Intervention de Benoît Battistelli

Réunion du 1er mars 2016 à 16h15
Commission des affaires européennes

Benoît Battistelli, président de l'Office européen des brevets, OEB :

Merci de votre invitation. Ma présentation liminaire devrait me permettre de répondre à une partie des questions que vous venez de me poser, madame la présidente ; d'autres aspects pourront être abordés dans le cadre de l'échange que nous aurons ensuite.

L'Organisation européenne des brevets a été créée en 1973 par un traité qui ne couvrait alors que sept pays membres ; ils sont aujourd'hui 38, formant une très grande Europe qui inclut les 28 États de l'Union européenne et s'étend de l'Islande à la Turquie et de la Finlande au Portugal. Nous avons aussi deux États dits d'extension, c'est-à-dire qui ont vocation à devenir membres : la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro ; avec leur adhésion, nous aurons intégré l'ensemble des Balkans. En outre, une novation récente et notable nous a conduits à négocier des accords dits de validation avec des États qui n'ont pas vocation à rejoindre l'Organisation, mais qui reconnaissent comme brevet national le brevet européen délivré par l'Office européen des brevets. Ainsi, nous avons signé et mis en oeuvre en 2015 deux accords avec le Maroc, d'une part, et la Moldavie, d'autre part. Ainsi, une fois délivré par l'OEB, le brevet européen est potentiellement valable sur un vaste marché qui comprend 650 millions d'habitants environ.

Organisation intergouvernementale, nous ne sommes ni une agence de l'Union européenne ni une agence des Nations Unies. Par conséquent, nous devons créer nos propres règles : nous nous inscrivons dans un cadre juridique indépendant qui nous distingue à la fois des autres organisations internationales et des États membres.

Notre budget annuel, supérieur à deux milliards d'euros, est entièrement autofinancé, c'est-à-dire tiré des recettes liées aux services que nous rendons aux entreprises. Il ne bénéficie d'aucune participation financière publique, qu'elle soit nationale ou issue d'autres organisations.

Notre structure est classique s'agissant d'une organisation intergouvernementale. D'une part, notre conseil d'administration joue à la fois le rôle d'un organe législatif et celui d'un organe de contrôle. Il est composé d'un délégué par État membre : il n'existe pas de majorité pondérée ; chaque État, quels que soient son poids et sa population, a droit à une voix, de l'Allemagne – le plus peuplé et le plus puissant économiquement – au Liechtenstein. Le conseil supervise les activités de l'Office, vote le budget, approuve les tarifs ainsi que le cadre juridique et ses principales modifications. En outre, il élit le président de l'Office à la majorité des trois quarts, ainsi que cinq vice-présidents à la majorité simple.

Le président de l'Office, d'autre part, exerce le pouvoir exécutif : il est chargé de la bonne gestion de la procédure dans toutes ses phases, de la demande de brevet à sa délivrance, et du fonctionnement de l'Office en matière opérationnelle, sociale, budgétaire et financière, notamment. C'est aussi lui qui représente l'Office à l'extérieur, dans tous les domaines – international, judiciaire, etc.

Nous sommes installés sur cinq sites ; notre siège est à Munich, nous avons un établissement très important à La Haye, et des bureaux à Berlin et à Vienne ainsi qu'à Bruxelles. Au total, nous employons près de 7 000 personnes, dont 4 227 « ingénieurs brevets », qui sont des scientifiques très qualifiés capables de travailler dans nos trois langues officielles : l'allemand, l'anglais et le français. Ils représentent le coeur de notre métier ; ils couvrent l'ensemble du champ technologique, instruisent les demandes de brevets et décident au cas par cas de la brevetabilité d'une invention et de la délivrance du brevet.

Organisation internationale, nous employons plus de trente nationalités, mais sans appliquer aucun quota : nous ne recrutons nos collaborateurs qu'en fonction de leur compétence, technique et linguistique. Ce dernier aspect est important. Au sein de l'organisation, le français n'est pas une langue officielle théorique mais une langue de travail au quotidien. Sur nos 7 000 agents, 18 % sont d'ailleurs français ; il s'agit de la deuxième nationalité la plus représentée, après la nationalité allemande.

