Intervention de Stéphane Mayer

Réunion du 2 mars 2016 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Stéphane Mayer, président-directeur général de Nexter Systems :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je tiens tout d'abord à vous remercier pour l'intérêt que vous portez à la défense terrestre et à son industrie. Certains disent que celle-ci n'est pas prioritaire par rapport à d'autres industries de défense. Pourtant, elle est hautement stratégique à plusieurs égards – et chaque jour passé depuis ma prise de fonctions à la mi-décembre m'en convainc davantage.

Elle est stratégique car une guerre ou une lutte antiterroriste se gagne aussi au sol, à travers des combats rapprochés. Ce qui a pu se passer récemment sur certains théâtres d'opérations extérieures le montre.

Elle est stratégique car il s'agit d'une industrie innovante, de haute technologie, qui concentre beaucoup d'investissements dans le domaine de la recherche et développement. Je pense aux systèmes embarqués électroniques de conduite de véhicules, de conduite de tirs et de communication. Nexter Systems est dotée d'outils de conception et de simulation, qui permettent d'élaborer des produits toujours plus adaptés aux besoins d'utilisateurs de haut niveau. Par ailleurs, notre entreprise a une importante activité de recherche et d'innovation dans le domaine du blindage et de la protection de nos soldats, sans oublier celui des munitions intelligentes que nous voulons toujours plus précises et efficaces.

Nexter Systems, implantée dans divers territoires, avec dix sites en France et trois à l'étranger, regroupe 3 500 personnes, sans compter les sous-traitants, coopérants et équipementiers.

Héritière de savoir-faire de défense terrestre forgés au XVIIIe siècle dans les arsenaux, Nexter Systems est issue d'une profonde et douloureuse restructuration de GIAT Industries : depuis sa création en 2006, elle est devenue une société rentable tout en consentant d'importants efforts en matière de recherche, de développement et de prospection commerciale.

Elle détient l'ensemble des savoir-faire clefs de la filière de la défense terrestre en France. Elle est la seule société industrielle française à avoir la capacité d'intégration de sous-systèmes et d'éléments liés aux blindés de combat terrestre, tant au niveau de la conception que de la fabrication. De plus, elle maîtrise les sous-ensembles qui constituent ce système de combat : les caisses et leur blindage, particulièrement nécessaires à la protection des soldats, les systèmes d'armes complets – armements, tourelles, canons, munitions – et les sous-systèmes électroniques embarqués servant à la conduite des véhicules, à la communication sur le champ de bataille et, bien entendu, au combat.

Mon intervention s'articulera autour de deux axes principaux : dans un premier temps, je ferai un point sur le rapprochement entre Nexter Systems et KMW, sur lequel vous aviez entendu mon prédécesseur, Philippe Burtin, et mon homologue, Frank Haun, il y a un peu plus d'un an ; je vous présenterai ensuite la situation générale du groupe en ce début d'année 2016, en mettant plus particulièrement l'accent sur nos activités en France et nos projets à l'export.

S'agissant du rapprochement avec KMW, il faut distinguer deux périodes : avant et après la signature des accords du 29 juillet 2015 en présence du ministre de la Défense.

Jusqu'à la fin du mois de juillet, les négociations ont avancé pour établir la parité entre les deux actionnaires, les détails de la future gouvernance, le choix du siège – qui s'est finalement porté sur Amsterdam, dans un pays européen qui n'est ni l'Allemagne ni la France et qui présente l'avantage d'une certaine neutralité fiscale.

Après la signature des accords, la deuxième période, qui a duré jusqu'au 15 décembre, a été marquée par la levée des conditions suspensives et des autorisations nécessaires en France, en Allemagne mais aussi aux États-Unis où KMW possède une filiale, par la préparation du décret de mise en place d'une action spécifique de l'État français au capital de Nexter Systems et d'un autre décret autorisant le transfert au secteur privé de la majorité du capital du groupe public.

Le 15 décembre, l'alliance a été finalisée au moyen du transfert des actions détenues par GIAT Industries dans Nexter Systems et de celles détenues par la famille Bode-Wegmann dans la société opérationnelle KMW pour former une nouvelle société, Honosthor – nom provisoire appelé à être modifié au profit d'une dénomination plus commerciale. L'État français et la famille Bode-Wegmann détiennent chacun 50 % de cette société commune, holding de droit hollandais, qui se voit conférer un rôle de stratégie, de pilotage à moyen terme et de contrôle des activités opérationnelles.

Le 15 décembre ont été également mis en place les organes de gouvernance du groupe : un conseil de surveillance et un directoire.

