Intervention de Olivier Schrameck

Réunion du 23 janvier 2013 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Olivier Schrameck :

Je suis honoré d'être entendu par votre Commission et de me soumettre à vos suffrages dans la perspective de l'importante responsabilité que le président de la République propose de me confier.

Je souhaite dans un premier temps me présenter à vous, ce qui me conduira à vous dire pourquoi je crois pouvoir répondre aux exigences de cette responsabilité. Puis, je vous dirai comment je perçois certains enjeux auxquels le Conseil supérieur de l'audiovisuel et donc son président devront répondre.

Mon parcours professionnel me semble avoir été marqué à la fois par la continuité et par la volonté de mobilité. La continuité s'exprime par le service de l'État quelles que soient les fonctions de conseil, de juge, de direction ou de représentation que j'ai exercées. La mobilité m'a conduit à me familiariser successivement avec des secteurs nouveaux : l'intérieur et la décentralisation, l'éducation nationale, la jeunesse et les sports, l'intégration, l'action culturelle extérieure ou la direction interministérielle des services de l'État à l'échelon national ou dans le cadre d'une ambassade.

Je suis un citoyen très attaché à la vie publique qui a été conduit, comme beaucoup d'autres fonctionnaires, à s'engager dans des fonctions de cabinet. Après les avoir exercées, je suis toujours rentré - quatre fois - dans mon corps d'origine, pour retrouver des fonctions de rapporteur. En effet, je suis d'abord, comme membre du Conseil d'État, un juge, un conseil des gouvernements quels qu'ils soient. J'ai été aussi un enseignant, chaque fois que la disponibilité m'en a été laissée et encore aujourd'hui.

Dans toutes mes fonctions, je me suis naturellement attaché à l'échange, à la délibération collective, à l'animation d'équipes diverses, à la recherche commune d'une position juste et respectueuse de la diversité des points de vue. J'ai toujours eu conscience qu'il est exceptionnel d'avoir raison seul et qu'il n'est de perspective assurée que concertée, discutée et comparée.

J'ai exercé des fonctions qui exigeaient la neutralité la plus grande, que ce soit celle de juge bien sûr, de secrétaire général du Conseil constitutionnel, d'ambassadeur ou encore de président des jurys de l'École nationale d'administration (ENA).

J'ai eu l'honneur d'être membre des commissions chargées de réfléchir sur l'évolution de nos institutions et de notre vie publique, qu'il s'agisse de celle, présidée par M. Édouard Balladur, d'où est issu l'article 13, alinéa 5 de la Constitution, au titre duquel je suis auditionné par vous ce matin, ou, plus récemment, de celle présidée par M. Lionel Jospin. J'ai été nommé ambassadeur par le président Jacques Chirac et président de section au Conseil d'État par le président Nicolas Sarkozy. Je me présente devant vous après avoir été désigné par le président François Hollande.

D'une fonction à l'autre, j'ai considéré comme essentiels l'indépendance et l'impartialité – que je ne confonds pas, car on peut être indépendant sans être impartial – ainsi que, bien entendu, le pluralisme renforcé et garanti par la collégialité.

Dans l'exercice de mes fonctions, j'ai dirigé en qualité de secrétaire général du Conseil constitutionnel l'instruction de diverses décisions concernant le Conseil supérieur de l'audiovisuel et, par-delà, le secteur audiovisuel. La première et la plus importante, sans doute, fut celle du 21 janvier 1994, relative à la garantie du pluralisme et de la liberté des médias de communication audiovisuelle, qui a énoncé les normes de constitutionnalité applicables en la matière. Il y en a eu beaucoup d'autres : une précisant le rôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel en matière de sauvegarde et de promotion de la langue française ; une autre qui circonscrit le cadre pénal de l'action du Conseil ; une autre, encore, relative à l'application au secteur voisin des télécommunications des exigences constitutionnelles du service public.