Le brevet est une protection légale accordée pour une durée maximale de vingt ans, un titre de propriété qui octroie à son titulaire l'exclusivité de l'exploitation. Celle-ci peut prendre des formes très diverses, de la production elle-même à des accords de licence, mais requiert obligatoirement l'aval du titulaire. Un brevet est en général lié à un territoire, le plus souvent un pays. Nous représentons donc un cas à part dans le système mondial des brevets, puisque notre compétence géographique s'étend à toute une région, composée des 42 pays.

La mission d'un office des brevets est double : la délivrance des brevets et la diffusion de l'information contenue dans un brevet. On se focalise en général principalement sur la première de ses deux dimensions : la délivrance des brevets. Celle-ci repose sur une procédure complexe. En effet, la brevetabilité d'une invention dépend des trois critères suivants. Premièrement, l'invention doit être nouvelle, par rapport non seulement aux brevets antérieurs mais à l'ensemble des connaissances disponibles, à ce que l'on appelle l'état de l'art antérieur. Deuxièmement, même si cela paraît tautologique, elle doit comporter un élément inventif : un homme de l'art ne doit pas pouvoir parvenir de manière évidente à la même solution ; il faut qu'elle apporte quelque chose de différent des connaissances antérieures. Enfin, l'invention ne saurait être un simple prototype mais doit pouvoir être utilisée au niveau industriel. Parmi ces trois critères fondamentaux, le plus important et le plus difficile à établir est la nouveauté ; et ce qui fait la force d'un brevet, c'est le caractère complet et exhaustif de la recherche d'antériorité.

À cette mission, la plus connue, s'en ajoute une seconde, tout aussi importante : la diffusion de l'information contenue dans un brevet. En effet, en contrepartie du monopole attribué pour un laps de temps donné au titulaire du brevet, l'information doit être publiée dix-huit mois après la demande de brevet. Les publications sont naturellement mises à la disposition de l'ensemble des acteurs scientifiques et économiques, de manière à alimenter le progrès technique. Cet équilibre entre l'avantage donné à l'inventeur et le bénéfice qu'en retire la société est fondamental.

L'OEB dispose de la plus grande base d'informations technologiques, riche de près de 90 millions de documents directement accessibles sur notre site Espacenet.

Le rôle des brevets dans l'économie ne fait que croître. Avec les autres titres de propriété industrielle – marques, dessins et modèles, droits d'auteur, etc. –, les brevets fournissent à une économie de plus en plus fondée sur la connaissance et les actifs immatériels le cadre juridique de son développement. Il existe un lien étroit entre brevet, innovation, compétitivité, développement économique et, in fine, emploi. D'une part, en assurant à l'inventeur qu'il pourra bénéficier d'un monopole d'exploitation pendant vingt ans, les investissements en recherche et développement sont sécurisés, ce qui encourage l'innovation. D'autre part, la consultation régulière de nos bases de données, qui mettent à disposition des informations technologiques aussi actualisées que possible, permet une veille concurrentielle. Or il est très important pour les entreprises de savoir dans quel domaine leurs concurrents investissent, mènent des recherches, développent leurs technologies.

Il y a un peu plus de deux ans, nous avons tenté, avec l'Office d'harmonisation du marché intérieur (OHMI), l'agence communautaire compétente en matière de marques, dessins et modèles, de quantifier cet apport de la propriété intellectuelle au développement économique, en nous appuyant sur les grands indicateurs que sont l'emploi, le produit national brut, les importations et exportations. Cette étude, la première du genre, est disponible sur notre site et sera actualisée en 2016. Nous avons analysé environ 650 secteurs industriels parmi lesquels nous avons distingué ceux qui utilisaient plus que la moyenne les titres de propriété intellectuelle et que nous avons appelé secteurs intensifs en propriété intellectuelle. Nous avons constaté qu'ils représentent dans l'Union européenne 35 % de l'emploi, 39 % du PNB et près de 90 % des échanges extérieurs – pour ne mentionner que ces indicateurs, car cette étude en fournit bien d'autres.

