Intervention de Françoise Rudetzki

Réunion du 15 février 2016 à 15h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Françoise Rudetzki :

En matière de modes de préjudice, il existe la nomenclature Dintilhac, qui porte le nom d'un membre de la Cour de cassation aujourd'hui décédé. Celui-ci avait constitué une commission, aux travaux de laquelle j'avais participé, pour faire un état des lieux des différents postes de préjudice d'indemnisation. On avait retracé l'évolution de la jurisprudence – par exemple, en matière d'accidents de la route ou d'agressions – avec les décisions des cours d'appel, et repris les travaux de la doctrine.

En cas de terrorisme, la loi parle de l'indemnisation intégrale de tous les préjudices. Cela suppose la prise en compte du taux d'invalidité, que ce soit au plan physique ou psychologique. Il y a aussi des postes de préjudice que l'on appelle « personnels », c'est-à-dire : les souffrances endurées en fonction des sévices subis par les otages, le nombre d'interventions chirurgicales, les brûlures qui sont très douloureuses, les douleurs neurologiques également très pénibles ; le préjudice d'agrément, qui fait que l'on ne peut plus exercer un loisir ou un sport ; le préjudice sexuel ; le préjudice esthétique que l'on prouve avec des photos ; et enfin un poste qui pose des difficultés d'évaluation, bien qu'il soit d'accès très facile, le préjudice économique, à propos duquel le Fonds de garantie se montre particulièrement redoutable.

Il est vrai qu'au titre du préjudice économique, des sommes très importantes peuvent être en jeu : disparition d'un chef d'entreprise, qui subvient au besoin de toute sa famille ; perte d'un ou de deux salaires ; enfants à élever, etc. Chaque situation s'examine in concreto. On ne peut pas édicter de règles ni fixer un barème, dont personne d'ailleurs ne voudrait. Il faut procéder à une évaluation avec les services fiscaux, à partir des déclarations d'impôt, des fiches de salaire. Mais pour les professions libérales, les artisans, c'est plus compliqué ; et pour les gens au chômage, davantage encore. Et comment faire, pour les femmes au foyer ? Les situations sont toutes différentes. L'évaluation variera également en fonction de la composition de la famille – et aujourd'hui, il y a beaucoup de familles recomposées, avec des enfants de lits différents.

Certes, ce sont des calculs compliqués, mais le Fonds doit se doter de davantage de moyens humains pour traiter plus rapidement les dossiers – d'autant qu'il n'a pas de problème financier pour embaucher. Je ne citerai qu'un exemple, que vous allez trouver très choquant. À ce jour, presque quatre ans après l'attentat du 19 mars 2012 devant l'école juive de Toulouse où elle a perdu son mari et deux de ses enfants, Mme Sandler n'a touché que certaines provisions et certains postes de préjudice mais rien au titre de son préjudice économique. Il y a des batailles d'évaluation, dans lesquelles je n'entrerai pas. En tout état de cause, cette situation n'est pas admissible quatre ans après les faits : cette femme a besoin d'argent pour élever son troisième enfant, qui avait dix-huit mois à l'époque ; elle doit savoir de combien elle peut disposer, où habiter et comment gérer sa vie.

Si la théorie est très bonne, on constate donc dans la pratique certains dysfonctionnements que l'on ne peut pas accepter. Je prévois les mêmes problèmes pour les victimes de Charlie, davantage encore que pour celles de l'Hypercacher. En effet, les indemnisations vont mettre en jeu les droits d'auteurs qu'auraient pu toucher les différents dessinateurs. Nous sommes partis pour une longue bataille d'évaluation, dans la mesure où les victimes étaient des travailleurs indépendants. Je pense notamment à l'évaluation du préjudice économique de Mme Maryse Wolinski, la femme de Georges Wolinski.

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