Intervention de Benoît Battistelli

Réunion du 1er mars 2016 à 16h15
Commission des affaires européennes

Benoît Battistelli, président de l'Office européen des brevets, OEB :

Merci de vos questions.

Monsieur Cordery, je ne partage pas du tout votre point de vue sur la situation de l'OEB.

Vous dites que le droit de grève n'y existe pas ; c'est faux. C'est même moi qui l'ai reconnu : auparavant, il était absent du cadre juridique de l'Office. Il y a eu 22 jours de grève en 2014. Il n'y en a pas eu en 2015, c'est vrai, mais une demande est en cours d'examen et nous aurons probablement une journée de grève au mois de mars.

S'agissant des suicides, je serai extrêmement prudent. Il est très problématique d'instrumentaliser des drames personnels. Chaque cas a été traité ; des enquêtes sont intervenues. Les familles elles-mêmes n'ont établi aucun lien entre la situation professionnelle des intéressés et ces drames personnels. Tous les agents de l'OEB ont été profondément marqués par ce qui est arrivé, ainsi que par les tentatives d'instrumentalisation qui ont suivi. J'invite donc chacun à se montrer responsable en cette matière.

En ce qui concerne le jugement de la cour d'appel de La Haye, il existe un principe fondamental applicable à toutes les organisations internationales : elles bénéficient d'une immunité, qui vise non à protéger leurs privilèges mais à les rendre indépendantes de toute interférence nationale. Des dizaines de jugements ont eu lieu, en Allemagne et aux Pays-Bas, qui n'ont jamais mis en cause l'OEB. Celui dont vous parlez constitue de l'avis général, y compris de celui du gouvernement néerlandais, une erreur. Cela arrive. Voilà pourquoi nous nous sommes pourvus en cassation, avec l'appui des autorités néerlandaises. Nous verrons ce que dira la Cour de cassation. Je n'ai jamais dit que je ne tiendrais aucun compte de sa décision ; j'ai simplement dit que nous appartenons à un ordre juridique différent, de sorte que nous ne pouvons être jugés à l'aune des lois néerlandaises ni à celles de quelque autre État membre. Si je devais appliquer des lois différentes à La Haye et à Munich, ce serait la négation même de l'organisation internationale. Un seul exemple : le droit de grève, dont vous parliez, n'est pas reconnu aux fonctionnaires en Allemagne ; mais l'OEB, qui a son siège en Allemagne, le garantit à ses agents. Cette mise en cause est donc, je le répète, une erreur de la part des magistrats concernés, une erreur juridique.

Vous demandez un audit social indépendant ; j'ai indiqué dans ma présentation qu'il est en cours : vous avez donc satisfaction sur ce point. Il est réalisé par des experts reconnus au niveau mondial et parfaitement indépendants de l'OEB.

En ce qui concerne les licenciements, il convient là encore d'être prudent et d'éviter tout amalgame entre le dialogue social, d'une part, et le comportement de certains individus, d'autre part. Nous avons des règles qui doivent être respectées par chacun, quel que soit son statut.

En l'occurrence, puisque vous abordez ce sujet, nous avons à faire face à la situation suivante : des représentants élus du personnel ont été conduits à démissionner six mois après leur élection, à la suite de harcèlement, de menaces, de tentatives de diffamation et de chantage. Ces personnels ont porté plainte. Il est de mon devoir de m'assurer que leur plainte est entendue, fait l'objet d'une enquête, puis que, selon les faits avérés, nos procédures disciplinaires sont appliquées – je précise que la composition de notre comité disciplinaire est paritaire. Je signale pour votre parfaite information que les faits qui ont justifié ces licenciements font l'objet d'une procédure au pénal ouverte en Allemagne, car ils sont de nature criminelle. Je tiens à votre disposition plusieurs éléments factuels à ce sujet, tels que l'emploi de symboles et de mots d'ordre nazis ainsi que d'injures visant des personnels de nationalité allemande sur la base de références au nazisme.

Il me semble très problématique, quand on n'a pas tous les éléments, de porter un jugement péremptoire en parlant de licenciements abusifs. La seule autorité, dans notre système, qui pourra juger du caractère abusif ou non de ces licenciements est le tribunal administratif de l'Organisation internationale du travail, qui sera probablement saisi. Notre système a ses propres règles, qui valent certainement celles de bien d'autres systèmes, avec une autorité judiciaire indépendante qui a le dernier mot en la matière. Naturellement, nous respecterons sa décision.