Vous m'avez interrogé, madame la présidente, sur la comparaison en matière de brevets entre l'Europe et les grandes zones concurrentes dans le monde. Nous avons reçu l'année dernière plus de 160 000 demandes de brevets, ce qui représente une progression de 4,8 % par rapport à l'année précédente, et, toujours en 2015, nous avons délivré 68 000 brevets. Pour établir une comparaison avec les autres régions du monde, il convient de tenir compte des brevets déposés au niveau national : en Europe, chaque pays dispose d'un office qui reçoit lui aussi des demandes de brevets. On retrouve une partie de ces brevets nationaux au niveau européen, de sorte que l'on ne peut se contenter d'additionner les demandes nationales et les brevets européens. Au total, nous sommes à peu près, en termes statistiques, au même niveau que les États-Unis ou la Chine s'agissant des brevets d'invention. En effet, la Chine inclut dans ses statistiques des demandes de modèles d'utilité ou de brevets qui ne sont pas d'invention. En outre, le nombre de brevets connaît en Europe une progression régulière, de l'ordre de 3 à 4 % par an depuis une vingtaine d'années, à peu près dans les mêmes proportions que les autres grands ensembles.

Les déposants de brevets en Europe – à l'Office européen des brevets, non dans les différents pays – sont pour moitié des entreprises européennes, installées dans les 38 États membres, tandis que l'autre moitié des dépôts provient du reste du monde. La plus forte proportion émane des Américains, devant l'Allemagne, avec 16 %, le Japon, puis la France – 7 % ; viennent ensuite la Chine, dont la part augmente très fortement, la Suisse, les Pays-Bas et la Corée.

J'aimerais maintenant aborder les défis auquel est confronté l'OEB, parmi lesquels certains sont liés au système des brevets lui-même et d'autres sont spécifiques à l'Office. En ce qui concerne le système de brevets au niveau mondial, tous les offices au monde, en particulier les cinq principaux, regroupés de manière informelle sous l'appellation « IP5 » – américain, japonais, chinois, coréen et européen –, qui représentent 85 % des brevets délivrés à l'échelle mondiale, sont confrontés aux mêmes difficultés. Premièrement, les demandes de brevets sont de plus en plus complexes – interdisciplinaires, intégrant une dimension numérique croissante, etc. Deuxièmement, leur nombre, lui aussi, augmente, de 4 à 5 % par an au niveau mondial. Dans ces conditions, comment délivrer des brevets dont la qualité soit préservée, dans les délais les plus courts possibles ?

La qualité d'un brevet se mesure à sa solidité juridique. Notre rôle s'arrête à la délivrance du brevet : nous ne nous prononçons pas sur son potentiel économique, commercial ou financier. Notre mission consiste à délivrer un brevet dont la demande aura été instruite de manière complète, afin d'assurer sa solidité juridique. À cet égard, l'Europe est à la pointe et reconnue comme telle.

Un autre élément, qui n'est pas propre au secteur des brevets mais dont nous subissons également les effets, est la montée en puissance rapide de l'Asie, qui accroît la concurrence. En particulier, la part de l'art antérieur rédigée en chinois, en japonais ou en coréen augmente avec le nombre de demandes de brevets émanant de ces pays. Le risque est donc majeur de voir se développer au niveau mondial un brevet « occidental » rédigé dans les langues occidentales, d'une part, et un brevet « oriental » en langues orientales, de l'autre.

