Intervention de Patrick Klugman

Réunion du 17 février 2016 à 16h15
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Patrick Klugman, avocat au barreau de Paris :

J'ai tenu à venir aujourd'hui devant vous avec M. Samuel Sandler parce que, bien qu'elle ne fasse pas l'objet de votre commission d'enquête, vous avez compris des propos non concertés de mes confrères Samia Maktouf et Olivier Morice que l'affaire Merah a été matrice des actes de terrorisme qui ont visé notre pays. Les racines de cette matrice remontaient d'ailleurs à l'affaire d'Artigat, citée par Me Maktouf, la première à avoir conduit devant un tribunal les filières de l'Ariège, dites du Sud-Ouest. Sont déjà présents tous les protagonistes que l'on retrouve directement à l'oeuvre dans les attentats des 12, 15 et 19 mars 2012 à Toulouse et Montauban, et dans la préparation, perpétration ou revendication des attentats du 13 novembre à Paris. Tout nous ramène à l'affaire Merah.

Alors que nous réagissons parfois dans des séquences très scindées, séparées, les djihadistes, eux, ont le sens du message, du temps long : Fabien Clain, qui a revendiqué l'attentat du Bataclan, est lié organiquement à Mohamed Merah ; son beau-frère, Sabri Essid, est apparu dans des vidéos diffusées en France, assistant à une décapitation commise par un enfant qui semble être son fils. Visiblement, quelque chose n'a pas été compris.

Acquérir la compréhension de ces différentes affaires est, pour le moment, impossible, quand bien même les magistrats instructeurs saisis des différents dossiers sont les mêmes – ce sont les quelques magistrats de la galerie Saint-Éloi que certains d'entre vous connaissent bien. Dans une affaire, ce que veut le magistrat, c'est la résolution, c'est-à-dire amener devant une juridiction un ou des auteurs, à défaut, un ou des complices. C'est le cas de l'affaire Merah, qui est maintenant au règlement. Le magistrat instructeur n'a pas le devoir de tirer tous les enseignements de cette affaire ni des indices ou des autres affaires qui sont suivies par le renseignement. Où est le centre de commandement ? Où est le centre d'analyse ? Est-ce seulement l'affaire des services de renseignement ou peut-il être ailleurs, au niveau du parquet ? S'il y existe déjà une direction du terrorisme, elle n'est pas, selon moi, parfaite. À aucun moment, les affaires n'ont été interconnectées, ni dans leurs faiblesses ni dans leurs manquements. C'est particulièrement criant après l'affaire Merah.

Les pouvoirs publics ont porté beaucoup d'attention aux dispositifs de prise en charge des victimes, à tous les niveaux. Cela a été particulièrement vrai lors des attentats du mois de janvier dernier. Bien évidemment, l'ampleur des attentats du 13 novembre a créé une situation inédite et fait exploser tous ces dispositifs, et nous nous retrouvons avec des gens qui sont désorientés. Il est inacceptable que le Fonds d'indemnisation des victimes du terrorisme, dans le souci certes normal de protéger ses deniers, « envoie sur les roses » des gens qui demandent un accompagnement, des soins, un suivi.

Le statut de victime civile de guerre n'est pas adapté, a dit Me Samia Maktouf. Des dispositifs existent mais il manque un statut pour ces personnes qui ont été victimes de crimes qui ont touché la nation dans ce qu'elle a de plus profond.

De nombreux problèmes ont été pointés à propos du traitement de l'information, surtout lors de la prise d'otage de l'Hyper Cacher. Je tiens d'ailleurs à saluer ici la réaction de BFM TV, qui a fait preuve de beaucoup d'intelligence en acceptant l'accord qui a permis le dénouement du drame. Les scènes auxquelles nous sommes confrontés font très souvent l'objet d'un traitement médiatique immédiat ; les journalistes n'ont pas de cadre juridique leur permettant de savoir quoi diffuser, où s'arrête le devoir d'information et où commence celui de la protection des personnes, à quel moment il y a mise en danger d'autrui. La représentation nationale doit se pencher sur cette question, car il y a une volonté évidente de manipulation de la part des djihadistes. Souvenez-vous que Mohamed Merah a attaqué ses victimes avec une GoPro et cherché à transmettre ses vidéos, et que, lors de la prise d'otages de l'Hyper Cacher, les terroristes n'ont eu de cesse de joindre les médias. Tout le monde, y compris les médias, a besoin d'un cadre juridique clarifié.

Enfin, il est important de savoir ce qu'est le salafisme. Mais pour comprendre le phénomène, encore faut-il pouvoir l'appréhender. À cet égard, je défends la diffusion du film Salafistes, qui n'a rien à voir avec une oeuvre de propagande – je précise qu'en la matière j'ai un conflit d'intérêts. Je suis atterré de voir que, un an après l'attentat de Charlie Hebdo, on censure une oeuvre qui entend montrer au public la réalité du salafisme et de ces criminels.

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