Intervention de Stéphane Gicquel

Réunion du 17 février 2016 à 16h15
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Stéphane Gicquel, secrétaire général de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs, FENVAC :

Nous vous remercions de votre invitation : c'est un honneur de nous exprimer devant vous.

La FENVAC est une association de victimes : tous ses adhérents, tous les membres de son conseil d'administration, sont des victimes. Elle a pour mission de défendre les droits des victimes et de les accompagner dans la durée.

Nous intervenons dans le cadre d'une convention signée avec le ministère de la justice. C'est ainsi que nous avons fait partie du dispositif de cellule interministérielle d'aide aux victimes (CIAV), dont il a beaucoup été question lundi dernier. Cet engagement très fort de notre association dans l'aide aux victimes et dans la gestion de crise dès les premières heures qui suivent un attentat ou une catastrophe s'explique par notre désir de faire de la résistance, de lutter contre le terrorisme.

Nous siégeons au conseil d'administration du Fonds de garantie d'indemnisation des victimes, et nous avons été récemment nommés au conseil d'administration de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre. Enfin, notre association est partie civile dans une trentaine de procédures concernant des dossiers liés au terrorisme. Nous comprenons le besoin de vérité et de justice, le besoin de décrypter et de comprendre, qu'a exprimé notamment l'association « 13 novembre 2015 : Fraternité et Vérité », dont nous avons accompagné la création et dont nous soutenons la demande de réforme de l'article 2-9 du code de procédure pénale visant à permettre à toutes les associations de victimes d'un attentat de se porter partie civile. Il est très important, dans le processus complexe de réparation, que les victimes ne subissent pas les suites des attentats, mais qu'elles soient actrices.

Avant d'aborder les questions concernant la lutte contre le terrorisme, je voudrais revenir sur les dispositifs d'aide aux victimes. Différentes critiques et incompréhensions se sont exprimées lundi dernier. Du point de vue de la FENVAC, la récente instruction interministérielle concernant la prise en charge des victimes d'actes de terrorisme constitue malgré tout un progrès. En disant cela, je ne suis pas en opposition avec les victimes qui se sont exprimées lundi et qui ne peuvent avoir la vision d'ensemble dont dispose notre fédération. Mais ces améliorations n'impliquent pas que le système soit parfait.

Un retour d'expérience est en cours. Nous avons été présents pendant trois semaines, de huit heures à minuit, au sein de la cellule interministérielle du Quai d'Orsay et, pendant quinze jours, nous avons assuré la présence quotidienne de trois membres au sein du centre d'accueil des familles de l'École militaire. En ce qui concerne la liste des victimes et le délai pour prévenir leurs familles, nous partions d'une page blanche. Nous avons eu le nom des personnes décédées, mais il faut s'interroger sur le temps qu'a pris leur identification. Pourquoi n'a-t-on pas fait appel à l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), qui dispose d'une réelle compétence en matière d'identification et d'accompagnement des familles, dans l'attente de l'identification ? Cet institut intervient en effet pour identifier les victimes de grandes catastrophes, comme l'accident de Puisseguin ou le crash de la Germanwings.

D'autre part, la cellule interministérielle a perdu du temps. Alors que nous étions mobilisés dès le vendredi soir au Quai d'Orsay, les premiers appels téléphoniques n'ont été basculés que le samedi, vers dix-sept ou dix-huit heures. On peut se demander pourquoi. C'est à la préfecture de police de répondre à cette question. C'est moi qui ai dû annoncer à M. Salines, au téléphone, le décès de sa fille. Il a été profondément heurté. Nous nous en sommes expliqués, mais il faut savoir que l'annonce des décès s'est faite dans le plus grand désordre. Le samedi, à dix-huit heures, nous recevions les premiers appels et nous trouvions devant l'alternative suivante : soit nous mentions en demandant à nos interlocuteurs de se présenter le lendemain à l'École militaire, soit nous annoncions le décès au téléphone. C'était le choix du diable : cela doit être pris en compte dans le retour d'expérience.

En ce qui concerne le dispositif d'aide aux victimes, il faut plus d'État. Ces victimes sont en effet très particulières : à travers elles, c'est notre État, notre système démocratique, nos valeurs qui ont été visées. Il faut donc une réponse directe, forte, durable, de l'État. Les victimes ne comprennent pas pourquoi elles n'ont pas été reçues par une autorité, que ce soit le Président de la République ou le Premier ministre. Moi-même, je m'interroge quand je compare avec ce qui s'est fait lors de précédentes catastrophes. Ainsi, dans le cas du crash d'Air Algérie, en 2013, les familles ont été réunies quarante-huit heures après au Quai d'Orsay, en présence de cinq ou six ministres, du Premier ministre et du Président de la République, lequel reçut à nouveau les familles en septembre. La même question de lisibilité se pose à propos de certains gestes qui ne sont pas systématiques : M. Denoix de Saint Marc évoquait avec raison l'attribution de la Légion d'honneur.

Le 23 janvier, nous avons organisé une réunion d'information à la Maison du Barreau, avec 300 victimes. C'était une démarche associative. Les victimes nous ont dit que cette réunion était une bonne chose, mais elles se demandaient pourquoi ce n'était pas l'État qui l'avait organisée.

