Intervention de René Guyomard

Réunion du 17 février 2016 à 16h15
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

René Guyomard :

Mon fils était marié et son épouse est également décédée, le même soir, au Bataclan.

Lorsque je discute avec Me Morice, il me parle de colère – de la colère, oui, je ne peux pas vous dire autre chose ; le mot est même trop faible. Lorsque l'on découvre dans la presse que le Bataclan faisait l'objet de menaces depuis quelques années, on ne peut pas s'empêcher de se dire que si elles avaient été transmises à qui de droit, prises au sérieux, mon fils et ma belle-fille seraient peut-être encore en vie.

Votre commission d'enquête s'intéresse aux moyens mis en oeuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015. Pour moi, les moyens mis en oeuvre du 7 janvier au 13 novembre, c'est zéro ! Puisque mon fils n'a pas été protégé, c'est zéro ! Depuis le 13 novembre, je ne sais pas. Quelqu'un parmi vous pourrait peut-être me dire quelles mesures précises ont été prises pour que d'autres pères de famille ne connaissent pas ma situation. Je ne suis pas du tout optimiste, et je crains de devoir vous dire qu'il y aura d'autres Bataclan.

Mesdames, messieurs les parlementaires, rien n'a été fait pour protéger le Bataclan alors que l'on avait l'information, que l'on avait les moyens. Pourquoi les choses changeraient-elles aujourd'hui ? Le risque était précis, ciblé : il ne s'agissait pas de n'importe quel bistrot, mais du Bataclan, d'une adresse précise. On connaissait les raisons. Rien n'a été fait : les plans de la salle n'ont pas été communiqués aux forces de police, les propriétaires du Bataclan n'ont pas été prévenus du risque. On me parle maintenant de politique étrangère, des réticences des Égyptiens. Mais cela n'a rien à voir. Je me fiche du détail ! On savait qu'une menace pesait sur le Bataclan, et rien n'a été fait.

Comme par miracle, dans les semaines qui ont suivi, des décisions très énergiques ont été prises : on a lancé 700, 800 perquisitions, on a trouvé des Kalachnikov, des lance-roquettes, des armes en tout genre. Mais si on a pu faire ces perquisitions, c'est bien parce qu'on avait des adresses et des noms, c'est bien parce que des gens étaient fichés S, Y ou Z. Pourquoi ces perquisitions n'ont-elles pas été faites au moins après l'attentat de Charlie Hebdo ? Pourquoi les fait-on tout à coup après le 13 novembre ? Parce qu'il faut montrer au petit peuple qu'on se remue ! Mais cela ne me rend pas mon fils ni ma belle-fille que nous adorions. Ils sont morts.

Et puis, une fois le drame passé, il y a l'après. Cet après, je ne souhaite à aucun d'entre vous de le connaître. C'est un cauchemar : ne pas savoir, pendant des heures, des jours, si vos enfants sont « sur la liste » ; pire, quand ils n'y sont pas, on téléphone de numéro en numéro, on a au bout du fil des gens incompétents ou pas du tout informés, certains même raccrochent. Personne ne peut imaginer une telle impréparation, une telle improvisation, un tel mépris pour les citoyens que nous sommes dans des situations pareilles. Au moins sur cet aspect des choses, qu'avez-vous fait, quelles décisions ont été prises ?

Ne vous faites pas d'illusion, demain il y aura un autre Bataclan et peut-être pire ! Si jamais cela se passe dans une ville de province qui ne bénéficie pas de l'Institut médico-légal de Paris, censément le plus performant, ce sera épouvantable.

Je voulais juste vous dire qu'il n'y a que de la colère. Quand on me parle d'oubli, c'est comme si on ne me parlait pas. J'espère que ce que je viens de vous dire servira à quelque chose, mais je ne me fais pas beaucoup d'illusion. Je vous remercie de m'avoir écouté.

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