Par ailleurs, alors que notre économie est globale, les brevets sont en général des outils nationaux, régis par des règles, des procédures et des pratiques qui diffèrent d'un pays à l'autre, ce qui fractionne le marché. Des efforts importants doivent donc être consentis pour harmoniser les règles, les principes et les procédures. À long terme, on pourrait rêver d'un brevet unique, un brevet mondial, ce qui impliquerait que nous ayons les mêmes règles. Or il existe d'importantes différences, non seulement en matière de procédure, mais quant au fond, entre les règles américaines et les règles européennes. Ainsi, très souvent, une invention brevetée aux États-Unis ne l'est pas en Europe où les règles sont plus rigoureuses, par exemple en matière de biotechnologies, de logiciels ou de méthodes d'affaires. En Europe – et cette conception s'est répandue partout dans le monde sauf aux États-Unis –, nous considérons en effet qu'un brevet doit être une solution technique à un problème technique ; cet élément technique est essentiel.

J'en viens aux défis spécifiques à l'OEB. Nous sommes une organisation internationale créée dans les années 1970, dotée de règles, de statuts et de caractéristiques propre à cette époque. Or, depuis lors, les choses ont beaucoup changé et toutes les organisations internationales doivent s'adapter à cette évolution. Nous subissons la pression des États membres, qui veulent réduire leurs coûts et accélérer le processus, ainsi que les contraintes budgétaires. Ces dernières touchent moins l'OEB que d'autres organisations car, je l'ai dit, nous couvrons nous-mêmes, grâce aux recettes que nous dégageons, l'intégralité de nos frais, y compris nos engagements sociaux à long terme : éducation des enfants des agents, de l'école maternelle à l'université ; gestion de notre système de santé et de sécurité sociale spécifique, ainsi que de notre système de retraite.

En ce qui concerne nos contraintes internes, nos coûts internes sont élevés, notamment du fait de notre « paquet social », très généreux, qui représente environ 80 % de nos dépenses annuelles. Vous trouverez dans le document que nous vous avons distribué quelques éléments concernant le niveau de rémunération et l'ensemble des avantages sociaux dont bénéficient nos agents.

Sur ce point, je voudrais être clair : mon objectif n'est pas de réduire ces avantages, mais de créer les conditions de leur financement à moyen et long terme. Tel est le sens de mon action depuis mon entrée en fonction, il y a cinq ans. Il fallait en particulier tenir compte d'un élément très important : nous connaissons actuellement une tendance à l'augmentation des dépenses, de 4 à 5 % par an, soit davantage que la hausse de nos recettes. Dès lors, si rien n'est fait, nous serons tôt ou tard en déficit ; or, aux termes des textes qui régissent l'Office, dans le cas où celui-ci ne serait pas en mesure d'assumer ses engagements à court, moyen ou long terme, il reviendrait aux États membres, qui se sont portés en quelque sorte caution et garantie, de combler le déficit. Nous en sommes loin, mais nous devons nous en préoccuper à long terme.

J'ai également constaté à mon arrivée que des investissements avaient été retardés, notamment dans le domaine informatique. Or une structure comme l'OEB doit évidemment pouvoir s'appuyer sur des systèmes d'information extrêmement performants – bases de données, moteurs de recherche et autres outils. Il nous faut donc assurer en permanence la mise à jour et à niveau de notre système informatique. Nous y consacrons près de 100 millions d'euros par an. En outre, un immeuble de bureaux construit dans les années 1960 aux Pays-Bas présentait un danger à terme pour ses occupants ; nous avons donc engagé la construction d'un nouvel immeuble de bureaux de 86 000 mètres carrés à La Haye.

La politique qui a été conduite dans ce contexte peut être résumée par ces deux mots : qualité et efficacité.