Il faut aussi « mieux d'État », c'est-à-dire une meilleure intervention de l'État. Le grand progrès de l'instruction ministérielle est d'organiser l'interministérialité. Les représentants des ministères ne travaillent plus côte à côte, mais ensemble, dans la cellule interministérielle. Cependant, il reste des mystères à éclaircir, même aux yeux des représentants associatifs qui faisaient partie du dispositif.

Pourquoi l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a-t-elle mis autant de temps pour transmettre la liste des personnes hospitalisées ? Nous partions à nouveau d'une page blanche. Le mardi ou le mercredi suivant les attentats, nous avions les coordonnées de 1,5 % des personnes hospitalisées. Grâce à une action vigoureuse du cabinet du ministère de la santé, nous sommes passés, en quarante-huit heures, de 1,5 à 3 %. Ce manque de collaboration, ces blocages institutionnels sont inacceptables et incompréhensibles. Il faut, mesdames et messieurs les députés, que vous en soyez le relais pour faire avancer les choses.

J'en viens aux incongruités. Chaque victime reçoit un dossier pour constituer une demande de pension militaire ou de veuve de guerre. Ce sont sans doute les premiers éléments que reçoivent les victimes, les services des pensions du ministère de la défense étant extrêmement diligents pour envoyer ces documents. Ce sont des droits théoriques : personne ne percevra de pension militaire ou de pension de veuve de guerre, parce que le système d'indemnisation des victimes est en fait assuré par le Fonds de garantie. Imaginez cependant ce que peut ressentir une personne qui reçoit de tels documents, surtout lorsqu'elle a vingt-cinq ou trente-cinq ans…

On nous avait dit, par ailleurs, que le Parlement avait voté une mesure assurant la gratuité des soins. Mais le système est tellement complexe que nous-mêmes, acteurs associatifs, avons mis plusieurs jours à comprendre qu'il ne s'agissait pas de soins gratuits, mais de soins remboursés à 100 % du tarif de la sécurité sociale. La fille de M. Zenak — que vous avez auditionné lundi — a été touchée à l'oeil et doit changer de lunettes tous les deux mois. Avec ces soins « gratuits », on ne lui rembourse que 35 ou 40 euros sur les 250 ou 300 euros que coûte chaque fois la paire de lunettes. Cela peut paraître un détail, mais c'est une bonne illustration de ce qu'ont exprimé les familles et les victimes.

« Mieux d'État », c'est aussi assurer l'équité entre toutes les victimes. Les attentats du 7 janvier et du 13 novembre sont dans toutes les mémoires, mais n'oublions pas tous les Français qui ont été frappés à l'étranger, par exemple à Tunis, au musée du Bardo, ou à In Amenas — Mme Desjeux pourra en parler. L'action de l'État doit être la même pour les victimes frappées à l'étranger.

En ce qui concerne les voies d'action pour lutter contre le terrorisme, je n'apporterai rien de nouveau par rapport à ce qu'ont déjà dit différents rapports, notamment celui de la commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, présidée par M. Ciotti, et celui de M. Pietrasanta concernant la radicalisation. Tout y est : le manque de moyens de la justice, le manque de coopération judiciaire, les frontières qui existent pour les juges mais pas pour les terroristes, la déconnexion du renseignement avec le judiciaire, l'impossibilité de mener des enquêtes de fond sur le financement des réseaux terroristes, le problème de coordination des services, la nécessité de détecter la radicalisation et les signaux faibles, le cryptage des données et l'impossibilité de le faire sauter, la question des réseaux sociaux.

Je signalerai cependant deux pistes nouvelles : nous devons, d'une part, cultiver la résistance citoyenne au terrorisme et, d'autre part, réfléchir à la responsabilisation des entreprises qui envoient des Français travailler sur des sites sensibles à l'étranger.

Tous ces constats ont été dressés dans les précédents rapports, car les interrogations et les doutes des victimes préexistaient au 7 janvier 2015. Ces questions étaient déjà d'actualité quand nous avons connu la vague d'attentats de 2012. Votre commission éveille un nouvel espoir, et il faudra que vous vous assuriez de l'effectivité et du suivi des recommandations que vous pourrez être amenés à formuler. Il faut un plan d'action sérieux, un vrai pilotage, peut-être organiser un nouveau système de suivi, avec un panel citoyen dont nos associations pourraient faire partie. On ne peut pas, au plus haut niveau de l'État, annoncer que nous sommes en guerre et que d'autres attentats auront lieu, sans que s'engage un débat sur la lutte contre le terrorisme, pour que chacun soit véritablement sensibilisé et conscient des arbitrages à faire entre libertés publiques et sécurité.

Aujourd'hui, cet espace de débat est complètement phagocyté par la question de la déchéance de nationalité. Je ne me prononce pas sur l'utilité ou sur la légitimité de cette mesure, mais le débat sur la lutte contre le terrorisme ne doit pas se résumer à la polémique sur la déchéance de nationalité. Il est important, pour notre sécurité collective, que le débat ait lieu, car il ressort d'innombrables entretiens avec les victimes qu'elles veulent attaquer l'État, dont elles considèrent qu'il a une responsabilité dans ce qui est arrivé. Cela trahit l'insuffisance de la pédagogie et de l'information à l'égard des victimes, auxquelles on doit rendre des comptes en toute transparence.

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