Intervention de Françoise Rudetzki

Réunion du 15 février 2016 à 15h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Françoise Rudetzki :

Sur la liste unique, la pratique actuelle, qui passe par un contrôle du Parquet, me semble être la meilleure. Le Parquet est une autorité incontestable, incontestée, et c'est à lui de réunir toutes les informations qu'il reçoit des hôpitaux, des services de secours, des services de police qui ont pu recueillir des témoignages, et de tous ceux qui ont été en contact avec les victimes et ont pu relever leur identité. Encore une fois, le problème vient de la différence de logiciels, qui entraîne une déperdition de données. M. François Molins, vous expliquera dans les détails les difficultés rencontrées par le parquet pour recueillir les éléments d'identification de toutes les victimes.

À ce jour, 1 200 dossiers ont été ouverts au Fonds de garantie, à partir de tous les éléments qui lui sont parvenus. À mon sens, le Fonds de garantie n'a pas la légitimité de tenir la liste unique : il doit la recevoir et enclencher la procédure.

Restent tous ceux qui n'ont pas été identifiés. La loi prévoit que toute personne qui s'estime victime peut saisir directement le Fonds de garantie. Elle peut aussi se constituer partie civile et apporter des éléments de preuve pour prouver qu'elle était bien sur les lieux. Je le répète, je souhaite que le conseil d'administration ait connaissance des dossiers rejetés par le Fonds de garantie, quitte à ce que le refus soit validé et que la personne aille devant le tribunal de grande instance de Créteil.

Je ne crois pas que, dans ce domaine, l'intervention d'une loi soit nécessaire. Mais c'est vous qui êtes les professionnels de l'élaboration des lois… Un décret pourrait peut-être suffire pour compléter la loi du 9 septembre 1986. En tout cas, hormis ce problème de logiciel et de gestion d'un grand nombre de victimes, le parquet me semble être l'autorité la plus légitime pour élaborer cette liste.

Comment expliquer le recul des acquis de 1995 ? Par le fait que les intervenants changent au fil du temps. Je vous l'ai dit, je suis « la mémoire » du Fonds, une « rescapée » de 1986 ; aucun membre autre que moi n'était présent à l'époque. Ainsi, le président a été nommé il y a un an. Les ministres sont représentés par différentes instances. Par exemple, le ministre de la justice est représenté par le chef du bureau des victimes. Or ce service est en déshérence, et je pèse mes mots ! Les chefs de bureau n'y restent pas. La dernière en date avait quitté ses fonctions peu avant le 13 novembre. Elle a fini par rester jusqu'au 30 janvier 2016, et n'était donc même pas présente au CA du 1er février. À l'heure actuelle, il n'y a pas de chef de bureau des victimes. C'est pourtant le coeur, au ministère de la justice, de l'organisme qui gère les droits des victimes ! Ce département est délaissé depuis des années – cela n'a pas commencé avec Mme Taubira. À tel point que M. Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, avait créé une Délégation aux droits des victimes au sein du ministère de l'intérieur, précisément pour venir en aide aux victimes du terrorisme. Cela montre, et j'en suis désolée, le peu d'intérêt de l'État vis-à-vis des victimes.

Mme Nicole Guedj, secrétaire d'État aux droits des victimes auprès de M. Perben, a fait des choses intéressantes et concrètes. Puis le secrétariat d'État a disparu. Aujourd'hui, il est réapparu, à la différence que la nouvelle secrétaire d'État dépend du Premier ministre. Aura-t-elle à sa disposition outre un cabinet, une structure administrative qui lui permettra de fonctionner ? Je fonde tous mes espoirs dans cette création. En effet, au conseil d'administration, les représentants des quatre ministres votent toujours dans le même sens pour permettre à la solidarité gouvernementale de s'exercer. Encore faut-il qu'ils aient défini une position commune au cours d'une réunion interministérielle. S'ils répercutent la voix du Premier ministre et celle du Président de la République qui demande que l'on répare les vivants, nous serions cinq sur neuf à souhaiter faire avancer les droits des victimes et éviter la déperdition que vous évoquiez.

Du fait de la mobilité dans la fonction publique, les fonctionnaires qui siègent au conseil d'administration sont sans cesse remplacés – parfois même avant deux ou trois ans. Il en est de même à la direction du Fonds de garantie : le directeur général, M. François Werner, et la directrice, Mme Nathalie Faussat, ne sont là que depuis quelques années. La phase de 1995 s'est perdue dans la nuit des temps. Et en 1986, les dossiers n'étaient pas informatisés. D'où une certaine déperdition du savoir, que l'on observe d'ailleurs dans toutes les administrations françaises.

Je peux reprendre, à cet égard, l'exemple du guide que nous avions édité en 2003, et dont j'avais évoqué l'existence avec le cabinet de Mme Touraine, juste avant Noël. Ce fascicule contient en effet beaucoup de choses intéressantes sur la prise en charge des victimes. Cela m'amène à faire un petit retour dans le passé.

Il y a dix-huit mois, s'est tenue une réunion sur les cellules d'urgences médico-psychologiques. – CUMP – qui ont été créées en 1995 par M. Xavier Emmanuelli, alors secrétaire d'État à l'action humanitaire d'urgence.