En qualité de directeur de cabinet du Premier ministre pendant cinq années, j'ai été, en 1997, le premier à désigner, au sein de l'équipe qui se constituait, un conseiller chargé de la société de l'information, ce qui me paraissait une priorité essentielle. J'ai travaillé, à ce titre, au Programme d'action gouvernementale pour l'entrée de la France dans la société de l'information – le Pagsi.

J'ai également contribué à la préparation de la loi du 1er août 2000 sur l'audiovisuel, qui a énoncé les grands principes du service public de la communication audiovisuelle et restructuré le secteur public de l'audiovisuel par la création de la société France Télévisions et de la société ARTE-France. Cette loi a engagé la mise en oeuvre du numérique hertzien et ouvert un cadre juridique aux télévisions locales. Elle a renforcé les responsabilités du CSA en matière de protection des jeunes publics et assuré la garantie d'une diffusion en clair des événements d'importance majeure.

Le plus important à mes yeux aura été, durant ces années-là comme auparavant et par la suite, le respect constant de la liberté et de l'indépendance des médias. Pas une fois en cinq ans je ne suis intervenu, que ce soit pour répondre à une critique, suggérer une position ou relayer une intervention. Si je n'étais pas resté fidèle à cette attitude quelles que soient les vicissitudes de la vie publique, je ne serais pas aujourd'hui présent devant vous.

J'ai bien sûr traité à d'autres égards de problèmes liés à l'audiovisuel, notamment au Conseil d'État à titre consultatif, comme rapporteur de l'avis sur le passage de la télévision analogique à la télévision numérique, ou bien au contentieux, encore tout récemment, dans une affaire importante qui a concerné un grand groupe de l'audiovisuel.

Tout dernièrement encore, dans le cadre de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, j'ai contribué aux préconisations relatives à la prévention des conflits d'intérêts pouvant concerner les autorités indépendantes ainsi qu'aux adaptations du rôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel en qualité de garant du pluralisme politique avant des échéances électorales majeures.

De manière générale, j'ai toujours été persuadé que les problèmes de l'audiovisuel étaient déterminants pour notre avenir collectif. C'est dans cet état d'esprit que je souhaite vous dire comment je conçois personnellement le rôle du CSA et certains de ses enjeux, dans le respect attentif de la collégialité que j'aurai à animer.

Quelles sont à mes yeux les priorités du Conseil supérieur de l'audiovisuel ?

Il y a en premier lieu, encore et toujours, les principes et les missions qu'il a pour fonction, en vertu de la loi, de faire respecter et d'assurer. Je n'en négligerai aucun, mais je voudrais insister sur quelques-uns.

Les programmes audiovisuels peuvent contribuer plus encore qu'aujourd'hui, à l'instar de La Chaîne parlementaire, à l'éducation citoyenne, tout particulièrement des jeunes. Je suis préoccupé par la perte de repères concernant notre histoire, qui façonne notre nation, et soucieux de l'impératif de la laïcité comme de la compréhension de nos institutions et de nos devoirs civiques. S'agissant de la jeunesse, je suis très attaché à sa protection, conscient que la transmission audiovisuelle des contenus d'internet et des services à la demande peuvent la menacer.

Je suis aussi très attaché au respect et à la reconnaissance de nos diversités, afin que puissent être surmontés les préventions et les handicaps de toute nature. Il s'agit d'un objectif commun primordial plus que d'une thématique particulière.

En deuxième lieu, je crois que le CSA est appelé à se saisir plus directement et complètement encore des enjeux économiques de ses activités. La bonne gestion du spectre audiovisuel doit être conçue comme un objectif essentiel, dans le respect de la liberté de communication, à la lumière de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986. Je serai très attaché à la nécessité pour notre pays de promouvoir des industries culturelles puissantes et influentes dont la capacité d'exportation serait croissante. La compétitivité ne s'arrête pas à l'exception culturelle.

Mesurant à quel point l'administration du Conseil supérieur de l'audiovisuel est appréciée pour sa grande qualité, je veillerai à l'amélioration constante de son potentiel économique.

Plus généralement, j'ai toujours préconisé que les décisions publiques importantes soient précédées de l'étude transparente de leurs possibles incidences, ce qu'on appelle aujourd'hui les études d'impact.