Sur le premier point, la qualité du brevet européen repose sur sa solidité juridique. C'est un aspect essentiel auquel les utilisateurs sont particulièrement attachés. Du reste, si l'OEB bénéficie d'une sorte de monopole public, puisqu'il est la seule autorité habilitée à délivrer un brevet valable dans toute l'Europe, il est aussi en concurrence avec d'autres moyens de protéger ses inventions. D'abord, au niveau européen, la voie nationale : si l'on veut protéger un brevet dans deux ou trois pays seulement, on peut tout à fait le déposer d'abord en France, par exemple, puis en Allemagne et en Grande-Bretagne, sans passer par l'OEB. Ensuite, les brevets internationaux, dans le cadre du PCT (Patent Cooperation Treaty) : dans la plupart des pays, on a le droit de choisir l'autorité PCT que l'on sollicite pour examiner sa demande de brevet. Il existe une quinzaine d'autorités PCT dans le monde, dont tous les grands offices. Or l'OEB, grâce à la qualité de ses services, reçoit 50 % de ces demandes de brevets internationaux. En d'autres termes, dans la moitié des cas, c'est à l'OEB que s'adresse pour faire instruire sa demande une entreprise qui considère un brevet comme important.

Quant à l'efficacité, l'idée est que nous contrôlions nos coûts : nous devons développer notre efficacité pour ne pas avoir à augmenter nos tarifs. Tel est le sens de la politique que je mets en oeuvre. De ce fait, nos tarifs sont stables depuis sept ans, à ceci près que nous les ajustons tous les deux ans en fonction de l'inflation.

Un vaste débat a eu lieu à mon arrivée, après quoi le conseil d'administration a approuvé à l'unanimité les orientations stratégiques, que nous avons transposées dans cinq feuilles de route qui concernent chacune un domaine clé et qui sont en cours d'application. Une mise à jour a été présentée en 2014 et également approuvée à l'unanimité par le conseil d'administration.

Quels sont, en bref, les résultats de cette politique ?

En ce qui concerne la production, c'est-à-dire le nombre de dossiers traités, l'augmentation est de 14 % en 2015 par rapport à 2014. Nous avons réussi à réduire une partie de nos arriérés. Nous avons été certifiés ISO 9001 ; nous sommes le seul office au monde à être certifié pour la totalité du processus, de la demande à la publication. Enfin, toujours eu égard à la qualité, nous sommes régulièrement classés au premier rang par des enquêtes extérieures menées auprès des utilisateurs.

Quant au contrôle des coûts, le coût unitaire est passé d'un index 100 en 2006 à 88 en 2015. Notre résultat opérationnel cette même année est de 270 millions d'euros, pour un budget de 2 milliards, soit plus de 10 %.

En ce qui concerne le paquet social, en cinq ans les salaires ont connu une augmentation de 11 %, alors que la Commission européenne n'augmentait les siens que de 3,2 %. Notre enveloppe destinée à financer les promotions, les avancements et les primes a été fixée à 18 millions d'euros en 2015, ce qui représente une hausse de 25 % par rapport à l'année précédente. Nous avons un système de cotisations et prestations ; du fait de la relative jeunesse de notre organisation, il y a actuellement beaucoup plus de cotisants que de retraités ; mais viendra un moment où les deux courbes se croiseront. Pour préparer cette période, nous avons créé un fonds de réserve des pensions qui a été abondé à hauteur de près de 500 millions d'euros depuis mon arrivée et dont l'actif s'élève actuellement à 6,4 milliards.

Nous avons également continué à recruter : nous ne sommes pas dans une logique de réduction de nos capacités ni de notre activité. Au contraire, il fallait faire face à l'accroissement de la demande. Ainsi, non seulement nous remplaçons les partants, mais nous avons recruté 500 ingénieurs brevets, dont 200 nouveaux postes. Au total, nous avons recruté 750 personnes depuis 2011.

Quant aux absences pour maladie, elles ont été ramenées de 14 jours par an et par employé en 2011 à 10,3 jours en 2015.

En ce qui concerne les résultats au niveau international, il faut souligner que l'OEB est la voix de l'Europe en matière de délivrance des brevets. Cette activité limitée, mais importante, nous permet d'exercer une influence certaine au niveau international. Les outils que nous développons deviennent des standards mondiaux. C'est le cas du moteur de recherche EPOQUE, spécifiquement développé par l'OEB et désormais utilisé par une quarantaine de pays dans le monde. J'ai aussi mentionné notre site Espacenet, qui fournit la base de données la plus complète qui soit.

