Notre démarche comme avocats est résolument indépendante. Nous sommes indépendants à tout moment, quel que soit le pouvoir politique en place. Nous avons dénoncé des dysfonctionnements dans l'affaire Merah ; nous dénonçons aujourd'hui un certain nombre de dysfonctionnements, avec un objectif bien précis : aider la représentation nationale à faire en sorte que la lutte contre le terrorisme soit beaucoup plus efficace. J'aurai des propositions concrètes à faire.
Si je m'exprime ainsi préalablement, c'est pour vous dire que, en tant qu'auxiliaires de justice, mes collaborateurs et moi nous étonnons que la représentation nationale ait consacré si peu d'espace et ait eu si peu de considération pour l'autorité judiciaire dans le cadre des différentes lois qui ont été votées ou qui sont en cours d'examen. L'autorité judiciaire est, de manière totalement incompréhensible en démocratie, la grande absente. Nous avons le sentiment que, pour des raisons plus ou moins claires, il y a une absence de volonté de conférer à l'autorité judiciaire le rôle qui est le sien. C'est si vrai que le premier président de la Cour de cassation et le procureur général près la Cour de cassation ont alerté le pouvoir exécutif sur ce point au mois de janvier.
Il y a eu des dysfonctionnements graves, mais il ne faut pas céder à l'approximation ni lancer des condamnations trop rapides. Dire, par exemple, que les juges d'instruction qui ont eu en charge le projet d'attentat du Bataclan ont bâclé l'information judiciaire ou qu'ils n'ont pas cherché à arrêter ceux qui ont pu projeter un tel attentat, serait erroné. Ce sont des juges d'instruction expérimentés et courageux, mais ils se sont heurtés à l'absence totale de coopération judiciaire des autorités égyptiennes qui les ont empêchés d'approfondir leur travail.
Soyons néanmoins lucides. Nous savions dès 2009 qu'un projet d'attentat au Bataclan avait été envisagé de manière suffisamment précise – une enquête préliminaire et une information judiciaire avaient été ouvertes, deux juges d'instruction étant chargés du dossier. Or les propriétaires du Bataclan n'ont jamais été prévenus de cette information judiciaire. Je rappelle que, dans l'affaire des événements du 13 novembre, 2 000 avis à victime ont été adressés. Aucune mesure particulière n'a été prise sur la salle de spectacle du Bataclan alors que l'on savait, grâce à plusieurs auditions faites, soit par les services secrets, soit dans le cadre d'informations en cours, qu'avant l'été une salle ou des salles de spectacle seraient visées. Et les personnes auditionnées ont même dit qu'un attentat aurait lieu très prochainement.
Et que s'est-il passé ? Les nouveaux propriétaires de l'établissement n'ont pas été prévenus, et, comme vous le savez, aucune mesure de sécurité particulière n'a été prise à l'entrée de la salle de spectacle, les personnes présentes à l'entrée vérifiant seulement les billets. De surcroît, et c'est surréaliste – nous n'avons pas de réponse aujourd'hui à cette question –, les plans des salles de spectacle les plus concernées par un risque potentiel d'attentat n'auraient même pas été transmis aux autorités susceptibles d'intervenir. La Brigade de recherche et d'intervention (BRI) qui est intervenue – et non le RAID, comme j'ai pu l'entendre parfois – n'avait pas, en effet, le plan de l'établissement alors qu'on l'a retrouvé dans le téléphone portable d'un terroriste.
Il est évident que tous ceux qui oeuvrent dans la lutte contre le terrorisme font tout pour essayer d'apporter des améliorations. Malheureusement, les avocats spécialisés dans l'accueil des victimes et les auxiliaires de justice ne peuvent que constater que les choses ne se sont pas grandement améliorées depuis l'affaire Merah, qui a été marquée par des dysfonctionnements – le défaut de judiciarisation des informations dans un certain nombre de dossiers, par exemple. Qu'est-ce qu'un défaut de judiciarisation ? Le fait qu'on n'ait pas porté en temps utile à la connaissance de l'autorité judiciaire des informations dont l'exploitation est susceptible de permettre, soit de prévenir des actes terroristes, soit d'intercepter les auteurs d'infractions. Nous sommes convaincus qu'il faut modifier un certain nombre de réflexes et de textes. Aussi, ai-je apporté avec moi des propositions de loi en guise de suggestions. Je précise que cette réflexion a été menée avec le professeur Didier Rebut, spécialiste en droit pénal et en procédure pénale.