Intervention de Samia Maktouf

Réunion du 17 février 2016 à 16h15
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Samia Maktouf, avocate aux barreaux de Paris et Tunis :

Il est très difficile de prendre la parole après le témoignage très touchant de M. Dmougui, qui nous rappelle la situation des victimes.

J'interviens aujourd'hui devant votre commission en tant qu'avocate de partie civile de différentes affaires que la France a connues depuis 2012 : l'affaire Merah, les attentats de Charlie Hebdo, de l'Hyper Cacher, du Bataclan et du Stade de France.

Plusieurs de mes clients, victimes, pensent que c'est une commission de plus. Mais je ne céderai pas au scepticisme. Je suis les travaux de votre commission, j'ai entendu les témoignages bouleversants des victimes, et je suis persuadée qu'il est très important de parler. Votre rapport permettra de comprendre, mais aussi de prévenir d'autres attentats. Il ne restera pas lettre morte et n'ira pas juste grossir les archives de l'Assemblée nationale.

J'ai suivi avec beaucoup d'intérêt les auditions que vous avez effectuées lundi dernier, et je voudrais revenir sur la prise en charge des victimes. Ces victimes ne comprennent pas qu'on puisse dire aujourd'hui que leur prise en charge est totale et complète. Ce n'est pas le cas.

Sachez qu'Omar Dmougui et plusieurs autres victimes ne sont pas considérés comme des victimes civiles de guerre. Le texte de 2015, qui n'est toujours pas entré en vigueur, ne prévoit une assimilation que pour le règlement d'une pension. Les victimes veulent être reconnues comme telles même si elles ne présentent pas de blessures corporelles. Omar Dmougui n'a aucune blessure sur son corps, mais il souffre d'une profonde blessure psychiatrique. Lui aussi doit être considéré comme une victime civile de guerre.

Les victimes attendent davantage que l'hospitalisation et la prise en charge psychiatrique et psychologique. On leur doit une réponse. Cela fait partie de leur thérapie.

Leur prise en charge passe également par l'accompagnement par les associations d'aide aux victimes, qui effectuent un travail extraordinaire, et par les professionnels du droit. Aujourd'hui, plus de 500 victimes n'ont pas d'avocat. C'est pourquoi j'ai pris sur moi d'interpeller notre ordre – et je suis certaine que mes confrères ont fait la même chose. Il faut interpeller les barreaux de toute la France. Il n'est pas acceptable que des familles, des parents, des mamans doivent écrire au juge pour lui demander comment faire pour prendre un avocat. Faut-il rajouter ce traumatisme à leur douleur ? La France connaît des attaques depuis 2012 ; il faut qu'on se structure, que les professionnels du droit fassent acte de civisme en s'organisant pour s'occuper de nos concitoyens que ces atrocités ont rendus malades.

Il me vient à l'esprit, en présence de M. Samuel Sandler, dont le fils et les deux petits-fils ont été tués, la formule d'Alain Badiou qui qualifie ces actes de meurtres de masse. En 2012, dans l'affaire Merah, les victimes étaient ciblées : des militaires, trois enfants et un rabbin qui ont été tués parce qu'ils étaient juifs. Aujourd'hui, pour reprendre une expression de Gilles Kepel, on est passé à un terrorisme de troisième génération, voire de quatrième génération, car nous sommes tous devenus des cibles. Depuis 2012, les terroristes ne cessent de prendre de l'avance sur nous, sur nos services de police, sur nos services de renseignement. Ils ont une capacité extraordinaire à se dissimuler, il n'y a plus de signes pour les reconnaître. Le terroriste, aujourd'hui, ne porte plus de qamis, ne se laisse plus pousser la barbe ; on le croise peut-être dans le métro – on sait qu'Abaaoud le prenait –, c'est peut-être un voisin de palier, quelqu'un avec qui on partage un espace professionnel. Les terroristes sont semés dans notre société comme une gangrène.

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