Mon problème, ce sont les comportements inacceptables qui portent atteinte au bon fonctionnement de l'Office et aux personnels qui en sont victimes. L'un d'entre eux est en arrêt maladie depuis plusieurs mois à cause des pressions qu'il a subies. On ne peut pas considérer que, sous prétexte qu'un agent est investi d'un mandat syndical, il peut agir en toute impunité et en toute immunité.

Quant à l'idée que les pressions sociales entraîneraient une baisse de la qualité, c'est une vieille rengaine que les résultats démentent année après année. Je vous mets au défi de démontrer que la qualité a baissé à l'Office. Au contraire, elle a augmenté ; des critères objectifs, indépendants, externes en attestent chaque année, à la grande satisfaction de la grande majorité des agents de l'OEB.

En ce qui concerne la brevetabilité du vivant et la question des plantes, la décision à laquelle vous faites référence, monsieur, a été prise par la Grande Chambre de recours de l'OEB, structure de nature quasi judiciaire sur laquelle, en tant que président, je n'ai strictement aucune influence. Cette entité se prononce en toute indépendance, sans aucune intervention de l'Office. La règle que nous observons à l'Office est le respect de la directive biotechnologie, y compris selon les interprétations qui en sont données par la Cour de justice européenne. C'est le seul domaine dans lequel nous avons intégré à notre corpus juridique des règles d'origine communautaire. Si la directive biotechnologie change, si les lois changent, nous appliquerons ces changements sans aucun état d'âme. S'agissant des cas particuliers, si la Grande Chambre de recours de l'OEB a fait une erreur, ce sera aux juridictions compétentes de le dire. Pour ma part, je suis totalement désarmé face à semblable décision, même je peux très bien comprendre l'émotion qu'elle a suscitée.

Ancien directeur général de l'INPI, je suis très sensible à la question des semences. Nous venons de signer un accord de coopération avec l'agence communautaire d'obtention végétale, précisément pour garantir notre bonne compréhension réciproque. Ne croyez pas que notre but soit d'avoir une interprétation laxiste des règles ; au contraire, le domaine des biotechnologies au sens large est celui où le taux de délivrance, c'est-à-dire le rapport entre le nombre de brevets délivrés et le nombre de demandes, est le plus faible – moins de 25 %, contre 50 % en moyenne dans l'ensemble des domaines technologiques.

J'en viens à la question de la répartition des brevets par secteur. Elle apparaît dans les résultats que nous publions chaque année sur notre site ; pour 2015, ils seront disponibles demain : les voici en avant-première. Les domaines dans lesquels nous enregistrons le plus de demandes sont les suivants : d'abord les technologies médicales ; puis les nouvelles technologies de l'information ; les équipements électriques ; l'énergie – où l'on trouve beaucoup de technologies vertes ou dites propres ; les transports – dont l'industrie automobile, l'aéronautique, l'espace, le ferroviaire ; la chimie organique ; les moteurs, pompes et turbines ; les techniques de mesure ; enfin, les biotechnologies et l'industrie pharmaceutique. On retrouve ces domaines chaque année, moyennant quelques modifications dans l'ordre de classement.

Vous me dites, monsieur, que l'OEB manque de notoriété ; je suis bien d'accord. Il est difficile de parler des brevets ; c'est un sujet qui ne fait pas la une des journaux et que les médias ont du mal à traiter, car il est complexe et semble très technique. Voilà pourquoi nous avons créé le Prix de l'inventeur européen ; décerné tous les ans en juin, il distingue des entreprises et des inventeurs que nous présentons par l'intermédiaire de films et d'événements, afin de montrer que derrière l'idée de brevet, d'innovation ou de compétitivité, il y a des hommes et des femmes qui ont fait des choses extraordinaires. L'édition 2015 a eu lieu à Paris ; cette année, elle sera organisée à Lisbonne. La notoriété de l'événement progresse. Mais ce problème se pose à tous les offices de brevets. Je suis tout à fait preneur de votre aide et de votre soutien en vue de faire mieux connaître l'OEB et son rôle central.

En ce qui concerne l'INPI, que j'ai dirigé pendant six ans, la question posée est l'articulation entre l'OEB, spécialisé dans la délivrance des brevets, et l'office national, dont le rôle est plus large puisqu'il s'occupe des brevets mais aussi des marques, dessins et modèles, de la lutte contre la contrefaçon, etc. Le brevet unitaire me semble pouvoir mettre en question, à long terme, l'existence des offices nationaux – du fait non de l'OEB, mais d'une décision prise par l'Union européenne. Cela peut donner à réfléchir.