Je porterai une attention soutenue à la coopération européenne et internationale, notamment dans la sphère de la francophonie. L'expérience de notre pays en matière de régulation de l'audiovisuel est un savoir-faire précieux qui, largement diffusé, peut contribuer à notre influence.

Il est certaines questions sur lesquelles vous souhaiterez sans doute avoir d'emblée mon point de vue. Je l'exprimerai dans le respect des décisions qui appartiennent aux pouvoirs publics et tout particulièrement au législateur que vous êtes.

S'agissant des relations avec l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), je ne crois pas qu'il soit bon de séparer les problématiques économiques et techniques d'une part, culturelles et sociétales de l'autre. Je pense que la coopération a vocation à se renforcer grandement. S'il était décidé d'aller au-delà, mon expérience me conduirait à veiller tout particulièrement aux coûts parfois inattendus et aux lourdeurs souvent inévitables de changements structurels profonds. Je veillerai aussi à développer les relations déjà substantielles avec l'Autorité de la concurrence et celles, plus ténues, avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), alors que se renforce la perspective inquiétante du profilage des téléspectateurs, sur la base des choix individuels de programmes.

De manière générale, j'ai conscience que nous évoluons vers de nouvelles formes de régulation à l'heure où, non seulement, le téléspectateur se fait internaute par l'usage croissant de la télévision connectée, mais où, pour sa part, l'internaute est déjà téléspectateur au moyen d'offres de services multiples. Il faut en particulier approfondir la réflexion sur la co-régulation. Celle-ci permet d'introduire un encadrement juridique protecteur sur la base de l'initiative même des intéressés, dans un contexte international et européen déterminant.

Je serai très attentif au soutien et à la promotion des télévisions locales, sans méconnaître l'activité des stations régionales de France 3. Je suis sensible aux difficultés de toute nature, y compris de modification de numérotation, auxquelles elles peuvent ou ont pu se heurter. Il me paraît essentiel que la décentralisation vive et se développe aussi en matière audiovisuelle, partout et notamment outre-mer, là où les problèmes de diversification et de réception de l'offre de services sont particulièrement sensibles.

En ce qui concerne la radio analogique, je suis conscient des problèmes soulevés par l'existence d'un plafond d'audience déterminé dans un contexte déjà ancien – c'était en 1994. Je m'engage à présenter un rapport complet et transparent sur le sujet. Ce serait une de mes premières initiatives en matière d'étude d'impact.

S'agissant de la radio numérique, je mesure l'importance des obstacles, notamment du point de vue de la commodité et des capacités financières de l'usager, comme des contraintes financières publiques, qui rendent sa perspective plus lointaine. Il me semble que c'est aux zones moins bien desservies aujourd'hui par la radio analogique qu'il faut porter une attention privilégiée. Lutter contre la fracture numérique suppose également de combattre la fracture audiovisuelle.

Enfin, je serai très attentif aux problèmes que rencontrent nos compatriotes à l'étranger. Vous avez entendu il y a quelques mois Mme Marie-Christine Saragosse dans le cadre de la même procédure en vue de sa nomination à la présidence de la société en charge de l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF). Je m'entretiendrai prioritairement avec elle de la mise en oeuvre de ses orientations.

En conclusion très provisoire, je vous dirai à quel point je compte sur les rapports avec le Parlement, en particulier avec votre Commission, pour orienter et accompagner, tout en la contrôlant, la démarche du CSA, pour une raison de principe tout d'abord : si le CSA est une autorité indépendante, ce n'est pas une autorité souveraine et il doit, selon moi, entretenir une étroite relation avec le Parlement, que je crois indispensable à sa légitimité.

Par-delà les principes, je compte beaucoup sur l'intérêt que vous accepterez de manifester, comme vous l'avez toujours fait, à cette institution, tant en qualité de législateur que d'évaluateur.

Si vous m'accordez vos suffrages, sachez que je souhaiterai vraiment vous retrouver le plus souvent possible pour vous rendre compte et trouver dans vos délibérations une source de réflexion et d'action.

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