en Australie, au Pakistan, en Afghanistan, au Canada ou en Russie, voire désormais en Extrême-Orient. Plusieurs centaines d'Australiens participeraient par exemple aux combats. Les pertes sont donc globalement compensées par ces nouveaux apports.

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