Au conseil de surveillance siègent quatre représentants des actionnaires : Jean-Séverin Deckers de l'Agence des participations de l'État (APE) et Bertrand Le Meur, de la DGA pour la France ; Manfred Bode représentant de la famille Bode-Wegmann, et Axel Arendt, ancien d'EADS, pour l'Allemagne. En outre, cette instance est composée de trois personnalités indépendantes : Christian Jourquin, ancien président du groupe Solvay, de nationalité belge, qui préside le conseil de surveillance ; Antoine Bouvier, président de MBDA Missile Systems, société de défense terrestre qui a commencé une intégration européenne il y a bon nombre d'années – il détient donc une expertise remarquable dans les sujets qui nous occupent aujourd'hui ; Utz-Hellmuth Felcht, ancien dirigeant d'entreprises du secteur chimique qui siège également au conseil de surveillance de la Deutsche Bahn.

Le directoire se compose de deux coprésidents : Frank Haun et moi-même.

Pour anticiper certaines questions, je dirai quelques mots des circonstances qui ont entouré ma nomination, qui a fait l'objet de certains commentaires dans la presse. Mon prédécesseur, qui a beaucoup travaillé pour arriver là où nous en sommes aujourd'hui, aurait été atteint par la limite d'âge statutaire à la fin de l'année 2016 s'il était resté à ses fonctions. Le changement de statuts n'ayant pas été jugé souhaitable, il a été considéré qu'un déséquilibre aurait pu intervenir au moment de son départ. C'est pourquoi, dans le but d'assurer la stabilité de la gouvernance des deux coprésidents, il a été choisi de nommer une personne plus jeune : je ne serai pas atteint par la limite d'âge dans les cinq années qui viennent, ni même dans les cinq suivantes au cas où une prolongation devait être décidée.

Je salue le travail remarquable de mon prédécesseur et de ses équipes, qui a permis de parvenir à la création de ce nouveau leader européen de la défense terrestre. Je suis très honoré d'avoir été nommé à ces fonctions, très intéressé par cette prise de relais et très motivé par la réalisation de cette construction.

J'en viens aux prochaines étapes du rapprochement. Peu de détails avaient été abordés avant le 15 décembre, jour de la création de la nouvelle entité, dans la mesure où les sociétés étaient encore séparées, potentiellement concurrentes pour certains marchés et tenues par divers accords de confidentialité noués avec des partenaires et des clients. Depuis, les équipes travaillent ensemble. Une première réunion des équipes de direction des deux sociétés s'est tenue au mois de janvier et le conseil de surveillance s'est réuni au début du mois de février. Nous avons alors défini plus précisément les objectifs stratégiques du rapprochement. L'objectif majeur est de devenir un leader de l'Europe de la défense terrestre : il s'agira à terme de proposer des produits communs répondant aux besoins opérationnels de l'armée de terre française et de la Bundeswehr mais aussi, par un effet d'entraînement, aux besoins des autres armées européennes. Nous entendons permettre une convergence pour les utilisateurs engagés au même moment, au même endroit, sur les mêmes opérations, convergence en matière tant de produits que de services, de support et de flux logistiques de rechange dans la mesure où les véhicules seront unifiés. Nous prévoyons également de proposer à nos clients des systèmes plus compétitifs, bénéficiant de l'effet de taille et de volume des deux grandes armées européennes que sont celles de la France et de l'Allemagne. Un marché bi-domestique plus important permettrait de mieux amortir les frais de développement et de proposer des produits plus compétitifs à l'Allemagne et à la France mais aussi à l'export.

Ces futures étapes présupposent que deux conditions soient remplies.

Premièrement, il faut parvenir à une expression commune des besoins par les deux États : nous visons un véhicule sinon identique pour les deux armées du moins ne comportant que des différences minimales.

Deuxièmement, dans le cadre d'un schéma de conception et de production réparti entre les deux pays, il faut une convergence des règles et des lois en matière de contrôle des exportations afin de maximiser le nombre de pays cibles et d'optimiser l'objectif de compétitivité.

Être un leader signifie aussi avoir la capacité d'attirer des acteurs de la défense terrestre d'autres pays européens pour former un pôle, à l'image de MBDA, qui s'est constitué grâce à des alliances successives, d'abord entre la France et l'Angleterre, puis avec l'Italie et l'Allemagne.

Cet objectif européen n'est pas incompatible, bien au contraire, avec les objectifs de Nexter Systems : servir les besoins stratégiques de la France en matière de défense terrestre aussi bien en termes de produits que de services – maintien en condition opérationnelle, rechanges –, et préserver les compétences françaises et la base industrielle technologique de défense de notre pays ; exporter pour contribuer à l'équilibre et à la compétitivité de nos programmes.

