Intervention de médecin général des armées Jean-Marc Debonne

Réunion du 29 février 2016 à 18h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

médecin général des armées Jean-Marc Debonne, directeur central du service de santé des armées :

Je souhaite revenir sur la question posée par M. Goujon à propos des urgences et apporter l'éclairage du SSA en la matière, en complément de la réponse de M. Hirsch. Je rappelle que je suis médecin de formation.

Dans une situation telle que celle que nous avons vécue le 13 novembre, il y a deux mots-clés à retenir : « circuit séparé » et « catégorisation ». En cas d'afflux massif de blessés, ce n'est pas le même circuit qui est emprunté, et ce n'est pas non plus le personnel du service d'accueil des urgences (SAU) qui est sollicité pour les prendre en charge. La catégorisation des blessés – on parle aussi parfois de « tri » – est une méthode que nous avons apprise sur les théâtres d'opérations et que nous avons implantée dans nos hôpitaux sur le territoire national. Elle est tout à fait adaptée en cas d'afflux de blessés en grand nombre, ou en nombre moins important mais dans un état grave, ce qui peut avoir un effet très déstructurant sur l'activité. Il s'agit de faire en sorte que le plus grand nombre de blessés aient le maximum de chances de survie et de moindres séquelles.

D'une part, il est important de dédier un circuit particulier à la catégorisation : elle ne peut pas se faire dans les locaux d'un SAU, quel qu'il soit. Dans la nuit du 13 au 14 novembre, nous avons mis en place de tels circuits dédiés dans les HIA Bégin et Percy. D'autre part, les personnels qui vont devoir accomplir cet acte médical majeur, qui consiste à déterminer qui relève de l'urgence absolue et qui relève de l'urgence relative, doivent être pré-identifiés. Il doit s'agir de professionnels particulièrement avertis : on affecte toujours à cette tâche les professionnels les plus expérimentés.

En tout cas, il faut se préparer en amont à la catégorisation. Car, si l'on découvre cette méthode au moment où l'on est confronté aux événements, c'est plus compliqué. D'après notre expérience, la prise en charge d'un afflux massif de blessés n'entre pas en concurrence avec le fonctionnement quotidien d'un SAU, car les personnels les plus concernés ne sont pas les médecins urgentistes du SAU : on mobilise d'autres compétences, celles d'anesthésistes-réanimateurs et de chirurgiens, j'y insiste, particulièrement expérimentés.

Nous avons été confrontés, nous aussi, à une certaine frustration des personnels, soit parce qu'ils étaient dans des structures hospitalières qui n'ont pas eu de blessés à prendre en charge, soit parce que nous n'avons pas fait appel à eux alors qu'ils auraient souhaité venir – nous avons voulu les garder en réserve, car nous ne savions pas, nous non plus, ce qui pouvait se passer. Ce sentiment de frustration est parfaitement compréhensible, d'autant que nous n'avions peut-être pas assez préparé les personnels à une telle situation, plus coutumière sur les théâtres d'opérations extérieures. Nous en avons tiré la leçon qu'il fallait désormais mettre les cartes sur la table en amont vis-à-vis d'eux, en leur disant clairement que, si un événement se produit, ils doivent attendre qu'on les appelle. C'est sans doute préférable à un afflux massif de personnel, qui peut être déstabilisant.

J'en viens à la question de la formation.

D'abord, il faut bien comprendre que la chirurgie de guerre est non pas une série d'actes techniques ou une méthode qu'il s'agit d'appliquer, mais la prise en charge globale de blessés graves dans un contexte de guerre. Cela revient à se poser la question de ce qu'est un contexte de guerre. Or – c'est un point majeur – il n'y a pas de contexte de guerre univoque, ce qui signifie qu'il n'y a pas de recette. En d'autres termes, sur un théâtre d'opérations extérieures ou en plein coeur de Paris, ce n'est pas la même chose.

Certes, il existe des techniques, notamment le damage control, dont nous avons parlé. C'est une technique qui vise à préserver toutes les chances du patient mais en tenant compte des conditions d'exercice, la première d'entre elles étant l'afflux massif de blessés. Passer plusieurs heures à opérer un seul patient lorsqu'il y a d'autres urgences absolues à côté, cela soulève de nombreuses questions du point de vue éthique. Le damage control permet précisément de donner le plus grand nombre de chances au plus grand nombre de blessés, ce qui est parfaitement recevable tant du point de vue technique que du point de vue éthique.

La chirurgie de guerre, ce sont donc des gestes techniques, le cas échéant sur des plaies particulières, mais dans le cadre d'une prise en charge beaucoup plus globale qui tient compte du contexte, lequel peut être agressif. À Paris, dans la nuit du 13 au 14 novembre, d'après les retours que nous avons eus, il y avait de l'agressivité au moment où les soignants sont intervenus. C'est une situation que nous vivons quotidiennement sur les théâtres d'opération et qui impose des techniques particulières. Quant aux plaies par balle, elles ne sont pas propres à la chirurgie de guerre : on en soigne couramment à l'AP-HP et dans d'autres hôpitaux français.

En revanche, à Paris, on n'est pas confronté à la problématique de l' « élongation » que nous, militaires, rencontrons sur les théâtres d'opérations extérieures, par exemple en Afghanistan ou au Mali : presque chaque semaine, nous réalisons l'évacuation d'un blessé grave par voie aérienne sur 4 000 ou 5 000 kilomètres, ce qui influe sur le geste que doit accomplir le chirurgien.

Le SSA existant depuis trois siècles, les militaires ont, malheureusement ou heureusement, une certaine expérience en matière de chirurgie de guerre. Nous avons été sollicités très rapidement pour des formations dans ce domaine. Il y a d'abord eu des échanges entre confrères civils et militaires – chirurgiens et réanimateurs, notamment – et entre institutions. Puis, au début de cette année, la DGS et la DGOS nous ont adressé une demande officielle, au professeur Pierre Carli, président du CNUH, et à moi-même.

Ainsi que je l'ai indiqué dans mon exposé liminaire, nous sommes en train de répondre à cette demande : nous mettons actuellement en place une formation de formateurs destinée à être relayée sur tout le territoire, afin de préparer les équipes civiles – pas seulement des chirurgiens, mais des équipes complètes – à prendre en charge un afflux massif de blessés. Chaque fois que cela sera possible, des équipes militaires seront associées, sachant que nous avons des hôpitaux implantés à Paris, à Lyon, à Marseille, à Toulon, à Bordeaux, à Brest et à Metz. La nuit du 13 au 14 novembre, ainsi que l'a indiqué le médecin général inspecteur Vallet, nous n'avons pas fait venir de chirurgiens militaires de Lyon ou d'ailleurs. Nous avons préféré coopérer là où nous nous trouvions, car aucun d'entre nous ne savait ce qui pouvait se passer.

L'une de nos formations, le cours avancé de chirurgie en mission extérieure (CACHIRMEX), est déjà ouverte à des chirurgiens civils qui en font la demande, notamment à ceux qui s'engagent dans la réserve opérationnelle du SSA et qui partent sur les théâtres d'opérations extérieures. Certains praticiens de l'AP-HP donnent d'ailleurs des cours dans le cadre du CACHIRMEX aux côtés de leurs collèges militaires. Nous sommes très satisfaits que la coopération fonctionne ainsi dans les deux sens, le SSA ayant besoin de réservistes. Donc, les relations entre professionnels de santé militaires et civils existent, et elles se sont un peu plus institutionnalisées sous l'impulsion des demandes récentes du ministère de la santé.

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