M. Xavier Emmanuelli, que j'avais rencontré en juin 1995, et auquel j'avais présenté les résultats de l'étude épidémiologique sur l'état de santé des victimes des attentats de 1986, envisageait de créer un nouveau dispositif et m'avait proposé d'en discuter à la rentrée suivante. L'attentat du RER B à la station Saint-Michel se produisit le 25 juillet 1986. M. Emmanuelli avait son projet de CUMP en tête. Il a emmené le Président de la République dans les hôpitaux, à la rencontre des personnes qui avaient fui le métro et l'horreur, à qui on avait dit de partir et qui ont erré, hagards, dans Paris. Ces personnes avaient parfois marché dans les rues pendant plusieurs jours et avaient été récupérées par des passants, des policiers ou des médecins. C'est là que sont nées les CUMP qui prennent en charge sur les lieux même des attentats ou des accidents les victimes impliquées – je ne parle pas de celles dont il faut sauver la vie et qui sont envoyées immédiatement vers les hôpitaux. Ces cellules sont animées par des volontaires qui viennent des hôpitaux : des psychiatres, des psychologues ou même des infirmiers-psychiatres. Ils interviennent dans l'urgence, puis réintègrent leur service d'origine.

Il y a dix-huit mois, donc, nous avons célébré le vingtième anniversaire de ces cellules d'urgence. À cette occasion, j'avais fait observer au représentant de la Direction générale de la santé qu'alors qu'on risquait d'être victime d'un attentat d'ampleur majeur, notre petit guide n'était plus à jour. Il m'avait répondu qu'on allait le remettre en chantier. Je n'en ai plus jamais entendu parler. Alors que ce fascicule figure sur le site du ministère de la santé, plus personne au cabinet de Mme Touraine n'en avait le souvenir. Encore une fois, il y a en France une déperdition du savoir qui me paraît tout à fait préoccupante, surtout dans des situations extrêmes.

S'agissant des finances du fonds, pour l'année 2016, sauf événement majeur, grâce à cet euro supplémentaire qui a porté la contribution de solidarité nationale à 4,30 euros depuis le 1er janvier, nous disposons de la trésorerie nécessaire. Si d'autres attentats venaient à se produire, ce serait autre chose. Cela étant, le montant de la contribution est fixé par un simple arrêté, pris chaque année au mois d'octobre par le ministère, afin d'être pris en compte par les compagnies d'assurance l'année suivante.

Après la catastrophe du DC10, en 1989, qui avaient fait 170 morts, on avait eu peur de manquer de trésorerie et d'avoir à piocher dans nos réserves. Le ministère des finances de l'époque avait alors, en cours d'année, augmenté d'un franc, la contribution pour nous permettre de faire face à cette catastrophe. Le 1er février 2016, j'ai donc demandé au Fonds de garantie de ressortir cet arrêté – qui est également dans les archives du ministère des finances –, pour prouver, le cas échéant, qu'il est tout à fait possible d'augmenter la contribution en cours d'année.

Enfin, mesdames et messieurs les parlementaires, en 2008, à l'unanimité, vous avez mis à la charge du Fonds de garantie l'indemnisation des propriétaires des voitures et des motos brûlées au 14 juillet et au 31 décembre – avec 40 % d'abus. En quoi cela concerne-t-il le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et autres infractions pénales ? C'est inadmissible ! Certes, cela ne représente pas des sommes énormes, mais c'est symbolique : cette indemnisation devrait relever du Fonds de garantie automobile. Pourquoi la solidarité nationale devrait-elle fonctionner alors qu'il y a des gens qui n'ont ni voiture ni moto ?

Dès 2008, alors que j'avais été reçue ici même par le président de la commission des lois, M. Warsmann, ainsi qu'au Sénat, j'avais exprimé mon opposition devant un tel dévoiement. Mais ce fut en vain. Depuis, j'ai repris mon bâton de pèlerin et je me bats pour que l'on revienne sur cette disposition. À chaque fois, on m'explique que l'on n'a pas le véhicule législatif nécessaire, qu'on ne peut pas faire de cavalier budgétaire, etc.

En novembre dernier, Mme Taubira a présenté son projet de loi sur la justice du XXIème siècle : j'ai pensé que ce texte un peu fourre-tout pouvait être le bon support. Une sénatrice m'ayant demandé si j'avais un amendement à lui proposer, je lui ai suggéré la suppression de cette charge indue et le transfert de l'indemnisation correspondante vers le Fonds automobile. Elle a déposé l'amendement, à l'occasion de la première lecture au Sénat. Mais l'attaché parlementaire ou l'administrateur ayant oublié l'article 40 de la Constitution, cet amendement n'est même pas passé en discussion. J'ai donc saisi M. Bruno Le Roux, le président du groupe parlementaire socialiste, et lui ai préparé un autre amendement en prévision de la prochaine lecture. Mais après les événements du 13 novembre, l'ordre du jour des travaux du Parlement a peut-être été modifié. En tout cas, il me paraîtrait être de bonne administration financière de décharger le Fonds de garantie de cette charge indue.

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