S'agissant du brevet unitaire, précisément, le système fonctionne même si l'Espagne n'y adhère pas, puisque le cadre est celui de la coopération renforcée – pour l'instant à 26. Je me réjouis comme vous, madame, que l'Italie nous ait rejoints et qu'elle se montre très active en la matière. Mon sentiment personnel – il n'engage que moi – est que l'Espagne suivra le même chemin, car le fait de ne pouvoir bénéficier du brevet unitaire serait un handicap pour les entreprises espagnoles ; mais pas tout de suite, car le problème de la langue est fondamental. L'enjeu est politique : ce serait la première fois que l'Espagne accepterait un traitement différencié au sein de l'Union européenne.

Le système automatique de traduction a certainement facilité l'accord, car il offre un accès facile et gratuit à une masse d'informations dont les coûts de traduction auraient été exorbitants et auraient mis le brevet unitaire hors de portée.

En ce qui concerne l'écart de coût, tout dépend de la manière dont on le calcule. La baisse de 75 % ne tient compte que des annuités de redevance ; si vous intégrez les coûts administratifs et financiers liés à la gestion de 26 procédures nationales, vous arrivez aux 87 % qu'établissait votre rapport.

Nous ne sommes pas en période transitoire : nous voulons laisser à chaque titulaire de brevet le choix entre la voie nationale, la voie classique du brevet européen et la voie unitaire. Des combinaisons sont d'ailleurs possibles : on peut demander une protection unitaire et, pour faire valider son brevet dans des pays que celle-ci ne couvre pas, comme l'Espagne ou la Suisse, utiliser en complément la procédure classique du brevet européen. Il a été convenu que, au bout de cinq ans de mise en oeuvre, nous ferions le point sur le succès du brevet unitaire, sur le nombre et le type d'entreprises qui y ont eu recours, et procéderions alors à un ajustement.

S'agissant de la cour unifiée des brevets, il a été décidé qu'elle siégerait à Paris et cette décision n'est pas remise en cause. Vous me prêtez beaucoup d'influence, madame, en imaginant que ma mauvaise gestion supposée pourrait entraîner une telle perte pour la France ! Je me réjouis personnellement de ce choix pour lequel je me battais depuis quinze ans.

Ce sont les États membres, et non l'OEB, qui sont compétents pour tout ce qui concerne cette cour. Nous respectons la séparation des pouvoirs et n'apportons notre expertise que lorsqu'on nous le demande ; ainsi dans la formation des futurs juges, un domaine dans lequel nous bénéficions d'une longue expérience, notamment grâce aux membres de nos chambres de recours. Mais je ne suis pas inquiet à propos de la qualité des juges : pour une cinquantaine de recrutements à temps partiel – car les cas à traiter ne seront pas très nombreux au début –, il y a eu plus de 1 200 candidatures !

À propos de la ratification, vous savez mieux que moi que le processus parlementaire est toujours un peu long – d'autant que, dans plusieurs pays, il faut modifier en parallèle la loi nationale pour la rendre conforme aux dispositions relatives au brevet unitaire. Deux à trois ans pour finaliser une quinzaine de ratifications, cela me paraît donc tout à fait normal. Certains pays ont été plus rapides que d'autres, dont la France, et je m'en félicite. La Slovénie, la Hongrie, les Pays-Bas, l'Italie sont « dans le pipe », très proches du processus final. Nous devrions donc arriver sans problème aux treize pays requis. Nous aurons l'Allemagne à la fin de l'année, probablement.

La question du Brexit excède mes compétences. Si d'aventure le Royaume-Uni devait quitter l'Union européenne, il sortirait également du brevet unitaire ; mais celui-ci perdurerait, non plus à 26, mais à 25. Un point plus problématique serait la localisation à Londres d'une section décentralisée de la juridiction de première instance. Cet aspect devrait sans doute faire l'objet d'un accord.

L'accord ne peut entrer en vigueur que si treize pays le ratifient dont la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni, mais le texte ne désigne pas nommément ces États, faisant simplement référence aux trois pays qui valident le plus de brevets. Si le Royaume-Uni ne pouvait plus être pris en compte, il serait remplacé par l'Italie, qui le suit sur la liste. J'ai cru comprendre que l'Italie a déjà fait savoir qu'elle verrait d'un bon oeil la cour s'installer à Milan si elle devait quitter Londres.

Je ne pense donc pas que cette éventualité aura un effet sur la mise en oeuvre du brevet unitaire, même si elle ne pourra qu'entraîner des conséquences plus générales sur le marché unique et l'ensemble des dispositifs associés.

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