Rappelons que cette opération n'a pas été pensée comme une fusion : nous disposons de temps pour mettre progressivement en place l'organisation d'un groupe capable de proposer un produit commun, qui suppose une convergence des méthodes de développement, de gestion de projet, de production et de contrôle de qualité. Cette échéance se situerait en effet à l'horizon 2030.

Ce processus de convergence a été initié à travers plusieurs chantiers menés par l'ensemble des équipes de direction, qu'il s'agisse du commerce, de la communication, de l'image, de la gestion financière, de la politique des produits, des méthodes, de nos compétences en ingénierie et en production, des achats – nous pouvons tirer parti des volumes pour obtenir de meilleures conditions auprès de nos fournisseurs.

Ces travaux sont suivis par les deux coprésidents et par le conseil de surveillance. Plusieurs axes de synergies ont été identifiés. Il pourra s'agir en matière de revenus, de proposer que les véhicules de KMW utilisent les canons, armes et munitions du groupe Nexter ; de tirer parti d'une bonne présence chez un client de l'un des deux acteurs pour permettre à l'autre de proposer des produits complémentaires ; de mettre en commun certains programmes de recherche et développement afin de ne pas dupliquer les coûts ; de mettre en cohérence les achats.

Nous ne nous situons pas dans une démarche de restructuration et de suppression de sites, de postes ou de compétences. Les deux sociétés sont rentables et nous avons suffisamment de temps devant nous afin de construire ensemble ce projet commun pour ne pas avoir à nous focaliser sur des baisses de coût immédiates, rapides et douloureuses.

Ce rapprochement constituera une force de proposition au service d'un projet ambitieux de construction d'une défense terrestre à l'échelon européen. Les deux groupes s'appuient sur une vision partagée à long terme et se nourrissent du dialogue, entre les ministères de la Défense français et allemands.

J'en viens à mon deuxième axe : les activités du groupe Nexter.

Les chiffres n'ont pas été officiellement arrêtés mais je suis en mesure de vous dire que notre carnet de commandes à la fin de l'année 2015, si l'on inclut les tranches conditionnelles qui s'élèvent à trois milliards d'euros, se monte à un peu plus de 5 milliards d'euros, ce qui représente environ cinq années d'activité, compte tenu de notre chiffre d'affaires actuel.

Avec plus de 1 600 Griffon, 248 Jaguar et 200 chars Leclerc à rénover, le programme Scorpion représente à lui seul près de la moitié de notre carnet de commandes. La confirmation des tranches conditionnelles est donc fondamentale pour Nexter, mais aussi pour l'armée de terre elle-même qui a besoin de renouveler ses matériels dont certains sont vieux de quarante ans.

Les prises de commandes pour l'année 2015 représentent un milliard d'euros, soit le montant de notre chiffre d'affaires. Elles ont porté principalement sur le programme Scorpion pour ce qui est de la France et, s'agissant de l'export, sur des contrats avec le Royaume Uni – vente de canons de 40 millimètres de notre alliance avec British Aerospace pour une centaine de millions d'euros –, sur la vente de munitions, qui constitue une activité dynamique avec 300 millions d'euros de prises de commandes, et sur la vente de véhicules blindés Aravis au Gabon.

Le chiffre d'affaires pour 2015 est légèrement supérieur à celui de 2014 : 1,07 milliard contre 1,04 milliard d'euros. La rentabilité et la structure financière sont satisfaisantes après que d'importantes sommes ont été consacrées à la recherche et développement et aux investissements commerciaux.

Le patrimoine de cette société en termes de compétences humaines, de produits et de technologies est extrêmement positif. Depuis ma prise de fonctions, je me rends compte par de nombreux échanges avec les clients que Nexter Systems est une entreprise extrêmement réputée pour ses produits d'excellente qualité, en particulier le véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI), beaucoup utilisé dans les opérations extérieures, et le char Leclerc, jugé par certains comme le meilleur char du monde, même s'il n'a pas rencontré à l'exportation le succès que l'on pouvait espérer.

Je m'attarderai plus particulièrement sur nos activités en France. En tant que systémier-intégrateur, nous avons vocation à être placés au coeur du programme Scorpion, structurant pour l'armée de terre. Pour le mener à bien, nous sommes intégrés dans un groupement momentané d'entreprises aux côtés de Renault Trucks Defense pour la partie relevant de la base roulante et de Thales pour les systèmes de communication et de combat des véhicules Griffon et Jaguar. En outre, nous sommes autorité de conception pour le Jaguar, véhicule de combat au centre de nos compétences principales.