À ce sujet, j'aimerais également évoquer Patent Translate. L'un des grands défis pour le système mondial, je l'ai dit, est l'accès aux informations dans les pays dont nous ne maîtrisons pas ou guère la langue : la Chine, le Japon, la Corée. Nous avons donc développé un système de traduction automatique, qui ne peut évidemment donner plus que ce que la technologie a à offrir, qui n'a donc pas de valeur juridique, mais qui constitue un système documentaire, permettant d'accéder aux documents pertinents. Il couvre désormais 32 langues : les 28 langues des États membres auxquelles s'ajoutent le chinois, le coréen, le japonais et le russe. Il est gratuitement accessible sur notre site et rencontre un grand succès, puisque nous en sommes à 20 000 demandes de traduction par jour.

J'en viens à la situation sociale.

Les réformes ont été menées dans un contexte difficile et dans le cadre d'une campagne de diffamation très agressive visant l'OEB.

L'année 2016 doit être à mes yeux une année de pause et de consolidation des importantes réformes qui ont été conduites. L'une des principales a consisté à remplacer le système d'avancement et de promotion classique dans la fonction publique, entièrement fondé sur l'ancienneté, par un dispositif reposant sur le mérite et la performance. C'est une véritable révolution culturelle dans une organisation comme la nôtre. Nous l'avons mise en oeuvre en 2015, avec un grand succès.

Ce sera aussi une période de passage en revue et d'analyse afin de déterminer s'il y a lieu de revoir certains des dispositifs adoptés. C'est dans ce cadre qu'une grande étude sociale a été lancée, confiée à un consultant international indépendant qui fait partie des quatre ou cinq grandes entreprises connues au niveau mondial dans ce domaine. Son champ est très vaste : il s'agit de l'ensemble de notre droit du travail et de notre droit social. Sur le fondement de cette étude, couplée à une autre qui nous éclairera sur nos perspectives financières à long terme, je propose une conférence sociale à l'automne prochain, ouverte à toutes les parties prenantes : syndicats, représentants du personnel, du management, des États membres s'ils le souhaitent. Elle nous permettra d'analyser ensemble les résultats des études et, à partir de là, de déterminer des priorités pour les années à venir.

Concernant le brevet unitaire, madame la présidente, il s'agit d'une réforme particulièrement importante. En effet, le système du brevet européen s'est en quelque sorte arrêté à mi-chemin : nous délivrons un brevet de manière centrale en Europe, mais le titulaire décide ensuite du pays dans lequel il le valide, ce qui va faire du brevet européen, selon les cas, un brevet français, allemand, italien, belge, etc. – un brevet national. Et en cas de contestation, de contrefaçon ou de non-respect des droits de propriété intellectuelle, c'est le système judiciaire national qui sera compétent. Ainsi, s'il existe à l'origine un brevet unique pour l'ensemble de ce vaste marché, on aboutit à une série de brevets nationaux. Voilà pourquoi on essaie depuis plusieurs décennies de créer un brevet unitaire dans le cadre de l'Union européenne. Ce sera un brevet européen, délivré par l'OEB, mais qui sera automatiquement valable dans les pays qui acceptent le brevet unitaire.

Vingt-six États membres de l'Union européenne l'ont déjà fait, dans le cadre de la coopération renforcée. L'Espagne ne figure pas parmi eux, pour des raisons essentiellement linguistiques : elle avait pu admettre, en adhérant à l'OEB il y a une quinzaine d'années, que l'espagnol n'y soit pas au même niveau que le français ou l'allemand, parce qu'il s'agit d'une organisation technique ; mais elle considère ne pouvoir l'accepter au niveau de l'Union européenne.

