Intervention de Caroline Langlade

Réunion du 15 février 2016 à 15h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Caroline Langlade, vice-présidente de l'association « Life for Paris13 novembre 2015 » :

Il y a trois mois, nous avons subi le terrorisme, la barbarie et la violence aveugle. Une fois l'état de sidération passé, il a fallu nous relever et agir. Nous nous sommes alors fédérés autour de l'appel lancé par Maureen Roussel sur Facebook et avons créé l'association Life for Paris, qui regroupe des blessés, des parents de disparus, des victimes psychologiques et des aidants. Cet appel, vu deux millions de fois, a permis le regroupement de plus d'un demi-millier de personnes impliquées directement qui, par-delà le réseau social, se structurent depuis le 13 janvier dernier pour mener une action de long terme. En effet, la prise en charge et l'accompagnement des victimes exigent un travail de longue haleine. Au-delà de l'aide directe au quotidien, du soutien entre victimes et de la volonté de commémorer les disparus, notre voix, représentative et fondée sur notre expérience, doit permettre de contribuer à améliorer l'organisation et la prise en charge des victimes en cas de survenue d'un événement comparable.

En France, lorsque l'on est victime d'un accident ou d'une agression, il existe un certain nombre de dispositifs de prise en charge physique et morale, ce dont nous nous félicitons. Malheureusement, le 13 novembre 2015, ceux-ci n'ont pas suffi pour faire face au nombre considérable de victimes de ces actes de guerre. En outre, les prises en charge des victimes se sont avérées particulièrement kafkaïennes. De leur expérience, les membres de l'association Life for Paris ont constaté certains manquements.

La prise en charge des personnes non blessées physiquement a été unanimement considérée comme très insuffisante, certains individus ayant été renvoyés chez eux sans être vus ni entendus et sans conseils pour mettre en place un accompagnement. D'autres ont dû décliner leur identité à plusieurs reprises sans jamais être recontactés par la suite. Ce soir-là, aucun dispositif de soutien psychologique n'a pu être proposé massivement. Des agents de la protection civile ont été obligés d'écouter des victimes, ce qui a probablement traumatisé davantage de personnes. La grande majorité des gens emmenés en cellule de crise ont été relâchés entre quatre et six heures du matin sans consignes sur les démarches à entreprendre.

Le respect des victimes passe également par la protection de la diffusion de leur image dans les médias. Plusieurs membres de notre association se sont ainsi plaints que leur visage n'ait pas été flouté à la télévision, ce qui a ajouté à leur traumatisme.

De nombreux blessés ne furent soignés qu'après une longue attente dans certains sites. Les examens effectués par des soignants dans l'urgence ont pu donner lieu à des erreurs dommageables ; ainsi une personne a reçu une balle qui n'a pas été vue lors du premier examen.

La prise en charge des personnes décédées s'est avérée très néfaste pour les familles. En effet, l'Institut médico-légal étant débordé, des familles sont restées sans information pendant trois jours. Pourquoi ne pas imaginer le déploiement d'un mécanisme de reconnaissance par prise d'empreintes digitales au scanner ?

L'administration s'est montrée pesante, procédurière et n'a parfois pas fait preuve de la moindre empathie pour les victimes ou leurs familles. Il convient donc de replacer l'humain au coeur des dispositifs de prise en charge.

Nous souhaitons saluer le travail extraordinaire accompli ce jour-là par les forces de police, les pompiers, les personnels soignants des hôpitaux, les associations d'aide aux victimes, qui ont su écouter, aider et prendre en charge les victimes au-delà de leur propre peur et de leur propre cadre de travail, en faisant preuve d'une immense empathie pour répondre au mieux aux besoins de chacun. Il serait d'ailleurs urgent de considérer et de traiter le traumatisme chez les aidants.

Lorsque l'on est victime d'un attentat, on perd ses repères, et la moindre démarche administrative apparaît insurmontable. On est incapable de se prendre en charge, tant on a besoin de soutien, d'aide et de simplicité. La prise en charge constitue-t-elle uniquement un droit ? Ne devrait-elle pas être une obligation légale, afin que personne n'entame seul son processus de reconstruction ? Pourquoi les cellules ministérielles ne cherchent-elles pas à simplifier les démarches, en proposant un parcours de prise en charge allégé reposant sur un référencement commun à toutes les antennes pour la reconnaissance du statut de victime ? Est-ce réellement aux victimes ou à leur famille d'accomplir le travail de l'État dans l'accomplissement de ces procédures ? Est-ce aux associations de victimes et d'aide aux victimes de pallier les manques d'information, d'organisation et de suivi de la prise en charge des personnes ?

Des individus ne bénéficiant d'aucune prise en charge depuis le 13 novembre dernier rejoignent quotidiennement notre association. Ils n'ont aucune information et s'avouent découragés devant le nombre considérable de démarches à accomplir. Les membres étrangers de notre association sont abandonnés par le manque de coordination des services français entre eux et de notre administration avec celle de leur pays. Personne ne leur a dit qu'ils bénéficiaient des mêmes droits que les citoyens français victimes d'actes de terrorisme.

Communiquer dès le jour même semble impératif, car nombre d'individus ont coupé les médias après les attentats et n'ont donc pas reçu d'informations. De même, il convient de prendre en charge les victimes dès le début, afin qu'elles ne s'épuisent pas. Ainsi, la convocation à la consultation de suivi psychologique à l'Hôtel-Dieu aurait dû être donnée dès les premiers jours, alors que ce protocole n'a été mis en place qu'au bout de trois ou quatre semaines. Les victimes ayant déjà porté plainte ont donc été contraintes de refaire leur déposition.

Le 13 novembre dernier, la France n'a pas été en mesure de protéger ses citoyens et a failli à ses obligations. Pouvons-nous espérer un jour qu'elle puisse les protéger après un drame ? Pouvons-nous, en tant qu'association et usagers de ces structures publiques, avoir l'espoir d'être entendus et consultés sur le perfectionnement de la prise en charge des victimes ? Nous avons des droits, mais nous sommes conscients d'avoir aussi un devoir envers les prochaines victimes potentielles. Notre association travaille main dans la main avec d'autres organisations d'aide aux victimes afin de pallier le manque d'information sur les dispositifs mis en place et sur la prise en charge des victimes françaises, étrangères et des familles de personnes décédées.

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