Ce programme connaît quelques difficultés qui n'ont rien que de très normal pour un programme de cette ambition et de cette ampleur. Elles ne remettent pas en cause le calendrier fixé. Simplement, nous nous occupons avec nos coopérants de mettre en place tous les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs. Soit dit en passant, ce partenariat avec Renault Trucks et Thales comme l'ensemble des partenariats de Nexter ne sont absolument pas modifiés par notre alliance avec KMW ; de la même façon, KMW poursuit son partenariat avec Rheinmetall, même si nous espérons pouvoir remplacer à terme cette entreprise pour certaines fournitures.

S'agissant des services, j'évoquerai les contrats liés au maintien en condition opérationnelle que nous conduisons avec la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres des armées et services (SIMMT). Nous nous situons en premier rang pour le char Leclerc, pour le canon CAESAR, le VBCI, et nous sommes en discussion pour une extension aux AMX 10 RC, véhicule blindé prédécesseur du Jaguar. Il est intéressant de noter que la disponibilité opérationnelle des véhicules dont nous sommes responsables du MCO par contrat est jugée bonne à 80 %. Aucune dérive de coût n'est à déplorer. Nous avons une démarche proactive à l'égard de la SIMMT et lui faisons des propositions pour réduire le coût de maintenance des parcs grâce à des interactions régulières avec les utilisateurs.

Par ailleurs, nous nous sommes engagés à livrer toute pièce de rechange moins de cinq jours après sa commande. Là encore, nous tenons nos objectifs : le taux de performance pour nos clients atteint 90 % sur le territoire français et 95 % en opérations extérieures.

J'en viens au pôle munitions, que vous connaissez bien après le récent rapport sur la filière munitionnaire française de MM. Nicolas Bays et Nicolas Dhuicq. Avec l'acquisition en 2014 de la société belge Mecar et de la société italienne Simmel, Nexter Systems est devenue un acteur majeur dans le domaine des munitions : nous nous situons désormais au troisième rang à l'échelle européenne, derrière Rheinmetall en Allemagne, et Nammo en Norvège. Nous offrons une gamme complète de munitions de moyen calibre – allant de 20 millimètres à 40 millimètres – et de gros calibre – jusqu'à 155 millimètres. Dans cette activité, nous bénéficions d'une bonne dynamique à l'export, avec de nombreuses prises de commandes. Il est important de maintenir les contrats pluriannuels qui permettent de jouir d'une bonne visibilité sur l'outil industriel et sur la charge de travail pour les années à venir, en complément de l'export.

Enfin, nous commençons à développer des produits destinés à la sécurité intérieure. Nous avons prêté un véhicule blindé Titus au RAID pour la COP21 et nous menons actuellement des discussions avec les forces de police françaises pour savoir en quoi nos véhicules pourraient les aider dans leurs missions.

Second aspect de nos activités : l'export. Nous sommes toujours aussi actifs en ce domaine malgré des résultats qui ont été décevants pour beaucoup d'observateurs, y compris au sein même de l'entreprise. Nous répondons à de nombreux appels d'offres et investissons beaucoup pour les démonstrations et les réalisations de prototypes. Nexter Systems est dotée d'une équipe commerciale étoffée et n'hésite pas à ouvrir des bureaux commerciaux à l'étranger selon les opportunités qu'offrent les marchés. Nous bénéficions d'un bon support étatique : ministère de la Défense, Direction générale de l'armement, état-major des armées, armée de terre. On peut toutefois observer que les contrats en matière de défense terrestre, sans doute moins visibles, apparaissent moins prioritaires que certains contrats d'exportation dans le domaine aéronautique ou naval. Certes, les enjeux ne sont pas les mêmes, mais les besoins d'appui sont tout aussi nécessaires pour ce qui est des relations intergouvernementales quand il s'agit de vendre des matériels terrestres stratégiques à des pays étrangers.

J'ai été invité à participer à la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre la semaine prochaine : ce sera pour moi l'occasion d'exposer à la plupart des acteurs que j'ai cités nos principaux projets et nos principales demandes d'aide et de soutien.

De multiples opportunités s'offrent au groupe actuellement.

En Asie, nous sommes très occupés en Inde par deux contrats. Le premier, qui pourrait être le contrat du siècle en matière d'artillerie porterait sur une commande de 1 400 canons de 155 millimètres tractés, pour lequel nous proposons le Trajan. Il s'élèverait à un milliard d'euros, soit un montant jamais atteint dans le domaine de l'artillerie. Nous faisons partie des deux derniers candidats avant la décision finale. Le deuxième contrat porterait sur 800 canons montés sur camion, pour lequel nous proposons le CAESAR. À titre de comparaison, je précise que la France n'a que 77 CAESAR.

Le Moyen-Orient est toujours une zone consommatrice de matériels de défense.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion