Intervention de Guillaume Denoix de Saint Marc

Réunion du 17 février 2016 à 16h15
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Guillaume Denoix de Saint Marc :

L'appel d'offres que nous avons remporté au mois de janvier de l'année dernière a été émis avant les attentats de janvier. Le budget était limité, s'agissant d'un petit reliquat dont disposait l'administration pénitentiaire. Le délai était assez court puisque, en un an, il fallait atteindre trois objectifs : revoir l'outil de détection — ce qui n'était pas une mince affaire —, organiser deux sessions de prise en charge d'une quinzaine de détenus dans deux centres pénitentiaires différents, et transmettre l'intégralité de notre processus à l'administration pénitentiaire.

Notre objectif n'était pas de déradicaliser, mais d'amener certains individus à changer de comportement. Nous avons conduit un travail pluridisciplinaire avec les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), la direction, la surveillance, les renseignements, le scolaire, le médical, etc. Nous avons proposé à plusieurs détenus, choisis par l'ensemble des personnes intervenant auprès d'eux, de suivre notre programme. En général, ces personnes n'ont pas de démarche de réinsertion et n'ont pas recours aux outils qu'on met à leur disposition pour préparer leur sortie de prison. Nous devions, en six semaines, les amener à se fixer un objectif personnel, c'est-à-dire à travailler à leur réinsertion future. La portée de l'expérience était donc très limitée. Nous n'avons noté aucun désistement, alors que, l'expérience étant menée sur la base du volontariat, ils pouvaient arrêter à tout moment. Réunis en groupe sous la conduite de travailleurs sociaux, ils ont écouté divers intervenants extérieurs, dont, en fonction de la dynamique du groupe, des victimes du terrorisme, des juges, d'anciens détenus : il s'agissait d'amener les détenus à se poser des questions, de déconstruire leur vision du monde, puis de les faire partir sur un projet personnel. En définitive, la plupart d'entre eux ont changé de comportement, même si certains se sont sans doute engagés dans un processus de dissimulation : si l'on veut donner dans la caricature, on dira que, pour les SPIP, ils sont tous « super bien », alors que, pour le renseignement, aucun d'eux n'a changé… La vérité se situe sans doute entre les deux.

Toujours est-il que nous avons l'amorce d'un processus : à travers tous les outils de réinsertion qui existent en prison et s'il n'y a pas de dysfonctionnement, on peut amener ces personnes à être moins dangereuses lorsqu'elles sortiront qu'elles ne l'étaient au moment où nous les avons rencontrées. Je reste très prudent quant aux résultats du dispositif, mais avons-nous d'autres solutions ? On ne peut pas amener quelqu'un à changer d'idéologie par la force. Cela ne peut se faire que par le biais d'un travail personnel. Nous avons essayé d'amorcer la prise en compte d'une autre réalité pour les amener à voir le monde différemment.

Les quartiers spécialisés sont un vrai sujet de débat en Europe. Je fais partie du Radicalisation Awareness Network, au sein duquel un groupe travaille sur les prisons et la probation. Il y a des avantages et des inconvénients, tant à regrouper les détenus qu'à les séparer. Les isoler empêche le prosélytisme envers les détenus qui n'ont pas envie d'être harcelés par des recruteurs. Cependant, si les individus isolés dans ces quartiers spécialisés ne sont pas pris en charge, cela n'a aucun intérêt.

Notre méthodologie de recherche-action sur un temps court a beaucoup inspiré la façon dont ces personnes vont être prises en charge dans un temps beaucoup plus long. D'après les discussions que nous avons eues avec l'administration pénitentiaire, il semble en effet que notre action, avec ses témoignages de victimes et ses échanges avec les détenus, va se poursuivre. Là encore, nous partions d'une page blanche. Nous avons essayé d'y inscrire quelque chose qui semble prometteur.

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