Quels sont les avantages du brevet unitaire ? Premièrement, une simplification considérable : au lieu d'avoir à gérer une dizaine de brevets nationaux, voire 26, il n'y en a plus qu'un seul, avec un seul interlocuteur, l'OEB. De ce fait, la réduction du coût est elle aussi considérable : elle est estimée à 75 % pour une même protection géographique. En d'autres termes, le coût que représente actuellement la validation du brevet européen dans les 26 pays concernés est de 75 % supérieur au coût du futur brevet unitaire qui protégera l'invention dans ces mêmes 26 pays.

Autre avantage : la cour unifiée des brevets qu'il est prévu de créer en lien avec le brevet unitaire représente une novation juridique très significative. Pour la première fois, une instance judiciaire européenne sera compétente pour juger de conflits entre parties privées : la Cour européenne de justice ne connaît que de conflits entre entités publiques – la Commission contre le Parlement, le Parlement contre un État membre, etc. Il a donc fallu un traité : un règlement de l'Union européenne ne suffisait pas puisque les États membres devaient transférer leur compétence judiciaire au niveau supranational. Ce traité a été signé en février 2013 et il est maintenant en cours de ratification. Neuf pays l'ont ratifié à ce jour – l'un des premiers était la France, ce dont je me félicite ; ils doivent être treize, dont l'Allemagne et le Royaume-Uni, pour que la cour unifiée voie le jour.

Vous m'avez interrogé sur l'état de préparation de cette réforme. Le brevet unitaire lui-même relève de l'OEB, qui a réglé l'année dernière toutes les questions juridiques, techniques et financières : nous sommes donc prêts à le délivrer.

En particulier, deux décisions importantes ont été prises en 2015. Premièrement, nous avons décidé de fixer la redevance à un niveau bas de manière à rendre le brevet unitaire attractif, surtout pour les petites et moyennes entreprises (PME). Sans entrer dans les détails, sa valeur correspond à 4 pays, pour une protection dans 26 pays – d'où les 75 % d'écart de coût. Deuxièmement, les recettes tirées des redevances annuelles seront réparties par moitié entre l'OEB et les États membres. Dans le système actuel, c'est le titulaire du brevet qui, en décidant de le valider en France, par exemple, attribue à ce pays 50 % des recettes. Mais, dès lors que le brevet sera automatiquement valable dans 26 pays, il faudra une clé de répartition. Après une discussion qui, comme vous pouvez l'imaginer, fut longue, ce point a fait l'objet d'un accord en décembre dernier.

Au titre du brevet européen, l'OEB génère au total 400 millions d'euros de recettes, qu'il reverse aux États membres en fonction du nombre de validations de brevets dans chaque pays. La France est le deuxième pays à bénéficier de cette ressource, avec 60 millions d'euros par an environ, directement gérés par l'Institut national de la propriété industrielle (INPI). Le premier est, de loin, l'Allemagne, qui touche 140 millions d'euros. Cette différence s'explique moins par le nombre de brevets validés que par le niveau des annuités, bien plus élevé en Allemagne qu'en France.

En ce qui concerne la cour unifiée des brevets, l'OEB n'est pas directement impliqué, en raison de la séparation des pouvoirs : ce sont les États membres qui sont compétents, dans le cadre d'un groupe préparatoire qui a presque achevé ses travaux, et a notamment adopté des règles de procédure. Le système est prêt à être mis en oeuvre dès que les ratifications seront intervenues. La première instance aura son siège principal à Paris, deux autres sièges étant installés l'un à Londres, l'autre à Munich.

Il est encore possible que le brevet unitaire soit délivré en 2016. L'Allemagne s'est engagée à ratifier l'accord cette année ; le Royaume-Uni également, mais, naturellement, il existe une incertitude liée au référendum sur son appartenance à l'Union européenne.

En conclusion, l'année 2015 a été très positive pour l'OEB, dans tous les domaines. La politique de réformes, mise en oeuvre après avoir été approuvée par le conseil d'administration, porte ses fruits. Je l'ai dit, 2016 sera l'année de la consolidation, de la révision éventuelle des dispositifs et, je l'espère, de la mise en oeuvre du brevet unitaire.

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